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Jérôme Zonder au Casino, Luxembourg « Le dessin agit comme un cubisme mental ou sensationnel d’émotions pures »

Jérôme Zonder, Joyeuse Apocalypse !, vue de l’exposition. Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, 2023

Tout commence par la participation de Jérôme Zonder à l’exposition collective L’homme Gris sur la place du Diable dans la création au Casino Luxembourg (2020-21). Une rencontre avec le lieu qui s’inscrit dans sa rétine et lui donne envie de l’explorer à part entière. C’est désormais chose faite grâce à Kevin Muhlen, directeur, qui lui a donné carte blanche. Joyeuse Apocalypse ! est sa réponse à l’in situ en un all over virtuose où les références cartoonesques (Crumb, Gotlib..) le disputent à un portrait générationnel de Pierre-François personnage fictionnel né dans les années 2000 en butte au succès et à ses avatars. Reprenant le motif de la fête dans ce lieu anciennement dévolu à une clientèle en villégiature, textes et dessins se fondent dans un même tourbillon jusqu’à en devenir une danse macabre. Du « mignon hamster » pris dans sa roue au joueur d’échec qui joue son destin, le fatum, titre de l’exposition de Jérome Zonder à la Maison Rouge qui explorait les côtés sombres de la psyché collective. Une fuite vertigineuse dans les images alimentée par les chocs graphiques à l’infini et effets de miroir. Un art du sampling et du rebondissement dont Jérôme Zonder nous révèle les ressorts et mécanismes.

Quelle influence le lieu a-t-il eu pour cette Apocalypse Joyeuse ?

La rencontre avec le lieu a beaucoup joué. Le centre d’art doit son nom à ce casino, un ancien endroit de villégiature très prisé par la société du 19 ème siècle. L’espace est très lumineux et généreux avec de grandes ouvertures sur le paysage et la végétation. La volontaire construction en boucle sur le plateau se veut une invitation à la danse. Apocalypse a en réalité deux significations, la violence de la fin des temps qui est restée dans le langage commun à partir de l’épisode de la Bible mais aussi l’annonce du renouvellement et de la révélation des choses. Il y évidement un état de catastrophe suggéré mais qui s’inscrit avant ou après un moment de vitalité intense. J’ai construit comme une grande boucle avec tous ces états qui s’activent et ne s’arrêtent plus. C’est à l’image du cycle de la vie en général.

Jérôme Zonder, Joyeuse Apocalypse !, vue de l’exposition. Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, 2023

Nouveauté dans le travail : les silhouettes de grande taille en bois découpé du 1er étage

J’avais envie et besoin de travailler ce rapport de la découpe de façon plus avancée. Ces silhouettes sont redessinées. Ce qui définit une forme et la referme peut devenir aussi une ouverture. Je reviens sur la question première du dessin à savoir de poser des limites à partir d’images qui racontent Pierre-François et dont le contour devient la forme de ces silhouettes qui se voient alors investies par d’autres images. Il s’agit comme de couples de danseurs.

Le premier mur agit comme une sorte de matrix

Il est recouvert du sol au plafond de dessins qui se chevauchent, se parasitent.

C’est un peu le portrait général de Pierre-François. Des images qui constituent à la fois les histoires et le personnage à l’état brut. Elles sont telles que je les ai glanées et deviennent comme des images références. Elles vont générer tout un travail de digestion et de reproduction graphique dans les autres espaces.

Quelle est l’origine de Pierre-François ?

Il renvoie aux enfants du Paradis comme Garance et Baptiste, autres personnages que j’investie. Cette trilogie m’intéresse comme espace de dessin. Pierre-François a valeur d’allégorie générationnelle. Il a l’âge du Siècle. En ce qui le concerne plus particulièrement, il représente cette tension qui existe entre un dessin domestiqué (le rapport à la grille, la fascination pour le bien dessiné, le bien fait,  la reproduction..) et un espace plus sauvage d’expression qui déborde et puise de l’énergie dans la culture populaire. Un dessin plus pulsionnel qui bouscule les références. C’est comme de mettre en lumière les tensions qui existent dans une figure dont on réalise le portrait -en l’occurrence Pierre François – et pas seulement au niveau du collage d’images mais aussi des écritures. Des écritures qui soulignent toutes ces tensions par le graphisme.

Le jeu de loi auquel le public est invité

Pierre-François est le prototype du « Moi je », du type qui croit avoir réussi mais n’y arrive pas forcément. Le jeu se complique à la fin et ce qui m’intéresse est comment ce personnage est pris dans tous ces modèles de réussite et de faillite. Le jeu met en scène cette bipolarité entre une réussite très basique et les attributs qui y sont associés et en même temps l’échec. Cela résume assez toute l’exposition : une succession de convocations autour des différents moments d’existence du personnage.

La figure du hamster apparait plusieurs fois

De la même façon que l’on est pris dans la danse de l’exposition, Pierre-François est pris dans la figure du hamster qui tourne jusqu’à l’infini et de façon grotesque et inutile.

Des murs sont travaillés de façon quasi pointilliste à la fin du parcours

Ils représentent un mode de dessin et un espace plus chargé de mémoire. L’aspect peau contre peau avec ce personnage. Je recherche la physicalité pure du medium. Un côté sublime assumé. Le dessin ne doit pas être trop unidimensionnel. Il est pour moi comme un cubisme mental ou sensationnel d’émotions qui se déploie à l’infini. Comme un miroir que l’on traverse, « Alice au Pays des Merveilles » bien sûr.

L’hommage à Kubrick et au cinéma

Il m’a beaucoup impressionné jeune. Il continue à me fasciner pour ses emboitements narratifs, le rapport au genre. On le retrouve à travers le personnage d’Alex d’Orange Mécanique qui apparait à plusieurs reprises.

Quelles références BD ?

Les dessinateurs de BD m’intéressent dans la construction d’un personnage et du portrait en général.

Crumb bien entendu mais aussi Gotlib et Edika encore plus. De très grands dessinateurs. Dans les figures découpées l’on retrouve deux figures de Gotlib.

Le damier des échecs

La référence exacte est Kasparov qui est battu en 1997 par le supercalculateur Deep Blue, machine elle-même maintenue par l’IA, soit la limite de l’intelligence humaine. La limite est toujours un horizon qui ferme et ouvre en même temps, comme je l’évoquais au début de cet entretien.

Jérôme Zonder est représenté par la galerie Nathalie Obadia, Paris-Bruxelles

A ne pas manquer également l’exposition de la peintre américaine Tessa Perutz « How to Map the Infinite » autour du régime de la perception dans l’art et plus particulièrement de l’odorat. Le champ de lavande est impressionnant. La fresque murale représentant la ligne d’horizon de Marseille depuis la Cité Radieuse qui donne le titre à l’exposition se veut une intuition plus féminine de l’architecture. L’artiste est représentée par la galerie Baronian à Bruxelles.

Infos pratiques :

Joyeuse Apocalypse ! Jérôme Zonder

How to map the infinite Tessa Perutz

Jusqu’au 7 janvier 2024

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