Anita Molinero, Extrudia, Musée d’art moderne de Paris
Le Musée d’art moderne de Paris se penche sur deux femmes fortes aux postures singulières : la sculptrice Anita Molinero (née en 1953) diplômée des Beaux-Arts de Marseille et la surréaliste tchèque Toyen (1902-1980) formée aux Arts décoratifs de Prague et exilée à Paris mais inconnue des français. Deux écritures à rebours de la doxa officielle qu’il est captivant de redécouvrir dans des scénographies d’une grande inventivité et rigueur.
Extruder signifie « donner une forme à un matériau en le contraignant » et c’est le titre choisi par Anita Molinero pour cette première exposition dans une institution muséale parisienne. Justice rendue à sa démarche radicale et exclusive de la sculpture qu’elle rehausse d’une impulsion punk et baroque à la fois à partir de l’omniprésence toxique des matériaux qui nous gouvernent. Une iconographie post-Tchernobyl comme elle le revendique à l’heure du ready made. Ce qui est invisible tue à petit feu.
Ses sculptures de deux poubelles encastrées tête bêche et cramées sur le stand de la galerie Christophe Gaillard qui la représente désormais, avaient fait sensation à Art Paris. Il faut dire que la « dangerosité ordinaire » qui s’en dégagent au-delà de leur apparence ludique a de quoi dérouter. A l’entrée du parcours un parc pour enfants totalement à contre-emploi malgré des couleurs qui se veulent attirantes : le toboggan est cramé, la cabane fondue au chalumeau, le plancher béant …et l’on se doute que la traversée du miroir ne se fera pas sans dégât.
Pots d’échappement, abris bus, plots de chantier mais aussi table d’accouchement ou fauteuil roulant tous passent au lance flamme de cette Dark Vador du polypropylène aux cheveux longs animée de la question du sublime. Car ne nous y trompons pas sous les giclures, torsions, combustions et autres accumulations se cache une post romantique biberonnée à David Fincher, James Cameron ou Quentin Tarantino.
Ses aliens « furtifs » se déplacent même dans les bassins de la grande fontaine sur l’esplanade du Musée le long de la Seine. Des poubelles rouges en PVC fondues devenues chenilles ou serpents des mers. Une faune vibrante, un joyeux carnaval, une parade boursouflée qui simule l’overdose.
Volontiers anticonformiste et très engagée contre le totalitarisme, Marie Čermínová quitte sa famille à 17 ans pour rejoindre les rangs des milieux révolutionnaires pragois. Elle décide alors d’adopter un patronyme masculin Toyen pour sa résonance avec le mot français citoyen qu’elle admire comme le souligne Annie Le Brun, son amie et commissaire de la rétrospective. Avec son compagnon le peintre Jindrich Styrsky elle fonde « l’artificialisme » une vision réconciliée du rêve et de la peinture avant de jeter les bases du surréalisme tchèque. Exilée à Paris elle devient l’amie d’Eluard et de Breton, ce dernier lui ayant organisé une exposition à la galerie Denise René dès 1947.
Le parcours fleuve réunit plus de 150 œuvres et l’on passe des ténèbres à la lumières, des hallucinations à de l’érotisme sous-jacent, de la folie des hommes à l’énigme de l’image. Si toutes ses périodes ne présentent pas la même intensité, force est de constater la dimension tellurique qui l’anime. Son art du collage, ses expérimentations picturales et sa propension à faire des « écarts absolus » -sous titre de l’exposition- révèlent son tempérament frondeur et radical et annoncent les signes précurseurs de l’abstraction lyrique.
Exposition organisée en partenariat avec la Galerie nationale de Prague et la Kunsthalle de Hambourg qui ont accueillis précédemment l’exposition.
Egalement lors de votre visite : le peintre Eugène Leroy à redécouvrir autour de plus de 200 œuvres, alors que le MUba de Tourcoing lui consacre également une rétrospective. Autre artiste inclassable fasciné par les grands maîtres du Nord et le silence, ses compositions atmosphériques demandent du temps et de la contemplation.
Infos pratiques :
Toyen, L’écart absolu
Anita Molinero, Extrudia
Jusqu’au 24 juillet