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Interview Alexandre Quoi, MAMC+, Thomas Ruff, une « Méta-exposition » 1/3

« L’image photographique gouverne nos vies » Alexandre Quoi

Vue de l’exposition Méta-photographie de Thomas Ruff au Musée d’artmoderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole du 14 mai au 22 août 2022. Crédit photo : Aurélien Mole / MAMC+

Aurélie Voltz, directrice du MAMC +, lors d’un entretien en mars dernier, nous dévoilait ce projet exceptionnel conçu autour du photographe allemand Thomas Ruff acquis très tôt par le musée. D’une part il n’avait pas bénéficié de rétrospective d’envergure en France depuis longtemps, et de plus il nous est donné à voir sous un angle totalement nouveau par Alexandre Quoi, responsable du département scientifique du MAMC+ et commissaire. Son idée : dérouler une histoire abrégée du médium est aussitôt adoptée par le célèbre représentant de l’Ecole de Düsseldorf qui lui laisse alors carte blanche dans une confiance totale. Le parcours réunit 17 séries sur plus de 1000m² en lien avec les enjeux et la place de la photographie dans les collections du musée et les recherches qui animent Alexandre Quoi. Un livre d’artiste conçu tout spécialement en étroite collaboration avec l’artiste prolonge l’expérience. Découpée en plusieurs séquences, cette traversée au cœur du médium a une portée à la fois artistique, scientifique et politique tout à fait captivante et nous interroge sur les usages que nous faisons de la photographie à l’ère du numérique et des réseaux sociaux et dont les prémices sont engagées dès l’invention du médium comme le souligne Alexandre Quoi qui a répondu à mes questions. Je vous livre le premier volet de ses réponses à la manière d’une véritable Masterclass.

Le point de départ du projet

Je lui ai soumis une idée qui demandait à être mise à l’épreuve de la sélection, non pas comme le veut généralement l’exercice rétrospectif, de retracer chronologiquement la production des séries mais plutôt de prendre un autre point de vue, celui de remettre en ordre sa production à partir des datations des sujets, des procédés ou des images qu’il s’approprie. Il convient de préciser d’emblée que depuis le début des années 1990, Thomas Ruff ne réalise quasiment plus d’images lui-même mais travaille quasiment exclusivement à partir d’images de sources préexistantes qu’il va choisir de transformer.

Thomas Ruff, flower.s_19, 2019, C Print, 99,4 × 79,4 cm.
Collection de l’artiste © ADAGP, Paris 2022

Quelle est la spécificité de l’exposition ?

Même si l’on a l’habitude de voir très régulièrement Thomas Ruff sur les cimaises des plus grands musées internationaux ou en galeries, on ne découvre de ses séries qu’un tirage isolé alors qu’en réalité cette démarche sérielle, qui consiste à additionner un certain nombre d’images autour d’une thématique ou d’un principe technique, est cruciale dans sa pratique. C’est donc l’opportunité qui nous est donnée à Saint-Etienne de voir se déployer chacune des séries et donc comprendre que sa démarche est en un sens quasiment scientifique ou de type analytique. Il décortique le procédé photographique, ses possibilités qu’il s’approprie ensuite.

Vue de l’exposition Méta-photographie de Thomas Ruff au Musée d’artmoderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole du 14 mai au 22 août 2022. Crédit photo : Aurélien Mole / MAMC+

Comment l’oeuvre de Thomas Ruff rejoint-elle l’histoire de la photographie ?

En regardant l’ampleur de l’œuvre de Thomas Ruff, on s’est aperçu que sur les 34 séries au total qu’il a pu concevoir jusqu’à aujourd’hui, le fait d’en réunir 17 ici nous permettait d’offrir une coupe transversale dans l’histoire de la photographie. Une histoire que j’ai qualifiée d’abrégée, tous les épisodes n’étant pas représentés. Néanmoins, son œuvre donne à mes yeux un condensé autour des principaux jalons de l’histoire du médium. Thomas Ruff appartient à cette génération qui a beaucoup marqué le nouveau statut de la photographie dans le champ de l’art avec cette fameuse Ecole de Düsseldorf et l’enseignement qu’il reçoit de Bernd et Hilla Becher. Si l’on revient souvent à cet élément biographique chez Thomas Ruff et s’il garde de ses maîtres des principes directeurs tels que l’interrogation de la notion d’objectivité, le point de vue frontal de certaines séries, l’on s’aperçoit au fil du parcours qu’il a largement outrepassé les protocoles des Becher pour ne cesser d’inventer de nouveaux moyens de faire de la photographie à partir de son histoire et de des différentes possibilités offertes.

Thomas Ruff,jpeg ib02 , 2007, C-print, 243×188 cm
Collection de l’artiste © ADAGP, Paris 2022

Le parcours de l’exposition : quels partis pris ?

Ces 17 séries se répartissent en 2 sections au sein d’un parcours qui fait environ 1000 m² et que j’ai choisi de subdiviser en 2 phases. La première phase, essentielle à l’histoire de la photographie, son ère dite analogique depuis son invention officielle en 1839 et la seconde qui donne un tournant à tous les enjeux économiques, culturels, artistiques avec l’irruption du numérique. Ces deux phases coexistent et permettent de structurer l’ensemble des séries.

Quelle est la part de sa création en tant que telle ?

D’une part Thomas Ruff apparait comme un historien et il convient de rappeler que l’histoire de la photographie est plutôt récente, le médium apparaissant au milieu du XIXe siècle, mais il faut attendre les années 1980-1990 pour que se produisent de véritables études sur l’histoire de la photographie, hormis quelques institutions majeures comme la Société Française de photographie à Paris. Thomas Ruff va dans ces institutions, dans les musées, pour voir les tirages et devient lui-même collectionneur de ces images. Il est capable de porter historiquement une réflexion sur le procédé qu’il interroge mais il ne cherche pas à créer une illusion de photographie ancienne. Il cherche à nous faire comprendre avec les outils d’aujourd’hui, la réalité matérielle et technique de ces images. Alors que l’on ne regarde pas en détail si ce sont des tirages papiers, des négatifs ou des plaques de verre, chacune de ces évolutions technologiques a complètement révolutionné le medium lui-même, sa capacité de production, de diffusion, de commercialisation. L’artiste vise une prise de conscience de cette histoire de la photographie et de tous ses particularismes. C’est pourquoi j’ai choisi de mettre en exergue dans le texte du catalogue cette phrase de l’artiste essentielle à mes yeux « Je pense que la photographie est un médium très complexe même si cela semble très simple ». Nous sommes tous devenus photographes et même si l’objectif affiché par Kodak très tôt « You press the button, we do the rest » s’est réalisé, à l’inverse Ruff est un vrai technicien de la photographie. Même si ces opérations ou traitements de l’image peuvent paraitre parfois relativement rudimentaires, elles demandent une réelle maîtrise. Et si avec le maniement des logiciels numériques d’aujourd’hui on pense que l’on peut tous transformer une image sur notre portable ou ordinateur, en réalité comme nous le voyons dans le parcours, le degré d’invention et de création de formes est assez sidérant.

à suivre : le parcours en détail de l’exposition, volets 2 et 3

Infos pratiques :

Thomas Ruff Méta -photographie

jusqu’au 28 août 2022

Double Je

jusqu’au 18 septembre 2022

Prochainement :

GLOBALISTO une philosophie en mouvement

MAMC +

Rue Fernand Léger – 42270 Saint-Priest-en-Jarez

Tarifs : 6, 50 / 5 €

MAMC, Musée d’art moderne et contemporain, Saint-Étienne Métropole (saint-etienne.fr)

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