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Isabelle Reiher, CCC OD : Rosa Barba, «Déborder la toile» avec Olivier Debré et Pauline Toyer

Rosa Barba «Weavers» vue d’exposition au CCC OD, Tours, France, octobre2022© Photo(s) : Aurélien Mole

L’artiste et vidéaste italienne Rosa Barba entretient un lien fort avec Alexander Calder. Récipiendaire du Calder Prize (Fondation Calder) en 2019, elle bénéficie d’une résidence à l’Atelier Calder en Touraine de septembre à décembre 2021 dont l’exposition au CCC OD de Tours est l’aboutissement. Isabelle Reiher, directrice du centre d’art, a souhaité ainsi donner carte blanche à l’artiste à cette occasion pour investir à la fois l’emblématique Nef et la galerie noire. Un parcours en deux temps qui permet de déployer l’approche filmique et sculpturale de cette artiste à partir d’œuvres nouvelles ou existantes, spécialement rejouées pour les espaces du CCC OD. Bousculant les hiérarchies communément admises du cinéma et interrogeant les propriétés physiques du médium et ses constituants, l’artiste nous invite à des fictions inspirées de la science dessinant une dimension spatio-temporelle autre où l’écran, le corps du regardeur et l’organe de projection se confondent. Isabelle Reiher revient sur le caractère exceptionnel de ce projet en France inscrit dans le territoire du CCC OD, de plus elle invite à une relecture de la pratique d’Olivier Debré aux côtés de 5 artistes contemporaines (Charlotte Denamur, Ann Veronica Janssens, Renée Levi, Flora Moscovici et Thu Van Tran)  avec « Déborder la toile ». Enfin l’artiste émergente Pauline Toyer basée en Loir et Cher, investit les galeries hautes du centre d’art pour une première exposition personnelle intitulée « Roulez plus loin ». Isabelle Reiher a répondu à mes questions.

Rosa Barba, le parcours : enjeux et parti pris

L’exposition se déroule en deux temps.

Pour la Nef, Rosa Barba a réalisé une proposition spécifique dans le prolongement de sa résidence à l’Atelier Calder de Saché en 2021. Cela a été l’élément déclencheur de cette exposition puisque nous avions la chance d’avoir l’artiste dans la région pendant trois mois sur place. Nous avons ainsi noué un vrai dialogue avec elle jusqu’au résultat final.  A partir d’un savoir-faire local exceptionnel  lié à la vannerie encore pratiquée dans le village de Villaines-les-Rochers, Rosa Barba a imaginé et conçu de grands écrans tissés avec la pellicule selon sa démarche habituelle liée aux matériaux filmiques.  Par ailleurs, les appareils de projection deviennent des outils interrogeant notre rapport à l’espace, à la vision, à la perception. Les Weavers qui donnent son titre à l’exposition, issus de ses échanges avec les artisans et d’une relecture minimale et conceptuelle du medium évoluent selon la lumière du jour, chacune des bandes de pellicule étant colorée. Des passages de couleur qui font écho aux expérimentations modernistes du cinéma.

Toutes les inscriptions qui se trouvent gravées sur la pellicule « Dernière images » « Ne jamais couper cette amorce », des sortes de directives, forment comme une poésie, en écho aux expérimentations pratiquées par les artistes du Black Mountain College et notamment John Cage.

Dès le départ l’artiste souhaitait installer ces écrans dans la Nef, visibles de l’intérieur et de l’extérieur et toujours en mouvement par le biais de petits moteurs renforçant l’aspect cinétique d’une sculpture devenue beaucoup plus vaste. De part et d’autres se trouve une installation,  « wire pieces », constituée de  trois vidéoprojecteurs, spécialement créés pour l’exposition à la manière de petits chevalets de violon sur lesquels sont fixés de très grands fils, utilisés pour des instruments de percussion (tambours). Elle tend dans l’espace ces très longs fils qui amplifient la tension de la sonorité. De plus cette pellicule de 16 mm qui tourne autour du film de 35 mm, coupée et recollée à chaque zone de friction avec le fil de percussion, dégage un son. Le tout reste d’une extrême simplicité comme dans la plupart de ses dispositifs.

Ainsi, l’ensemble de la Nef est transformée en une vaste caisse de résonnance musicale également très proche de l’image et du cinéma expérimental dont se réclame l’artiste.

