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Villa Noailles, le centenaire : Interview Magalie Guérin, directrice adjointe, responsable Design Parade Hyères : « Une histoire de filiation et d’émancipation »

Magalie Guérin Villa Noailles X Debeaulieu © Emile Kirsch

La Villa Noailles fête son centenaire et à cette occasion revient sur les lignes structurantes du projet de Marie Laure et Charles  de Noailles à travers des commandes contemporaines spéciales et une large programmation de temps forts (concert, cinéma en plein air,expositions..). A l’aune des défis écologiques et sociaux qui animent l’ensemble des designers de l’édition 2023 de Design Parade Hyères, Magalie Guérin, directrice adjointe et responsable du festival, insiste sur l’engagement de l’équipe auprès des jeunes talents et lycéens pour encourager les vocations, la mise en valeur de savoir-faire régionaux, la Villa Noailles devenant un pôle ressources régulièrement sollicité par les créateurs notamment cette année Noé Duchaufour-Lawrance, Président du Jury, autour du liège du Var et l’élargissement du profil des visiteurs, toujours plus nombreux à s’approprier ce lieu. La notion de service public est également au cœur de ce qu’elle entreprend sous l’impulsion de Jean-Pierre Blanc, à l’origine de ce petit miracle du Clos Saint Bernard en constante mutation et dont le rayonnement ne cesse d’inspirer. De plus, et en phase avec la ville de Hyères qui présente une remarquable exposition sur Man Ray, la Ville Noailles a consenti à un certain nombre de prêts patrimoniaux et historiques. Un ensemble d’actions que l’on ne devine pas forcément lors d’une visite. Magalie Guérin a répondu à mes questions avec la précision et l’élégance qu’on lui connait.

Dominique Nabokov commande photographique villa noailles

Quelle est la part de l’héritage laissé par Marie Laure et Charles de Noailles dont vous vous sentez le plus proche ?

Avant tout accompagner les artistes pour les conduire plus loin que ce qu’ils avaient pressenti au départ ou imaginé être capables de faire.

De par les moyens dont nous disposons à la fois géographiques ce qui permet de s’isoler un peu dans cette bulle de la Villa Noailles en haut de cette colline face à la mer, avec ce climat particulier et cette maison qui a une âme et une architecture entre intérieur et extérieur, très inspirante.

Une maison faite pour passer du temps ensemble, à travailler, faire se rencontrer des gens autant les artistes entre eux que les artistes et le public, ce qui nous tient à cœur. Il se développe ici un côté assez familial, ce que nous souligne souvent les artistes entre les moments de travail en commun et solitaire et les repas partagés où comme en famille, on se raconte notre journée. Des temps où se dessinent des idées, des solutions, voire des collaborations futures et non préméditées. L’avis de chaque membre de l’équipe est importante à mes yeux.

Dominique Nabokov commande photographique villa noailles

Avec quel état d’esprit avez-vous imaginé la programmation autour du centenaire ?

Nous avons voulu nous amuser, célébrer, ce qui s’inscrit également dans l’héritage intellectuel des Noailles. Nous avons pu montrer depuis plusieurs années que notre démarche était sérieuse et structurée à partir d’un vrai travail scientifique autour de l’histoire de Marie Laure et Charles de Noailles et dépasser cette vision de Marie Laure mécène un peu fantasque et replacer Charles au cœur de ce mécénat comme en témoigne sa correspondance avec les artistes. Nous appréhendons leur quotidien de couple joyeux et très solidaire, solide, dans les décisions artistiques prises ensemble tout cela s’inscrivant dans le dynamisme, l’enthousiasme et la joie.

Nous voulons aussi montrer que ce mécénat est un travail, Charles accompagnant les artistes jusque dans la logistique autour de la façon de les recevoir, leur montrer la ville, produire leurs œuvres, les accrocher… Un accompagnement très complet de leur part. Nous écrivons aussi cette histoire avec des personnes que l’on admire comme Pierre Yovanovitch qui a eu carte blanche cette année pour non pas faire une reconstitution mais expérimenter avec le public pour proposer comme un sentiment, une émotion à vivre.

