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Après l’école, Biennale artpress MO.CO Montpellier 2022 : Interview Coline Lasbats

Coline Lasbats, stills vidéo Cultures artificielles, Biennale artpress 2022 courtesy the artist

Le MO.CO Montpellier accueille la 2ème édition d’Après l’école, biennale artpress, ce qui rejoint sa vocation première comme le souligne Numa Hambursin, l’école d’art MO.CO ESBA étant au cœur de l’écosystème des deux centres d’art contemporains : MO.CO Hôtel des collections et MO.CO La Panacée. Ce panorama qui regroupe 32 artistes diplômé.e.s d’écoles d’art françaises est aussi le reflet de l’engagement de la revue artpress qui va fêter ses 50 ans, nous rappelle Catherine Millet.  Réparti en 3 lieux : MO.CO La Panacée, le Musée Fabre et l’Espace Baguet ce panorama est placé sous le prisme des « ambivalences du présent » choisi par les commissaires : Etienne Hatt, rédacteur en chef adjoint d’artpress et Romain Mathieu, critique d’art et professeur à l’Ecole Supérieure d’Art et Design de Saint-Etienne. Un titre qui trouve un véritable écho chez l’artiste Coline Lasbats -ESAD Pyrénees- comme elle le souligne. S’appuyant sur les tragédies du monde agricoole, elle mène une réflexion écologique en confrontant l’utilisation de feux d’artifice au processus alchimique du medium photographique. Elle s’appuie pour cela dans la vidéo Cultures artificielles, sur les pivots d’irrigation qui diffusent l’eau sans limite l’été dans un champ de culture intensive de maïs. Il se joue alors une ambivalence entre la fulgurance du processus pyrotechnique et la rémanence de l’image. Pour la série de photographies argentiques Labours, Coline Lasbats utilise des milliers de clac-doigts au moment du tirage. Des petits pétards dont la lumière agit comme un flash discontinu sur notre rétine pour reprendre ses mots. Entre archéologie de l’image, esthétique du bricolage et pratiques hybrides, les ravissements proposés ont un goût de nostalgie troublant et persistant. Assurément l’une des propositions les plus pertinentes de ce panorama. J’ai voulu en savoir plus.

Comment avez-vous réagi à l’invitation d’artpress ?

J’ai été d’abord surprise. Certainement par ce que je présentais pour la première fois des travaux photographiques, assez «conceptuel». J’étais aussi curieuse de savoir de quel manière mes travaux trouverai leurs places. L’invitation Artpress est pour moi une marque de confiance dans le fait de pouvoir présenter de la photographie «plasticienne» et de l’intégrer à une réflexion commune. Après avoir assisté au vernissage, j’étais ravie, les propositions sont diversifiées et l’accrochage est riche. La raison se trouve dans le fait que les enjeux de cette invitation reposaient sur la diversité qui a été respectée et encouragée.

Quelles œuvres présentez-vous ?

Coline Lasbats. Je présente Labours, un triptyque de photographie argentique et Cultures artificielles qui est une vidéo performance (7 min20). Ces deux travaux ont été créés à partir de l’utilisation de feux d’artifices à des fins différentes. Labours montre des images de champs de culture labourés. Je souhaitais aborder ce que l’on ne voit pas à première vue, qui existe cependant bel et bien ; la présence des obus exhumés par les pratiques agricoles. Pour ce faire, je me suis attaché à photographier les sillons terreux, les cadrant sous différents angle comme s’il s’agissait de montrer une preuve. Pour les dévoiler, j’ai tiré mes photographies à l’aide de clac-doigts qui viennent mitrailler la photographie tout en la révélant. C’est l’explosion qui fait l’image. Labours traverse différentes strates dans notre histoire en latence, il est question de chimies, celle employé dans l’industrie de guerre puis celle de l’industrie agricole. Leurs connivences est révélé par un troisième type de chimie, celle de la photographie. Cultures artificielles est une vidéo montrant des tirs de feux d’artifices sur un pivot d’irrigation. L’action se passe de nuit dans un champ, le spectateur assiste à la construction d’un parcours de feux d’artifices. Les feux sont installés par un bricolage approximatif utilisant des outils simples (échelle, clous, colliers de fixation) ainsi que des éléments présent sur le lieu (pieds de maïs mort faisant contre-poids, terre). Ces éléments dialoguent avec les prémisses des explosions dont les aboiements de chien côtoie des bruits nocturnes dans une ambiance énigmatique. Comme l’action d’un positif passant au négatif, les germes lumineux explosent à des endroits précis singeant les projections d’eau que l’on peut voir de jour dans les champs. En scrutant l’espace du regard on remarque l’absence de culture dans un espace dont on ne connaîtra pas les limites. Ces interactions posent questions sur l’utilisation d’éléments du vivant et nos besoins de les exploiter.

