Anne Bourse, Gens qui s’éloignent, 2022
Stylo bille et Typex sur papier, 46×32 cm.
Photo © Margot Montigny
Le fantôme, le spectre a toujours inspiré les artistes si l’on se réfère notamment à la vogue de la photographie spirite au début du siècle qui a coïncidé avec les débuts du cinéma. Une mode pour l’occulte qui envahit toute l’Europe. Des présences-absences qui donnent lieu à des apparitions, des phénomènes paranormaux et instables qui resurgissent et imprègnent tout l’imaginaire contemporain. Le fantôme devient alors figure de l’indiscipline avec un fort potentiel critique. Croire aux histoires de fantôme c’est adopter un autre point de vue sur les récits dominants comme le souligne Fernanda Brenner, commissaire de cette fascinante exposition du 24ème Prix de la Fondation Pernod Ricard. Et parce que ce lieu a été construit dans l’enceinte même de la Gare Saint-Lazare, dessinant un pont vers les Amériques, l’idée est de proposer un espace d’exposition hanté et en train de s’écrire collectivement par les 6 artistes choisis et le public. Dans le sillage de Derrida qui déclare « Ici le fantôme c’est moi ». Une traversée autre faite de boucles spatio-temporelle, de sons, d’opacités, sous le régime de la révélation latente.
L’œuvre de l’artiste brésilienne Ana Vaz « expanded cinema », installation récente, résume les enjeux qui parcourent l’exposition. A la naissance du cinéma d’un point de vue occidental avec « l’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat » des frères Lumière, s’offre une autre généalogie, non linéaire, à l’emplacement même des arrivées et des départs des trains à partir d’archives non pas fixes mais mouvantes.
Pol Taburet qui ouvre l’exposition, nous entraine dans le déchainement de l’ordre établi et le chaos avec ces figures fantasmagoriques inquiétantes et lugubres qui défient le genre et les régimes du vivant. Des humanoïdes comme échappés d’un zoo. Un vocabulaire de l’irrationnel en pleine déliquescence qui a révélé toute sa puissance à l’occasion de sa récente exposition pour Lafayette Anticipations.
Sophie Bonnet-Pourpet partage une fascination pour les espaces et ambiances nocturnes alternatives autour de régimes de sommeil anciens qu’elle transcrit dans de petits autels peuplés d’objets-offrandes qui passent de main en main dans une réflexion plus large sur le don et l’accessoire.
Anne Bourse a cette capacité de dérive liminale en créant des espaces labyrinthiques sous le règne du désir dans une réelle économie de moyens. Des tapis, des tissus, des montres, des miroirs .. le tout fait main, dessinent un habitat précaire et pourtant rempli de présences.
Ethan Assouline avec ses sculptures faites de rebut pose un regard critique sur la ville et la modernité. Les déchets à l’encontre de notre marchandisation, deviennent des esprits rodeurs plein d’humour et de malice dans des assemblages en équilibre instable.
Eden Tinto Collins manie l’anachronisme dans des dispositifs narratifs numériques qui mêlent esthétique du sampling, DIY et poésie quantique. Dans la série au long cours A Pinch of Kola qui est projetée au sein de tout un environnement immersif, son avatar Jane Dark traverse plusieurs réalités. Elle construit par ailleurs une archive afrofuturiste avec plusieurs collectifs.
S’il va être difficile de départager entre les six finalistes, l’exposition est un voyage à entreprendre aux confins de l’inframince et de l’irrésolu.
En savoir plus sur..
Fernanda Bernner
Fernanda Brenner est commissaire d’exposition et écrivaine. Elle est la fondatrice et la directrice artistique de Pivô, un lieu d’art à but non lucratif à São Paulo. Elle a rejoint l’équipe curatoriale de la section Présent Futur d’Artissima en 2020 et a participé à des projets récents comme l’exposition collective A Burrice dos Homens (2019), galerie Bergamin Gomide, São Paulo, Residents Sections Art Dubai, UAE (2019), et aux expositions collectives Neither (2017)…
Livret d’exposition entre carnet de notes de chacun des artistes et catalogue
(Disponible à la librairie)
Infos pratiques :
24ème Prix de la Fondation Pernod Ricard
Jusqu’au 28 octobre
Entrée libre du mardi au samedi de 11h à 19h Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
1 Cours Paul Ricard Paris 8e (Gare Saint-Lazare)
Annonce du·de la lauréat·e : le 20 octobre