Interview Lauranne Germond : carte blanche Collection Société Générale

Luo Dan March 9, 2006 Three Gorges Zigui Hubei

L’exposition « L’eau et le diamant » sous le commissariat de Lauranne Germond, co-fondatrice de COAL réunit une soixantaine d’œuvres de la collection Société Générale et d’artistes invités afin de porter un regard sur nos liens avec la nature face aux défis du bouleversement climatique. Comment apprécier les pertes irréversibles au bord de la catastrophe et prendre conscience de nos actes ? Comment garder intacte notre capacité d’émerveillement ? Quelle est la valeur de ce capital naturel face à la marchandisation forcée du monde ? Autant d’enjeux qui traversent ce nouvel accrochage poétique et politique. Lauranne Germond a répondu à mes questions alors que le Prix COAL 2023 vient d’être décerné au collectif Al-Wah’at pour son projet Wild Hedges. 

Lauranne Germond est commissaire d’exposition, co-fondatrice et directrice de l’association COAL depuis son origine en 2008. Diplômée de l’École du Louvre, elle se consacre dès 2004 à accompagner l’émergence d’une nouvelle culture de l’écologie dans le champ des arts visuels, en co-dirigeant notamment le magazine NUKE, l’autoportrait de la génération polluée (2004-2007). Elle a assuré le commissariat de près d’une cinquantaine d’expositions (pour La Biennale internationale d’Anglet, l’UNESCO, La Villette, La Gaîté Lyrique, le Domaine de Chamarande, le Muséum national d’Histoire naturelle, le Musée de la Chasse et de la Nature, la Société du Grand Paris, les Berges de Seine, le CEAAC, l’Office Français pour la Biodiversité, etc…) et autant de programmes et d’actions culturelles, ainsi que la direction artistique des 13 éditions du Prix COAL.

Comment avez-vous accueilli la proposition d’Aurélie Deplus ?

J’ai accepté avec plaisir cette invitation d’Aurélie Deplus en ayant l’assurance de pouvoir construire une exposition sur l’écologie sans concession. A l’heure où l’on cherche des réponses, des solutions, pour enrayer la crise environnementale, en développant notamment des dispositifs économiques qui tentent d’introduire la valeur de la nature dans les systèmes financiers, l’opportunité de mettre en question la comptabilité verte qui ne prend en compte que la valeur instrumentale du vivant, c’est-à-dire utile aux besoins humains, et non sa valeur intrinsèque, dans l’une des plus grandes banques de France à travers cette belle collection m’est apparu comme un défi passionnant à relever.


Quelle a été votre méthode de travail pour cet accrochage ?

En suivant donc ce fil rouge qui est celui de la question de la valeur que l’on attribue à la nature dans notre société, j’ai plongé avec plaisir dans la base de plus d’un millier d’œuvres que compte la Collection Société générale. Dans cet ensemble très hétéroclite j’ai aisément isolée une centaine d’œuvres se rapportant à des motifs et des enjeux de nature et de paysage. De là, j’ai élaboré un parcours qui aborde les grands enjeux écologiques contemporains que sont le climat, la biodiversité, les océans, la pollution l’artificialisation des sols, etc… décliné en une dizaine de section thématique autour de la valeur de la nature, en grande partie dictée par le sens et l’esthétique des œuvres de la collection elles-mêmes.

L’eau et le diamant est le titre choisi : quels enjeux véhicule-t-il ?

Le paradoxe de l’eau et du diamant, est issu de l’une des premières théories de la valeur de la nature posée par l’économiste Adam Smith au XVIIIe siècle qui analyse comment une ressource telle que l’eau absolument nécessaire et indispensable à toute vie sur terre, peut avoir une valeur d’échange quasiment nulle, tandis que le diamant, totalement inutile et superflux s’arrache lui à prix d’or. Ce paradoxe, qui a donné son titre à cette exposition, en convoque un autre : celui qui oppose, d’un côté, notre attachement profond à la richesse des formes du vivant qu’on perçoit dans la forte présence des représentations de la nature et de ses beautés aussi bien dans les œuvres de la collection société générale que plus largement dans l’histoire l’art ; et de l’autre, cette société extractiviste que nous avons créée et qui aujourd’hui menace les équilibres écologiques.

