Nous sommes samedi mais pas de répit pour Chantal Colleu-Dumond, heureuse de nous accueillir à l’occasion de cette 15ème Saison d’art de Chaumont sur Loire et des 30 ans du Festival International des Jardins avec comme nouveauté principale un hôtel imaginé par Patrick Bouchain.
« Les Bois des Chambres », véritable écrin du végétal et de la création contemporaine permet de prolonger l’expérience d’un domaine enchanté qui ne cesse d’élargir les possibles sous le règne du vivant. Artistes, photographes, arpenteurs, cueilleurs, paysagistes agissent de concert avec cette formidable réserve de biodiversité du parc (32 ha) dans une harmonie subtile et renouvelée à chaque saison. Juin est une période idéale en termes de floraison et de température sur ces bords de Loire d’une grande poésie.
La saison d’art, entre commandes et créations in situ
Nous sommes accueillis Cour de la Ferme par les grands visages de Jaume Pensa, sa marque de fabrique qui irrigue l’espace public dans une quête d’humanité et de tolérance. A quelques pas, dans l’asinerie le duo Christophe Marchalot et Felicia Fortuna créent la surprise entre préciosité et surréalisme avec le Bain, tandis qu’à l’étage Lélia Demoisy déjoue nos attentes à partir d’une cartographie des espèces instinctive et iconoclaste.
Dans la bien nommée Cour Agnès Varda aux côtés de Joël Andrianomeariosa, Fabienne Verdier, la « passagère du silence » (titre de son livre) nous transporte dans une méditation spirituelle à partir d’un tourbillon de cercles inspirés des soubresauts de la Loire toute proche. Nous restons dans les vibrations intérieurs avec le chant des ormes recrée par Stéphane Guiran, également présent dans les écuries, en parallèle à l’écriture de son roman dont le narrateur est un orme ayant survécu à l’épidémie de graphiose. Un moment très apaisant que prolonge Evi Keller pour la Grange aux abeilles avec matière-lumière, une transmutation alchimique entre ténèbres et lumière et un acte réparateur.
Dans le château pour ce qui est des créations 2022, Christiane Löhr est l’un de mes coups de cœur. Elle a ramassé dans le parc des brindilles, herbes, pistils qu’elle agence dans des installations d’une grande fragilité et minutie, dans une sensibilité proche de l’arte povera, Jannis Kounellis ayant été son professeur à l’Académie des Beaux-arts de Dusseldorf. Cela rejoint les Roues de l’existence de KatarzynaKot-Bach à partir de spirales végétales ou les feuillages séchés de Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger pour la Chapelle. Carole Benzaken se confronte à la bibliothèque de la Princesse de Broglie avec une grande fresque en trompe l’œil conçue à partir d’images prélevées dans la presse et de films personnels.
Jean Le Gac bénéficie d’une exposition à valeur de rétrospective pour cet adepte des Mythologies individuelles, exposé avec Boltanski par Harald Szeemann à la Documenta 5 de Cassel. Des auto-fictions qui empruntent autant au cinéma, au Nouveau Roman, à l’écriture autour de son double, le peintre. A partir des années 1970 il décide de quitter l’atelier pour privilégier le « plein air », tire de l’exposition. Récits de voyages, herbiers, architectures réels et fantasmés alternent. Les déesses hautes en couleurs en céramique de Françoise Vergier m’ont moins convaincues. Dans la galerie digitale, nouveauté également, l’artiste numérique Quayola nous plonge dans le pointillisme et l’impressionnisme avec virtuosité.
Place au parc centenaire où l’on retrouve les silhouettes d’œuvres pérennes de El Anatsui, Eva Jospin, Bob Verschuren.. L’on tombe sous le charme d’une installation a valeur de totem pour cette édition à mon sens : le Réservoir de John Grade. Constituée de 5000 gouttelettes transparentes retenues par deux filets, la sculpture réagit à la pluviométrie en termes de poids et de mouvement. Une réponse d’une grande poésie aux défis écologiques de notre temps. Alison Stigora avec Flux, des branches calcinées qui pointent la terre et le ciel, dessine comme le courant d’un fleuve dans le paysage.
Festival des Jardins : Cartes vertes et incontournables
La carte verte 2020 de Patrick Nadeau pour la Grande Serre, Rainforest permet de basculer dans une autre féérie, sous le thème cette année du « Jardin idéal ». Rappelons qu’en 30 ans ce sont pas moins de 900 jardins expérimentaux qui ont éclos, conçus par des paysagistes, architctes et créateurs du monde entier entre cartes vertes et concours.
Quelques incontournables :
De la nature, Carolotta Montefoschi et Niccolo Cau (Italie) : comment traduire dans l’univers végétal des tableaux de la Renaissance avec jeux de perspectives et effets scéniques.
The Living Batik, Inch Lim (Malaisie) : Sur l’île de Java, le motif de Mega Mendung dans le batik s’est rapidement répandu. Un écran d’acier reproduit le motif du sarong tandis que des plantes flottent au-dessus de l’eau. Pour sortir une note moins bucolique avec un écran fait de jeans qui rappelle l’empreinte écologique de l’industrie de la mode.
Le banquet, Camille Chevrier, Pauline et Florian Dominicy (France) : plus de 150 variétés d’agrumes et de plantes comestibles célèbrent nos goûts du plus sucré au plus amer autour d’une table, symbole festif par excellence.
Le cocon végétal, Gael Lefebvre et Marvin Demaude (Belgique) : un dome tendu de fils blancs abrite une foret primaire entre végétaux indigènes et essences pionnières. Au centre une marre résiste au réchauffement climatique. L’intervention mortifère de l’homme se traduit par la présence d’espèces hostiles.
Bleu 47°(France) : d’Yves Klein à Majorelle, une ode à l’optimisme dans des camaïeux de clématites qui rappellent la touche des grands peintres.
Après la magnifique Arche de roses anciennes, l’on pénètre dans les jardins pérennes des Prés du Goualoup agrémentés d’œuvres de Nils Udo, Pablo Reinoso, Marc Nucera. Je me souviens quand Chantal Colleu-Dumond nous avait présenté les débuts de ce projet d’extension du parc qui est devenu un véritable réservoir de biodiversité au fil des saisons.
Le Jardin méditerranéen de Jean Mus (carte verte) : Amoureux et défenseur de la Provence qui nous offre le meilleur de la Méditerranée entre minéral et végétal, paradis perdu de son enfance à Grasse.
Quatre prix : Prix de la création, Prix Design et idées novatrice, Prix Palettes et harmonies végétales, Prix Jardin transposable viendront récompenser l’innovation et la diversité des écritures et signent l’engagement du Domaine auprès des talents de demain.
Les lauréats des quatre prix seront révélés le 22 juin 2022.
Relire mon interview avec Chantal Colleu-Dumond en avril 2021 : « Chaumont-sur-Loire est un lieu de bien-être et de démocratisation culturelle unique »
Infos pratiques :
Saison d’art 2022
Jusqu’au 30 octobre
Festival International des Jardins, Jardin idéal
Jusqu’au 6 novembre
Tarifs : 19/12 €
Pass 2 jours
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