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Sylvette Botella-Gaudichon : William Morris et saison anglaise à la Piscine

Edward Coley Burne-Jones Lady Frances Balfour -Nantes Musée des Beaux-arts photo RMN Grand Palais Gérard Blot

Un automne très British souffle sur le Musée de la Piscine à Roubaix ! Ecrivain poète, dessinateur, architecte, féministe, visionnaire et utopique, l’influence de William Morris est immense. Un héritage qui dépasse largement la sphère artistique et s’inscrit dans les enjeux très actuels de la décroissance et de l’écologie, du respect des hommes et des cycles de la nature face à l’industrialisation grandissante de l’Angleterre victorienne. Si Morris peut être considéré comme le précurseur du Bahaus autour d’un décloisonnement des pratiques et d’une valorisation de l’artisanat, ce que reconnaitra Walter Gropius, sa pensée Arts & Crafts rejoint les fondements mêmes du premier Musée de Roubaix dédié aux arts décoratifs. C’est pourquoi Sylvette Botella-Gaudichon, directrice du musée et commissaire avait pensé ce projet de longue date, qui malgré le Brexit et la pandémie, voit enfin le jour.

Plus qu’une rétrospective, elle propose une évocation des idées et du parcours de l’artiste à la manière des period rooms inspirées de son mode de vie dans la fameuse Red House,  demeure familiale, épicentre joyeux de la création et unique témoignage en Angleterre de ce manifeste. En écho La Piscine met en avant la place des arts anglais dans ses collections qui est considérable, notamment autour de la mode et a invité la styliste Marylin Feltz installée dans l’incubateur Maisons de Mode à Roubaix et très inspirée de l’esprit Do it youself.  L’artiste et photographe Hugo Laruelle nous propose quant à lui une dérive enchantée depuis son atelier de la Maison Verte. Mille et une lectures possibles du récit et de l’ornement chez Morris, alors que l’on peut se replonger également à la librairie dans ses chefs d’œuvres d’anticipation tel que News from Nowhere, dont se réclame Tolkien pour son Seigneur des Agneaux.

Quels liens unissent le musée de Roubaix avec le mouvement Arts & Crafts et l’Angleterre ?

Le musée a été imaginé par Victor Champier, son premier conservateur selon les critères d’un musée des Arts Décoratifs (qui sera celui de Paris), ayant été très inspiré de sa visite à Londres du futur Victoria & Albert Museum et notamment la salle à manger signée de William Morris. A son retour, il est nommé à Roubaix pour créer une école-musée valorisant le patrimoine et la création textile. Il commence une collection autour d’œuvres d’art appliqué et notamment Emile Gallé dont il était ami. A notre arrivée il y a 33 ans avec Bruno Gaudichon, il restait quelques témoignages de cette collection, qui ont été nos premiers jalons pour définir l’Adn d’un véritable musée des arts décoratifs.

Burne-Jones Edward Coley, Sir (1833-1898). Paris, musée d’Orsay.

Un décloisonnement qui fait partie de son héritage

Tout à fait et même si l’artisanat est souvent perçu comme un gros mot en France dans un effet de repoussoir alors que c’est quelque chose de très noble au contraire. C’est un problème de culture française et latine qui ne reconnait pas cette franche de la création. Cela a d’ailleurs contribué à brouiller en quelque sorte l’image de William Morris, souvent réduit à un créateur de tissus et de papier peint alors que tout ce qu’il entreprend a la même valeur à ses yeux.

William Morris-dessinateur-Jeffrey & Cie-fabricant-The pimpernel-vers-1876 Musée des Arts décoratifs

Le projet est-il conforme à ce que vous aviez imaginé ?

A cause de la pandémie et du Brexit je n’ai pu rassembler toutes les œuvres d’Angleterre mais le Musée d’Orsay à travers un soutien exceptionnel s’est montré heureusement très généreux. Une grande chance pour nous. Cette démarche peut inciter aussi d’autres institutions à apporter un éclairage plus complet sur William Morris, notre approche se voulant une traversée générale de l’œuvre à travers les thématiques et les techniques clés.

Quels partis pris scénographiques ?