Rosa Barba « Weavers » vue d’exposition au CCC OD, Tours, France,octobre 2022 © Photo
(s) : Aurélien Mole

La galerie Noire, 2ème partie de l’exposition

L’artiste a souhaité ouvrir l’espace de la galerie noire sur les grandes fenêtres des galeries transparentes qui entourent le bâtiment, pour souligner cette sorte de confluence entre la réalité et la fiction. Les paysages projetés par les quatre films diffusés sur les écrans étant ainsi confrontés au paysage extérieur afin de créer un dialogue poétique et brouiller les repères. Le film Inside the outset : evoking a space of passage qui ouvre le parcours est tout récent et a été réalisé à Chypre suite à une invitation du Point Centre for Contemporary Art de Nicosie. Il est à la fois constitué d’images aériennes et d’images sous-marines, mêlant archives et nouvelles prises de vues réalisées pour l’occasion.  Le film souligne la complexité de toutes les strates de cette société chypriote suite au conflit de 1974 et la transformation du territoire, à partir d’une sorte de retour dans le passé. Cette civilisation a été très importante, ce dont témoignent certains vestiges grecs sous-marins même si les paysages actuels portent les stigmates des différentes tensions géopolitiques. L’artiste a imaginé dans cette zone tampon entre les territoires grecs et turcs protégée par l’ONU, un grand théâtre en plein air, ce que reprend la scénographie générale de l’installation avec deux bancs en arc de cercle. Elle est partie de matériaux récoltés sur place et  non exogènes pour aboutir à un geste qui se fonde dans l’environnement. L’écran de cinéma laissé sur place pourra continuer à être utilisé par des associations ou curateurs afin de réunir la population qui peut aussi s’y retrouver pour échanger et passer du temps. L’idée  étant que cette structure naturelle soit laissée à la dégradation des éléments pour revenir au paysage qui l’a vu naître.

Dans la sculpture intitulée The Long Poem, l’artiste a installé une caméra en déséquilibre, la pellicule étant seulement retenue par un poids, le spectateur reconstituant les lettres formant T-H-E-L-O-N-G-P-O-E-M, dans une sorte de tautologie perturbante, renvoyant à ces expérimentations multiples et très simples autour du cinéma et de l’image animée. Le son est comme toujours très important qui renvoie à la mémoire du medium, ces appareils étant de moins en moins utilisés face au numérique aujourd’hui. Nous avons également les Color Clocks au nombre de trois dont l’une dans les galeries transparentes extérieures, dont le design rappelle le mécanisme d’horloges qui agissent presque comme des objets de méditation, chacune renvoyant à une couleur.

Avec The color out of space, vidéo et installation filmique réalisée en 2014 à l’Observatoire de l’Institut Polytechnique Rensselaer (Etats-Unis) dans le cadre d’une résidence à l’EMPAC, l’artiste interroge les liens entre l’astronomie et le cinéma en s’associant avec des étudiants et des chercheurs à partir d’images d’étoiles et de corps célestes et de leurs témoignages, couplées avec des réflexions d’écrivains et de poètes sur les mystères de l’univers. L’utilisation des filtres de verres colorés renforce l’effet de nébuleuses et de perturbation de la vision, soulignant l’effet étranger de la science qui devient une fiction presque déconnectée de la réalité.

Tous les films présentés s’inscrivent dans les enjeux de notre société contemporaine autour de la question de l’environnement, du manque de ressources, dans une forme de distance et d’ironie parfois comme avec The empirical effect (20210) réalisé avec des survivants de la dernière éruption active du Vésuve de 1944 qui vivent dans la zone proche du danger. Ils deviennent les protagonistes d’une évacuation fictive, comme un écho à l’inertie des autorités politiques de l’Italie contemporaine.

Retour sur la genèse de l’exposition

Je connaissais depuis longtemps Rosa Barba et je suis membre à présent du conseil d’administration de l’Atelier Calder selon une volonté commune d’inscrire des passerelles entre nos deux établissements afin que les artistes en résidence puissent pour certains avoir l’opportunité d’une exposition. Nous avons ainsi produit pour la Nef des œuvres issues de ses recherches initiées à l’Atelier Calder. Ce que je trouve intéressant dans son travail est un ancrage à la fois dans la contemporanéité et dans l’histoire du cinéma, de la sculpture cinétique, ce qui ressort à mon sens dans le parcours à travers également toutes ces petites touches en lien avec la poésie sonore et concrète. L’artiste est très marquée de références américaines ayant passé beaucoup de temps aux Etats-Unis.

