Marc Desgrandchamps Sans titre 2020 huile sur toile diptyque Musée des Beaux-Arts de Dijon Adagp Paris 2023
Fédérique Goerig-Hergott est la directrice des Musées de Dijon depuis janvier 2022 avec pour mission de faire rayonner Dijon au-delà de ses frontières selon les vœux du Maire et dans une dynamique tournée vers l’art contemporain aux côtés du Consortium Musée et du Frac Bourgogne. Une feuille de route ambitieuse dans le prolongement des actions de cette ancienne Conservatrice en chef du Musée Unterlinden qui a proposé à Colmar des expositions remarquables : Otto Dix, Baselitz, Yan Pei-Ming… Frédérique Goerig-Hergott à l’occasion de la nouvelle politique volontaire d’acquisition du Musée des Beaux-Arts d’artistes majeurs contemporains qui portent un regard sur l’histoire de l’art nous dévoile les raisons de son choix pour le peintre français Marc Desgrandchamps pour cette grande rétrospective qui se penche sur les dix dernières années à partir de prêts exceptionnels et d’œuvres de la propre collection de l’artiste jamais encore dévoilées.
Dans les nouveaux espaces consacrés désormais aux expositions temporaires,le parcours s’organise autour de sept thèmes qui nourrissent les questionnements à l’œuvre d’un artiste qui reste très énigmatique. L’on ne pénètre pas si facilement dans les toiles de Desgrandschamps, il faut traverser un ensemble de signes au-delà du visible. Parmi les œuvres clés Frédérique Goerig-Hergott nous décrypte The Young Mod’s forgotten story ? révélatrice de son goût oour les contre-cltures britanniques autour du phénomène socio-culturel des mod’s. Frédérique Goerig-Hergott a répondu à mes questions.
Un dialogue est amorcé avec l’art contemporain depuis la réouverture du musée : quels principes vous guident-ils ?
Il n’y a pas de musée d’art moderne et contemporain à Dijon, mais un musée des Beaux-Arts (MBA). La collection d’art moderne et contemporain est née à la fin des années 1960 avec l’importante donation Granville et s’est développée depuis sans atteindre le niveau des collections d’art ancien. Il y a à la Ville de Dijon une forte volonté politique de s’ouvrir à l’art contemporain en soutenant tous les acteurs de ce domaine.
Le rôle des musées de Dijon est de collaborer et de travailler en complémentarité avec les acteurs de l’art contemporains à Dijon sans interférer dans leurs propres missions, qu’ils soient institutionnels, privés ou associatifs (FRAC, Le Consortium, galeries, ENSA…).
En tant que musée de France, le MBA qui détient des collections d’art ancien exceptionnelles se doit de garantir un niveau de qualité et d’exigence dans le choix et la valorisation d’artistes contemporain majeurs qu’il s’agit de montrer au public le plus large dans la perspective d’un rayonnement international.
Objectif : soutenir les artistes majeurs qui portent un regard personnel sur leur époque et l’histoire de l’art ou qui donnent un point de vue original et éclairant sur nos collections.
Quels aspects de Desgrandchamps vous ont-ils séduit et conduit à lui faire cette proposition ?
Son rapport à l’histoire de l’art en général, aux couleurs, à la lumière et au temps. Plus généralement, j’aime les artistes contrastés et ambigus qui nous mettent en tension avec une peinture dérangeante, nous oblige à nous poser des questions/à nous remettre en question, à ne pas rester passifs ou dans la contemplation. En cela, son œuvre est très comparable avec celle des plus grands maîtres de l’histoire de la peinture.
Comment pénètre -ton dans une peinture de Desgrandchamps ?
Si son œuvre présente des figures et semble abordable au premier regard, certains détails ou des éléments interpellent par leur étrangeté et finissent par intriguer le spectateur. Il convient de regarder le tableau en prenant le temps, avec curiosité, par petits bouts, dans le sens que l’on souhaite, avec la plus grande liberté. Le temps est important dans l’art, quel qu’il soit : il faut du temps pour lire un livre, écouter de la musique, assister à un concert ou un opéra. En peinture, c’est la même chose.
Quels partis pris scénographiques avez-vous décidé ensemble ?