Nous avons beaucoup réfléchi avec le scénographe Cédric Guerlus, entre proposer un grand loft avec des pièces présentées de façon très muséale ou entrer dans l’intérieur de William Morris dans une perspective domestique autour de rapprochements inhabituels en histoire de l’art comme une toile avec un rideau. Nous avons tenu à aller jusqu’au bout de la démarche en achetant la typographie qu’il a inventé pour les cartels.

La personnalité complexe de Jane Burden, muse et épouse de William Morris, féministe avant l’heure

Il convient de souligner que le cercle Arts & Crafts compte quelques femmes comme Christina Rosetti la sœur de Gabriel Dante Rossetti ou Elizabeth Siddal, jeune ouvrière devenue muse tout comme Jane Burden. Elle n’est pas une simple potiche mais cautionne et maîtrise son image. Elle s’inscrit dans une relative ambiguïté qui annonce les enjeux autour du genre, comme en témoigne le portrait de Rossetti de Jeanne d’Arc, très troublant. Ella porte tous les attributs de la Sainte tout en restant assez masculine. De même dans la fascinante tapisserie des Rois Mages où elle prête ses traits à deux des protagonistes. Une suggestion sensuelle parfaitement assumée pour une femme qui peut être écrasante dans la Roue de la Fortune. Si Morris rencontre Jane Burden très jeune, celle-ci n’hésitera pas à dire combien ce mariage ne la satisfaisait pas après sa mort.

La Red House, épicentre du manifeste, quelle évocation possible ?

Construite en 1859 avec l’architecte Philipp Webb dans la banlieue de Londres, elle est devenue le manifeste Arts & Crafts.

Nous avons confié cet espace d’exposition et ce projet à un professeur d’architecture qui a identifié les éléments fondateurs de façon assez technique de cette maison très simple en apparence, qui va avoir une influence déterminante sur de nombreuses générations d’architectes tel que le célèbre Frank Lloyd Wright. D’abord cadeau de mariage à Jane Burden, cette œuvre d’art total devient le réceptacle des principes esthétiques d’une communauté d’amis et d’artisans qui produisent tout sur place, à commencer par cette brique rouge qui domine.

En France nous avons le seul témoignage d’une maison Arts & Crafts à Varengeville sur Mer, le Bois des Moutiers construite par l’architecte Sir Edwin LUTYENS pour la famille Mallet en 1898, dont l’avenir était menacé. Rachetée par la famille Seydoux, son jardin devrait être toujours ouvert à la visite.

L’art du jardin chez Morris

Le jardin fait partie de cette quête d’harmonie et de beauté chez William Morris au même titre que les arts. Il a beaucoup aimé son jardin de Kelmscott Manor dans les Cotswolds où il se retire jusqu’à sa mort y trouvant une source d’inspiration littéraire également comme avec son roman d’anticipation News from Nowhere,

Le jardin de la Red House est une concentration de ce manifeste autour des principes de la construction médiévale. Il ne s’intéresse pas comme le fait Gertrude Jekyll au paysage. Il va inspirer les cités-jardins et parle très tôt de logement pour ses artisans avec un jardin, insistant sur l’importance de cultiver la terre quand on est artisan, artiste ou intellectuel. Chaque maison doit avoir son jardin potager pour pouvoir de plus, y manger ce que l’on cultive.

Quel est le livre de William Morris qui a eu, selon vous, le plus d’impact ?

Celui qui a eu le plus de succès est incontestablement « Nouvelles de nulle part », premier livre de science-fiction aux multiples traductions et occurrences politiques.

De mon côté ce n’est pas celui que je préfère étant moins sensible à cet univers et cette écriture. J’apprécie beaucoup ses discours, notamment lors de sa conférence sur l’art et l’artisanat. Il est un excellent théoricien et communicant pour l’époque, habitué à faire de nombreuses interventions. Il est très en avance dans ses discours autour de l’écologie et lors de l’un de ses derniers il parle d’être habitué par un rêve et invite à le suivre dans un souffle qui habite de nombreux jeunes actuellement. Si la jeunesse actuelle est plus désespérée que ne l’était Morris il ne serait pas en décalage car il annonce tous les principes du recyclage, du sourcing des matières premières et du pouvoir de transformation de l’artisanat. Dans ses textes autour des guildes, il insiste également sur le devoir de chaque artisan à former à son tour. Tout le monde œuvre pour le bien commun, chacun donne ce qu’il sait faire, ce qu’il peut faire et va apprendre aux autres. Une transmission et un esprit de filiation naturelle qui ne passe pas chez lui par la création d’une école.