Cultures artificielles met en scène l’image spectaculaire d’un acte au travers d’une manipulation dangereuse sous-jacente. Tout est réunis pour reconsidérer l’outil comme son affectation par la propension significative que la performance propose. Également, Cultures artificielles témoigne d’un certain ravissement, une contemplation qui magnifie cette irrigation devenue superficielle.

Quelle dialectique se joue entre la fulgurance du feu d’artifice et la rémanence de l’image au cœur de votre processus ?

Les feux d’artifices ont cette caractéristique de donner une lumière fugace. Le phénomène lumineux apparaît puis disparaît marquant la mémoire et l’expérience d’un temps présent. Concrètement, je trouvais que ce genre de caractéristique était insaisissable et c’est en partie pour cela que j’ai commencé à m’y intéresser. En confrontant les feux d’artifices avec le médium de la photographie, médium dont on sait qu’il s’attache à capturer la lumière, le photosensible agit par rémanence dans la rencontre produite. Travailler un sujet est un jeu entre la matière et le vivant qu’il renferme. L’idée est de trouver une pratique s’exécutant à la frontière de ces deux éléments. Pour ce qu’il s’agit d’utiliser les feux d’artifice dans une vidéo, la rémanence apparaît dans l’idée de reproduire un geste en réaffirmant son instantanéité. Les feux d’artifice sont utilisés comme vecteur à fin de permettre d’activer cette matière du présent sur les paysages et objets que je souhaite animer.

L’exemple que je trouve le plus parlant est celui du moment de la révélation des bains pour la série Labours. Après avoir explosé entre les deux mille et trois mille clac-doigts pour un tirage, il n’y a pas d’apparition directe, l’intensité qui se dégage de ce moment ne noircit pas la feuille, la lumière des clac-doigts tirés agit comme un flash répété à notre rétine comme ceux des bruits saccadés de leurs explosions. Au moment de révéler l’image dans le révélateur tout ce qui vient de se produire, réapparaît. C’est une restitution en deux temps, l’effet miroir est troublant à voir et la fulgurance de l’expérience se matérialise une nouvelle fois pour créer une image.

« Les ambivalences du présent » est le titre choisi par les commissaires, en quoi cela résonne t-il pour vous ?

Je crois que chacun d’entre nous s’est attaché à montrer que nous n’étions plus dans des rapports manichéen aux sujets qui nous interpelle. « Les ambivalences du présent » est un titre qui contient la déclaration d’une nouvelle conscience montrant que nous sommes au courant des réalités et de l’enchevêtrement problématique qui les constituent. Il y a cette volonté de dire que résoudre un problème devient fondamentalement plus complexe dans le monde actuel puisque l’absurdité dans notre manière de faire est partout et entraîne des conséquences à la chaîne. Ce titre a une très grande force pour ce qu’il s’agit de mes travaux. Par ce que l’héritage des savoirs faire en agriculture est coincé dans une boucle productiviste se battant (à tort ou à raison) constamment entre l’optimisation et l’éthique. Cet héritage se retrouve aussi dans le fait de ne pas savoir y faire face de façon claire. Rien n’est noir ou blanc, c’est effectivement une ambivalence qu’il faut s’attacher a montrer pour que les sujets qui nous animent puisse se réinventer. Ce qui m’amène à penser que« les ambivalences du présent» permettent d’illustrer en partie l’intérêt que je porte à travailler la photographie argentique dans notre époque du numérique. L’ambivalence est d’ailleurs déjà là, continuer à faire du tirage sachant qu’il est de plus en plus difficile d’en faire tant ces pratiques ne sont plus démocratisées.

Malgré cela, l’importance de faire du tirage est capitale pour chercher la dimension physique et sensible d’une photographie. De cette manière, la photographie devient une image, elle agit présentement dans les capacités à être un support aux facultés hybrides qui répondent aux enjeux actuel d’une pratique artistique.

Infos pratiques :

Après l’école, biennale artpress 2022

MO.CO La Panacée

Jusqu’au 8 janvier

Après l’école, biennale artpress des jeunes artistes (moco.art)

Musée Fabre

Après l’école, biennale artpress des jeunes artistes | Musée Fabre (montpellier3m.fr)

Espace Baguet

La Biennale 2022 – artpress

Catalogue : supplément artpress

les 50 ans de la revue !

Site de l’artiste

https://www.colinelasbats.com

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