Et au cœur de ce paradoxe ce trouve la question de la valeur que nous attribuons à la nature: valeur économique, valeur monétaire, valeur intrinsèque, valeur esthétique et culturelle, comment estime t-on les richesses naturelles ? qu’elle est l’échelle de valeur avec laquelle nous appréhendons le monde qui nous entoure ? quel regard posons-nous sur ce à quoi nous tenons et qui nous permet de tenir, à l’heure où l’écosystème terrestre est menacé par l’exploitation sans relâche de la nature, qui n’est plus considéré aujourd’hui que comme une ressource ?

Vous avez invité des artistes extérieurs à la collection : pourquoi/comment 

Si le végétal, l’arbre, la forêt, les fleurs sont des motifs très représentés dans la collection société générale, l’animal lui en est quasiment absent. Tout en diversifiant les médium (tapisserie, sculpture, céramique, vidéo plutôt rares dans la collection) pour équilibrer l’accrochage, j’ai choisi de réintroduire cette altérité animale, en partant de ce constat glaçant : si on considère la masse des vertébrés présents sur terre (mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens) : 65% sont des animaux domestiqués – principalement cochons, poulets, vaches, et 32% sont des êtres humains, ce qui laisse seulement 3% pour tous les autres vertébrés sauvages. Ainsi dans l’expo, le sauvage réapparait furtivement à travers deux œuvres qui intègrent également la collection, Spirits Return de Romain Bernini représentant cet homme assis en tailleur face à un iguane, entre fascination, désœuvrement et indifférence ; et cette magnifique tapisserie des oiseaux semant la vie de Suzanne Husky qui dépeint l’histoire de la pédogénèse, à savoir l’ensemble des processus (physiqueschimiques et biologiques) qui, en interaction les uns avec les autres, aboutissent à la formation, la transformation ou la différenciation des sols d’où toujours renait la vie grâce notamment grâce au flux des oiseaux migrateurs. En opposition à cette résurgence du sauvage, trois autres œuvres empruntée, révèlent la réalité immonde et crue de l’exploitation intensive des animaux domestiqués : le glaçant nuggets show de Suzanne Husky et Stéphanie Sagot, les tronçons de poissons en céramique d’Elsa Guillaume ou encore les caurries de Melik Ohanian. Ces coquillages qui furent l’une des premières monnaies d’échanges, introduite en masse au XVIIIe s pour développer le commerce des esclaves constituent une emblème de la marchandisation du vivant, des hommes comme des autres espèces.

Que retenez-vous de cette expérience ?

Le plaisir riche et stimulant en tant que commissaire d’exposition de bâtir un récit à partir d’un ensemble pré-existant d’œuvres, qui, pour beaucoup d’entre elles m’étaient inconnues et ce, autour d’un sujet qui me tient vraiment à cœur.

Liste des artistes de la Collection Société Générale

Per BARCLAY – François BARD – Arnaud BAUMANN – Mathieu BERNARD–REYMOND – Romain BERNINI – Raphaëlle BERTRAN – Elina BROTHERUS – Edward BURTYNSKY – Stéphane COUTURIER – Henri CUECO – Thibaut CUISSET – Julien DES MONSTIERS – Nicolas FLOC’H – GAO Brothers – François-Xavier GBRE – Suzanne HUSKY – Sung JI-YEON – Nadav KANDER – Panos KOKKINIAS – Richard LONG – Dan LUO – Marie MAILLARD – Pascal MAITRE – Didier MARCEL – Jivya Soma MASHE – Patrick MESSINA – Rui MOREIRA – Wilhelm MUNDT – Vik MUNIZ – Otobong NKANGA – Javier PÉREZ- Aleix PLADEMUNT – Éric POITEVIN – Andrée POLLIER – Viviane SASSEN – Berni SEARLE – Marjan TEEUWEN – Nils UDO – Matej Andraž VOGRINČIČ – Andy WARHOL – Alžběta WOLFOVÁ

Liste des artistes invités Elsa GUILLAUME – Nouveau ministère de l’agriculture (Suzanne Husky & Stéphanie Sagot) – Melik OHANIAN

À propos de COAL :

Depuis 2008, COAL mobilise les artistes et les acteurs culturels sur les enjeux sociétaux et environnementaux et accompagne l’émergence d’une nouvelle culture de l’écologie et du vivant à travers ses actions telles que le Prix COAL, le commissariat d’exposition, le conseil aux institutions et aux collectivités, la coopération européenne, et l’animation de conférences, d’ateliers et du premier site dédié Ressource0.com

Infos pratiques :

L’eau et le diamant

Nouvel accrochage

jusqu’au 31 mars 2024

dans les tours Société Générale, 17 cours Valmy, 92800 Puteaux, du lundi au vendredi de10h à 18h  


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www.collectionsocietegenerale.com