Pour cette année exceptionnelle, nous bénéficions du soutien des partenaires publics et de CHANEL qui est le Grand mécène du Centenaire. Nous donnons un concert fin juillet autour de l’œuvre de Nicolas Nabokov et nous créons un opéra qui sera joué mi-septembre, avec le généreux soutien d’Aline Foriel-Destezet. Cette création réunit de nombreux artistes, pour en citer quelques-uns : Raphaël Lucas (compositeur), Simon Johannin (livret), Vincent Huguet (mise en scène), Patrick Bouchain (décor), Jeanne Gérard, Camélia Jordana, Pauline Cheviller, Bastien Rimondi, Malik Djoudi (interprètes)… à découvrir sur le site villanoailles.com

Pierre Yovanovitch Les Nuits dété ©-Paolo-Abate

Des commandes spéciales ont été passées à des artistes contemporains autour des portraits du couple : quels enjeux ? 

Les commandes que nous passons à de jeunes artistes contemporains font partie de notre ADN et accompagnement. Depuis plusieurs années nous leur proposons de réaliser des portraits de Charles et Marie Laure de Noailles aujourd’hui, ce qui se traduit en peinture, vidéo, sculpture, tapisserie…, tous médiums confondus. Nous leur proposons aussi des représentations de la Villa Noailles. Cela constitue une collection en continu en soutenant à chaque fois les artistes, pour les accueillir en résidence, produire les œuvres et les acquérir. Notre spécificité au fil des ans est la commande de fresques sur les murs et en l’occurrence une fresque au plafond par Manon Daviet et Antoine Duruflé pour le centenaire qui transcrit le jardin imaginaire de la Villa Noailles de l’aube au plein jour avec des références poétiques comme une phrase 36 500 nuits soit l’équivalent de 100 ans.

Pierre Yovanovitch Les Nuits dété ©-Paolo-Abate

Pierre Yovanovitch poursuit sa collaboration avec la Villa Noailles avec une carte blanche exceptionnelle Les Nuits d’été : comment avez-vous travaillé ensemble ?

Notre collaboration avec Pierre Yovanovitch s’inscrit depuis Design Parade Toulon 2018 avec une très belle exposition. Il a aussi refait la boutique de la Villa Noailles pendant 3 ans. De nouveau nous nous sommes amusés, un terme que j’ai déjà employé et qui est prégnant dans ce qui se déroule cette année autour du festif et du partage. Nous avons agi sous le prisme de la liberté afin de ne pas chercher à visiter pas à pas cette maison mais de se laisser conduire dans une pièce de théâtre où le visiteur peut imaginer à son tour. A partir de quelques clés, on ouvre l’esprit pour arriver dans une maison qui est véritablement habitée et pour la première fois. Non pas un dispositif muséal mais un ensemble d’aménagement intérieur où l’on découvre des pièces patrimoniales ayant appartenu aux Noailles, dont certaines jamais encore exposées. Je pense notamment au miroir des frères Martel qui n’avait pas été montré depuis l’ouverture de la maison au public grâce à un prêt du musée Brohan de Berlin. Il a retrouvé sa place d’origine dans le salon de lecture. D’autres pièces sont connues comme les appliques de Giacometti mais aussi et grâce à la famille, nous avons pu présenter du mobilier de façon inédite dont un bureau et une chaise de Ruhlmann qui permet d’illustrer certaines spécificités de la maison, la Villa Noailles étant une maison de vacances pour l’hiver avec un climat particulier. Ce bureau Ruhlmann présente toutes ses caractéristiques d’avant-garde mais dans une version en bois de chêne plus robuste pour supporter le climat du sud et un usage non figé. Nous avons aussi replacé des œuvres similaires à celles possédées par le couple comme un canapé de Pierre Chareau ou un service à thé de Francis Jourdain. Des œuvres clés dans l’histoire de l’art du XXème siècle comme le portrait solarisé de Marie Laure de Noailles par Man Ray et des évocations d’artistes comme César avec une compression pour la salle dite du salon de musique, ce qui permet de revenir à l’histoire, César ayant réalisé sa première compression grâce à une voiture donnée par Marie Laure.

Man Ray est célébré à travers une exposition au Musée de Hyères : quelle a été votre contribution à cette occasion ? 