Morris n’est pas exempt de certaines contradictions que vous soulignez

Il reste très ambigu étant à la fois socialiste convaincu et chef d’entreprise qui veut faire de l’argent pour le redistribuer ensuite. Il a une personnalité très riche et inclassable comme en témoigne aussi son attitude vis-à-vis de la religion. Alors qu’il est protestant il va jusqu’à s’intéresser à la religion catholique puis il marque une rupture qui  n’est pas un rejet complet. Il ne garde que la culture de la religion comme en témoigne la fantastique peinture de Sainte Marguerite et la Vierge ou la tapisserie des Rois Marges.

Le catalogue

J’ai commandé 9 textes à 9 auteurs pour avoir un spectre le plus large possible autour de ses combats, de ses amis Préraphaélites, des livres et manuscrits qu’il collectionne jusqu’à fonder la Kelmscott Press, de la place de William Morris dans les collections du musée d’Orsay…

L’art britannique est très présent dans les collections du musée comme cela est souligné dans le focus Roubaix Save The Queen

Tout ce qui est exposé le long du bassin fait partie des collections du musée : la mode, la peinture, la sculpture, la céramique…et nous nous sommes aperçus que notre fonds était très riche soit d’artistes anglais vivant en France, soit d’artistes français ayant voyagé en Angleterre. Des échanges très nombreux qui reposent aussi sur le passé économique de Roubaix marqué par l’influence de l’industrie textile anglaise comme nous l’évoquons avec  la section « Roubaix à l’heure anglaise » et la visite d’Etat de la Reine Elizabeth en 1957.

Commissariat Sylvette Botella-Gaudichon

Scénographie Cédric Guerlus – Going Design
Catalogue édité à l’occasion de l’exposition aux éditions Snoeck 

Et en écho, un florilège d’expositions…

Luke NEWTON : Un produit de consommation

Dans son atelier de Roubaix, le plasticien britannique Luke Newton pose un regard empreint à la fois d’humour et de gravité sur une société bouleversée par ses évolutions technologiques et sociétales.

Hugo LARUELLE : Le lac aux îles enchantées

Installée dans la Maison verte, à deux pas du musée, l’artiste roubaisien Hugo Laruelle dévoile un univers harmonieux puisant ses racines dans les contrées fantasmées de la peinture ancienne ou dans ce que la forêt et le jardin renferment d’imaginaire.

Odile LEVIGOUREUX : Les Fruits de la terre

Odile Levigoureux aime transformer la matière, usant de savoir-faire complexes. L’exposition invite à la découverte d’un univers multiple, exubérant, hypnotique, dominé par le végétal, qui témoigne du goût de l’artiste pour l’art baroque. 

ROUBAIX A L’HEURE ANGLAISE : 1840-1968

Lors de son expansion au XIXe siècle, Roubaix n’a qu’un modèle: l’industrie textile anglaise. Entre admiration réciproque et concurrence effrénée, toute l’histoire de la ville est jalonnée de rendez-vous réguliers avec l’Angleterre. 

ROUBAIX SAVE THE QUEEN
Toiles, sculptures, céramiques, mais également objets, vêtements et étoffes emblématiques du Royaume-Uni: autant d’éléments qui, de manière impressionniste, dressent un portrait, subjectif et partiel, de la culture britannique et entament un dialogue visuel avec les collections de La Piscine. 

Marilyn FELTZ : Idylle bohême

Marilyn Feltz est une jeune créatrice de prêt-à-porter qui se revendique fièrement «hors de la mode». Incarnation parfaite de sa personnalité, ses créations faussement classiques mélangent intelligemment des inspirations allant du mouvement Arts & Crafts à la culture clubbing en passant par des références à l’Art Déco et au Biba.

Belles feuilles & Petits papiers : PAT LE SZA : A piece of nonsense*

Le nonsense des collages de Pat le Sza illustre l’absurde, la dérision et rend un hommage exquis à la culture littéraire anglaise. 

Infos pratiques :

William Morris

L’art dans tout Jusqu’au 8 janvier

Un automne anglais à la Piscine

23 rue de l’Espérance, Roubaix

Fermé le lundi

Tarifs : 11/9 €

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