Je ne lui ai pas laissé grand choix en fait et il m’a fait totalement confiance. Je n’avais que le désir de le valoriser au mieux auprès de nos publics, d’expliquer son œuvre de la dernière décennie, dans des espaces appropriés et lumineux sans décorum ni jeux de couleurs : les œuvres de Marc Desgrandchamps se suffisent à elles-mêmes. Pour sélectionner et illustrer les différents thèmes abordés par l’exposition, je me suis attachée la collaboration de Pauline Nobécourt, spécialiste de Marc Desgrandchamps. Ainsi, le parcours de l’exposition se décline en 7 sections différentes autour des thèmes abordés par l’artiste dans son œuvre récent, que ce soient la nature et le paysage, l’Antiquité et l’histoire de l’art, la culture et la société contemporaine, ou des réflexions existentialistes sur le temps et notre rapport au monde..
Quel regard a t-il posé sur les collections du musée ?
Marc Desgrandchamps connaît les collections du MBA depuis son enfance : il a vécu 8 ans à Dôle et n’habite pas si loin (Lyon). Aucune œuvre n’échappe à son regard curieux et de peintre, aucun cadrage, aucun détail.
L’exposition se fait en partenariat avec le Mac Marseille, quelle répartition entre vos deux institutions ?
Nous présentons à Dijon 47 peintures, 2 dessins, 9 collages et 1 carnet de croquis et avons avec Marseille un tronc commun d’une quinzaine de peintures. Le catalogue rassemble l’ensemble des peintures présentées à Dijon et à Marseille.
Pouvez-vous nous décrypter l’oeuvre The Young Mod’s forgotten story ? En quoi est-elle révélatrice ?
Une silhouette masculine et anonyme, translucide, comme souvent dans la peinture de Desgrandchamps, se fond dans un espace industriel et portuaire. La composition dense est complexifiée par des formes noires flottant à la surface de la toile. Ces formes abstraites, leitmotiv dans l’œuvre de Desgrandchamps, comme le cerne blanc autour du personnage, mettent la scène à distance en même temps qu’ils la révèlent et marquent la profondeur.
A droite, l’inscription « The young mod’s forgotten story » (l’histoire oubliée des jeunes mods) fait référence à une chanson et un album du groupe The Impressions, paru en 1969. Elle fait écho à la vogue des mods, une contre-culture anglaise qui rassemblait une partie de la jeunesse des années 1950 et 1960 autour d’une passion pour le le jazz moderniste (aÌ l’origine du terme mods) puis le blues et la soul. Le motif de la cocarde tricolore de la Royal Air Force, symbole des mods, insiste sur cette référence. Les mods s’opposaient aux adeptes du rock, sur le plan musical et vestimentaire : ils accordaient une grande importance aÌ leur apparence et arboraient des costumes ajustés, souvent sur mesure et des chaussures luxueuses. Pourtant, cette contre-culture fédérait des jeunes de la classe ouvrière qui travaillaient dans des usines ou des ports, comme le montre Michelangelo Antonioni dans son film Blow up qui a beaucoup marqué Marc Desgrandchamps. Ces atmosphères contrastées sont réunies dans ce tableau qui rend hommage à un dandysme de masse, rendu possible par le développement de la société de consommation, ainsi qu’au Pop Art anglais, notamment aÌ Peter Blake.
Ce tableau est révélateur à la fois du style pictural de Marc Desgrandchamps et de son goût pour la mémoire et les histoires du passé, le cinéma et la musique, souvent évoquées dans ces œuvres.
Quels prochains artistes aimeriez-vous inviter ?
En principe, il n’est pas du rôle d’un directeur de musée d’assurer le commissariat d’une exposition. J’ai pris en charge l’exposition Marc Desgrandchamps à mon arrivée à Dijon parce qu’il n’y avait pas encore de responsable des collections d’art contemporain. Depuis, Agnès Werly occupe cette fonction, a pris en charge les collections du musée dans ce domaine, la valorisation de la donation Boisecq-Longuet et l’exposition consacrée à Vieira da Silva : il lui appartient désormais de faire des propositions. Des pistes sont envisagées et doivent préalablement être validées par le Maire. Je vous en dirai plus bientôt.
Infos pratiques :
Marc Desgrandchamps
Silhouettes
jusqu’au 28 août
Au Musée Magnin :
Dia-logues
jusqu’au 28 août