La Ville de Hyères est un partenaire naturel et important de nos manifestations. Elle est à l’origine de la création du Centre d’art, puis la Métropole de Toulon a pris le relais en 2003. Nous sommes fiers de cet ancrage à la fois dans notre pratique et dans notre géographie. Nous collaborons régulièrement avec le Musée de La Banque dans une vraie dynamique qui replace la culture tant historique que contemporaine au cœur de nos vies en tant que locaux, touristes ou visiteurs. La Banque nous accorde des prêts régulièrement comme à l’occasion de notre dernière exposition d’architecture et pour cette évocation du centenaire. Dans un esprit de réciprocité, nous avons prêtés des œuvres de Man Ray qui font partie de la collection ou qui sont en dépôt ici pour nourrir le propos de cette nouvelle exposition visible tout l’été.

Portrait Marie Laure et Charles par Maximilien Pellet © Stéphanie Davilma

Vous êtes responsable de Design Parade Hyères : quelles sont vos ambitions et priorités au quotidien ?

Le soutien aux jeunes designers est au cœur de nos actions, en ce qui concerne ici le design d’objets tandis qu’à Toulon il s’agit du design d’intérieur sous la direction de Julie Liger. Nous travaillons toutes les deux sous la direction de Jean Pierre Blanc. 

A Hyères nous souhaitons renforcer encore ce soutien aux jeunes designers en leur donnant des opportunités concrètes de production à travers des Bouses de création qui pourraient voir le jour. Nous avons des partenaires historiques fidèles que sont la Manufacture de Sèvres et le Cirva à Marseille et saluons l’arrivée d’un nouveau partenaire : Tectona, éditeur de mobilier français d’extérieur. C’est une chance de pouvoir créer un engouement autour de ces jeunes créateurs et de valoriser leur travail en leur permettant de produire. Il faut bien réaliser que si à l’école les étudiants ont tous les moyens à leur disposition en termes d’atelier et d’accompagnement, à la sortie, ils n’ont plus ces outils : c’est pourquoi nous essayons de récréer ces conditions.

Nous valorisons aussi les ressources et les savoir-faire locaux que ce soit à Hyères et également dans toute la région qui offre de nombreuses ressources telles que la terre de Salerne, la cane de Provence et en particulier cette année le liège du Var. Nous menons ce travail depuis des années avec des partenaires locaux autour d’un vrai réseau. Nous sommes devenus prescripteurs en quelque sorte à travers un pôle ressources pour les designers et les artistes confirmés ou émergents qui viennent nous chercher autour d’un désir d’exploiter tel matériau ou tel artisanat. Je suis fière que grâce à notre réseau, Noé Duchaufour-Lawrance, Président du jury et invité d’honneur 2023 ait pu produire une nouvelle série autour du chêne liège du Var avec sa maison d’édition Made In Situ et nos artisans avec l’association « Forêt Modèle de Provence ». Cette série de lampes et de mobilier va être diffusée partout. Une première en France qui incarne le fruit de 10 ans d’engagement.

Parmi les autres ambitions que je porte même si je préfère employer le nous collectif, la création de passerelles entre l’histoire des arts décoratifs est très importante dans cette maison par le biais de l’action des Noailles et les créateurs d’aujourd’hui. Une histoire de filiation mais aussi d’émancipation pour arriver avec de nouveaux outils, de nouvelles visions, d’une réflexion très dynamique et le vecteur que peut être le design pour aborder de nouvelles problématiques sociales. Je pense notamment à Yassine Ben Abdallah, Lauréat du Grand Prix Design Parade 2023, autour de la question coloniale de la France, des traces de ce passé, de ce qui est montré dans un musée. Des problématiques économiques et écologiques également et j’ai pu mesurer l’évolution de ces enjeux défendus au départ par certains designers alors qu’aujourd’hui ils sont inhérents à toute forme de production. Nous avons passé le cap du designer isolé répondant à la demande, comme avec le collectif Hall Haus, présent l’année dernière et avec qui nous avons collaboré depuis, qui repense totalement ce qu’est être designer, comment s’inscrire dans un tissu social, pourquoi produire et avec qui ? Autant de problématiques que l’on accompagne ou insuffle parfois.

Je trouve pour ma part très stimulant de se dire que l’on dispose des moyens en termes de communication et de production pour sentir les prémices de ces tendances qui adviennent et les accompagner. 

