Vue de l’installation Forty-seventh Samsara, Yemi Awosile, 2023 © Martin Argyroglo Triennale Art et Industrie Frac Grand Large
Keren Detton, directrice du Frac Grand Large à Dunkerque nous rappelait les ambitions de cette nouvelle édition de la Triennale art et industrie lors d’un entretien récent (lien vers), après le succès remporté par lédition inaugurale : Gigantisme. Impulsée par deux institutions muséales emblématiques : le Frac Grand Large et le LAAC, les enjeux portent sur la question des énergies dans un territoire transfrontalier entre la France, la Grande Bretagne, la Belgique et les Pays-Bas et historiquement de grande activité industrielle.
Le titre « Chaleur humaine –consciences énergétiques » traduit l’imminence des défis climatiques et une potentielle réponse commune à l’ère de l’Anthropocène. Les commissaires invitées Anna Colin et Camillle Richert ont mené en préalable un travail de recherche au sein des collections publiques (Centre Pompidou et CNAP) et il est apparu un déséquilibre flagrant entre les artistes hommes et femmes de la période de 1970 (premier choc pétrolier) à 2000 qu’il a fallu tenter de corriger. Des œuvres non genrées et non occidentales font dès lors partie de ce panorama de plus de 250 créations dont 30 commandes spéciales. Les artistes sont aux avants postes des bouleversements environementaux à venir et il n’est pas vain d’observer leurs réactions précisent les directrices artistiques, Keren Detton et Sophie Warlop.
Le parcours s’organise en 8 chapitres répartis entre le Frac et le LAAC avec en complément un certain nombre d’œuvres dans l’espace public à l’échelle du paysage et dans une démarche de liens avec les habitants à travers des résidences, ateliers…
Au Frac :
Dès la façade du Frac Grand Large/ Halle AP2 l’artiste et designeuse britannique Yemi Awosile avec l’installation « Forty-Seven Samsara » renvoie au passé textile de la région avec ces dessins et symboles abstraits que l’on devine au loin. Au rez-de-chaussée du Frac sont posés les jalons de l’exposition : le positionnement des artistes sur la question du progrès avec notamment l’installation de Hans Haacke autour de la place de Total en Afrique ou les enjeux de la décolonisation avec Otobong Nkanga ou Sammy Baloji. Le chapitre suivant autour de la fatigue et l’usure des corps à l’ère de l’hyper productivité avec Chris Burden, Ewa Partum ou Jo Spence et la question des injonctions liées au corps féminin. Pelagie Gbaguidi a réalisé avec une communauté une installation selon le principe de la contamination qui domine sa démarche à partir de la mémoire de la région. Comme un grand palimpseste.
La section suivante : Ressources humaines revient au sens premier de l’exposition en considérant la capacité du corps collectif à se mobiliser autour de différentes luttes dans le sillage de Joseph Beuys. Les artistes Ellen Lesperance et Pauline Hisbacq reviennent sur les mouvements écoféminsites de Greenham Common en GB en réaction à l’installation de missiles à têtes nucléaires. Minia Biabiany que j’ai découverte avec Guillaume Désanges à la Verrière Bruxelles, croise colonialisme et scandale environnemental dans des installations très poétiques. L’artiste américaine La Toya Ruby Frazier avec l’ensemble photographique « Et des térrils un arbre s’élèvera » se focalise sur les mains des mineurs.
Le chapitre Fétiches est l’un des plus abouti du parcours à la fois formellement et conceptuellement autour d’objets du quotidien érigés en fétiches comme la montre (Roger Tallon), l’ordinateur (Paul Rand et IBM), le camion comme l’impressionnant modèle de Francesc Ruiz dans la Halle P2. La sublime tenture d’El Anatsui soulève la pollution de nos déchets industriels. Le temps et sa tyrannie est abordé dans la dernière section du Frac avec des artistes qui s’opposent à cette forme de pression : Véronique Joumard ou Roger Ackling, tandis qu’Eric Baudelaire traduit la corrélation entre les variations boursières et d’émissions de gaz à effet de serre lors du Covid.
L’allée centrale du Frac est investie par les bannières du duo Elise Carron et Fanny Devaux autour du sommeil, de la paresse, de la résistance aux injonctions de la performance.
La Halle AP2 résonne de pratiques in situ engagées avec Dominique Gesquière, Pablo Bronstein, le collectif EEEE ou Vibele Mascini qui imagine un élevage de papillons de nuit.
Au LAAC :
Ouverture avec « Espèces d’espaces » avec les installation de Jessica Stockholder et Mercedes Azpilicueta autour du domestique et du politique mais également le collectif RADO autour de la déforestation. La section « Vanités, gratuité, sublimations » est particulièrement aboutie autour de Suzanne Husky ou Gina Pane.
Enfin, « Sisters in the system » autour des métissages et la mise en réseau clot magnifiquement le parcours avec les propositions d’Eve Gabriel Chabanon autour des langages des champignons ou Mathis Colins qui a réalisé un orgue de barbarie avec les Dunkerquois. La video de Rashaad Newsome et son personnage trans cyborgien qui se déconstuit à la faveur de postures de voguing insiste sur une vision non genrée de l’énergie.
Dans l’espace public :
Parmi les œuvres incontournables sont Jean-François Krebs dans la friche du Chai à vin, Laure Prouvost et son octopus géant à Malo-Les-Bains ou l’intervention de Tiphaine Calmettes à Téteghem dans le cadre de sa résidence au Foyer d’Accueil Médicalisé du relais des Moëres.
Infos pratiques :
Triennale art et industrie
Chaleur humaine consciences énergétiques
Jusqu’au 14 janvier 2024