Déborder la toile Exposition collective autour de l’oeuvre d’Olivier Debré vue exposition CCC OD 2022 (c) F. Fernandez, CCC OD – Tours

Olivier Debré et « Déborder la toile »

Cette exposition s’inscrit dans notre projet d’établissement et dans l’ADN même du CCC OD autour d’une valorisation de l’œuvre d’Olivier Debré mais à travers le prisme d’un centre d’art contemporain. Depuis l’ouverture du nouveau Centre, cette mise en relation avait été faite mais de façon assez limitée notamment lors de l’exposition inaugurale autour de la Norvège. Nous souhaitons amplifier cette mission grâce notamment au travail de Marine Rochard, chargée d’expositions au CCC OD et responsable du fonds Olivier Debré. Marine Rochard m’a proposé cette exposition Déborder la toile qui m’a tout de suite séduite dans cette confrontation entre la peinture d’Olivier Debré et celle d’artistes contemporains qui s’inscrivent dans une relation à l’espace et aux émotions du regardeur, cela dans une pratique hybride, foisonnante et non statique. Le choix final s’est porté sur des femmes, ce qui tient plus du hasard, et que nous assumons pleinement.  Les nouvelles productions concernent Charlotte Denamur et Thu Van Tran dont c’est la plus grande réactivation d’une série préexistante.

Déborder la toile Exposition collective autour de l’oeuvre d’Olivier Debré vue exposition CCC OD 2022 (c) F. Fernandez, CCC OD – Tours

Que pensez-vous du résultat ?

Je suis assez contente de la façon dont le dialogue se fait avec l’espace. Dans son accrochage Marine a trouvé une réponse très juste au défi que représente cette architecture, donnant à cette proposition un caractère inédit et non transposable ailleurs. Ce qui me fait plaisir également c’est que des peintures appartenant à la famille ont pu être sorties, notre collection se limitant pour la plupart à des œuvres graphiques. Une opportunité d’exposer des œuvres rarement montrées et qui ont été restaurées pour l’occasion. Une démarche qui représente un vrai pas en avant pour moi et qui préfigure aussi l’exposition de l’année prochaine que nous préparons avec le Centre Pompidou autour des œuvres de nos deux collections. Ce dialogue assez improbable au départ fonctionne très bien.

Pauline Toyer : point de départ

Il s’agit véritablement de mon choix dans un souhait de présenter des artistes vivant sur le territoire, ce qui a du sens pour notre centre d’art. J’ai d’abord rencontré l’artiste lors de séances de travail avec l’association « Devenir art » qui promeut et défend le statut des artistes en région. J’ai trouvé son engagement très pertinent, ce qui a suscité mon envie d’en savoir plus sur sa pratique. Lors de la visite d’atelier, j’ai perçu les prémisses d’une possible première exposition en centre d’art. Pauline Toyer ayant eu de plus l’opportunité d’une résidence à Paris à la Cité Internationale des arts , cela a en quelque sorte précipité et concentré tous ces éléments en gestation. Je suis très satisfaite et admirative de la façon dont elle a su investir ces galeries assez complexes, l’exposition formant un parcours dont on découvre à chaque fois des échos et correspondances entre le regard, l’ouïe, le toucher.. mais aussi des enjeux autour de l’environnement. De multiples entrées possibles.

Y aura-t-il des catalogues accompagnant les expositions ?

Malheureusement non mais nous gardons toujours en tête de pouvoir travailler notre politique d’édition, en co-production avec d’autres structures ou partenaires.

Des délais revus entre les expositions et l’impact de la situation actuelle

Nous espaçons plus en effet les délais entre chacune des expositions pour des raisons économiques mais aussi pour nous permettre de mieux travailler sur les différents aspects, de faire venir des publics plus variés et à plusieurs reprises autour d’évènements dédiés. Etant donné que nous sommes limités en termes de productions d’œuvres, ce temps plus long favorise aussi la visibilité des expositions et des artistes. Des raisons économiques et environnementales qui ont beaucoup émergé pendant le confinement, de même que la réalité de la situation d’aujourd’hui avec une augmentation générale du budget et des coûts (transports, matériaux…) qui nous oblige à compresser un certain nombre de dépenses.

Observez-vous un retour à la normale du public ?

Nous ne sommes qu’à 70% de nos visiteurs habituels même si ce qui est positif est la venue de jeunes et de manière plus spontanée, lycéens ou étudiants. D’après mon analyse, ils ont beaucoup souffert de ces période de confinement et n’ont pas envie que tout passe nécessairement par le prisme de l’écran.

Relire mes interviews d’Isabelle Reiher en janvier 2020 et juin 2021 (lien vers).

Infos pratiques :

Rosa Barba

Déborder la toile

Pauline Toyer

Centre de Création contemporaine Olivier Debré (cccod.fr)

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