En terme de visitorat : quelle est la répartition et le profil des visiteurs et a-t-il évolué depuis le confinement ?

Pendant le confinement nous avons tenu à accompagner les artistes et designers souvent isolés dans des conditions très précaires. Nous avons encouragé une commande par jour postée en live sur les réseaux sociaux et toujours visible sur notre site. Au total nous avons produit une centaine d’œuvres digitales. A partir du moment où il a été possible de rouvrir et par paliers, nous avons observé un retour du public très nombreux. Cette période nous a sans doute encouragés vers une plus grande liberté pour aller vers des thèmes que l’on ne se sentait pas autorisés à aborder précédemment comme la fleur coupée, une partie importante de l’économie hyéroise. Nous avons lancé la fête de la pivoine pour soutenir les producteurs, devenue depuis un évènement annuel sanctuarisé avec plus de 2500 personnes en 2 jours ce qui témoigne de l’engouement du public.

Cette période de pandémie nous a donné aussi le temps d’expliquer davantage la vocation d’un centre d’art, le travail d’un artiste, et permis à des publics différents de sauter le pas pour gravir une colline et venir dans un château moderne ! Les gens se sont réappropriés le lieu et notamment grâce à l’équipe de médiation qui développe des programmes de découverte et des ateliers pour tous les types de visiteurs : scolaires, associations, amateurs éclairés ou novices, professionnels. Nous sommes en train de développer des ateliers dans des Ehpad avec nos artistes, ce qui permet de les soutenir et d’aller vers des publics empêchés.

Nous avons à présent une typologie de visiteurs très large avec beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes qui viennent d’eux-mêmes à la Villa Noailles, un lieu public et la notion de service public est très importante dans ce que l’on entreprend. Nous accompagnons aussi bien les jeunes artistes que les lycéens à travers les lycées de la métropole qui proposent une filière artistique. Nous nous adressons autant aux jeunes pour leur montrer tous les métiers qui existent qu’aux parents qui parfois sont réticents face à des études qu’ils imaginent pas assez concrètes. Cela peut nous arriver de faciliter la logistique et l’arrivée d’étudiants en écoles à Paris. Nous souhaitons les ouvrir à tous les métiers qui composent un centre d’art par le biais de chantiers écoles à l’occasion de Design Parade pour que des élèves en lycée professionnel qui se forment à la peinture, la menuiserie ou l’électricité réalisent que plusieurs débouchés les attendent dans un lieu comme ici. Ils travaillent dans un groupe avec un projet commun et selon le rythme imparti d’un festival et il est assez extraordinaire de voir des yeux qui s’écarquillent, des sourires qui se dessinent et un sentiment de fierté naitre de cette expérience partagée avec les artistes. Si nous avons un réel besoin de ces métiers il est parfois difficile de trouver ce genre de profils, c’est pourquoi il est important de vulgariser et encourager cette offre professionnelle.

A noter que nous avons accueilli 100 000 visiteurs l’été dernier, chiffre que nous espérons dépasser en 2023 !

L’ensemble des expositions est visible gratuitement tout l’été.

A compléter à Toulon avec les lauréat.es de Design Parade et de nombreuses expositions !

Relire la carte blanche que nous avait accordée Jean-Pierre Blanc en 2018 (9 Lives magazine)

Infos pratiques :

Design Parade 2023

17e festival international de design

Les expositions en détail : jusqu’au 3 septembre

Commandes artistiques contemporaines

Commande photographique sur la villa Noailles, mars 2023

Dominique Nabokov

Noe Duchaufour-Lawrance, président du jury et invite d’honneur

Par Pierre Yovanovitch

En partenariat avec le Mobilier national, et avec l’appui de Monique Teunissen, historienne de l’art, et de Stephan de Vries, artisan ébeniste.

Claire Pondard & Lea Pereyre, laureates du Grand Prix du jury Design Parade Hyères 2022, en partenariat avec la manufacture de Sevres et le Cirva

Steven Coeffic, laureat de la mention speciale du jury Design Parade Hyeres 2022

Dotation American Vintage

Concert « Collectionneur d’Échos »

Lundi 31 juillet 2023 à 18h30
Parvis de la villa Noailles
Gratuit – sur réservation
Nombre de places limité

47 Montée Noailles

Villa Noailles Hyères

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