Sophie Calle avant Sophie Calle au Musée d’Orsay

Sophie Calle, Orsay, 1979 Photo © Richard Baltauss

Cette exposition petite par sa taille tient du génie en la mémoire ressuscitée du lieu, l’hôtel de l’Ancienne Gare d’Orsay par Sophie Calle, exploration qui n’avait jamais été menée jusqu’alors même si le musée possède d’anciens vestiges de ce passé comme la salle des fêtes ou le restaurant.  C’est au détour d’une conversation pendant le confinement que Donatien Grau, conseiller programmes contemporains au Musée d’Orsay et la plasticienne française élaborent la trame de ce projet à plusieurs tiroirs. Les fantômes d’Orsay, titre de l’exposition, tient à la fois d’une enquête et de l’évocation de souvenirs autobiographiques et imaginaires, selon les principes qui animent l’artiste. Un va et vient permanent qui ajoute à l’énigme et sa mystification. 

Si l’ancienne gare d’Orsay avait accueillie Bob Wilson ou Jérôme Savary, le geste architectural révolutionnaire de l’ouverture du musée avait en quelque sorte balayé ce passé, rappelle Donatien Grau. Mais ce qui intéresse l’artiste est cet ancien hôtel abandonné, au charme un peu décati.

Sophie Calle, Orsay, 1979
Photo Sophie Calle
© ADAGP, Paris 2022
Courtesy Sophie Calle et Perrotin

Le point de départ est son expérience vécue dans cet hôtel pour voyageurs de classe moyenne, alors en voie de disparition dont elle collecte des fragments, futurs « trophées » qu’elle enferme dans une valise présente dans l’exposition pour les parer d’une aura dont elle a le secret. Ainsi les fiches des clients, les notes laissées à un employé (un mystérieux M. Oddo qui prend une grande importance), des clés, des objets, des photos de la dernière soirée organisée avec ses amis dans ces chambres désaffectées où le papier peint s’effrite et la tuyauterie se dissout, deviennent le matériau de l’œuvre en devenir. Comme le ferait un archéologue et ce n’est pas un hasard si Sophie se fait accompagner dans cette démarche par un éminent anthropologue, Jean-Paul Demoule. Sous son regard d’expert, ces objets de rebut deviennent alors des ready-made magnifiés dans des mises en scène très conceptuelles et d’une très grande précision comme le souligne Donation Grau. Cette attention extrême aux détails prévaut à toute l’exposition, selon la rigueur de Sophie Calle. « Une obsession pour la fabrication des choses » que l’on retrouve à chaque étape du parcours (jeux de lumière, socles…) et à chacun de ses projets.

Sophie Calle, Orsay, 2021
Photo  © François Deladerrière

Dans la 2ème partie du parcours elle choisit demettre en lumière parmi les œuvres endormies du musée pendant le confinement, les tableaux les plus iconiques des collections : l’Olympia de Manet, la Nuit étoilée de Van Gogh, le Déjeuner sur l’herbe et le Moulin de la Galette, l’Origine du Monde..S’y ajoute la pratique d’écriture de l’artiste pour composer une sorte de phrase et des poèmes qui parcourent les murs. Une sorte de palimpseste de mots se dégage. Le mystère s’épaissit alors quand Sophie découvre sur le plan du musée aujourd’hui qu’il n’existe plus de chambre 501, son refuge du passé. A-t-elle rêvé ? Est-elle devenue elle-même un fantôme ? Le titre du catalogue qui accompagne l’exposition (Actes Sud) sera donc L’ascenseur occupe la 501.

Si l’exposition rassemble toute une série de méthodologies développées par l’artiste, comme le conlut le commissaire, elle a valeur de manifeste car tous ces éléments portent la genèse de l’œuvre en devenir : le rapport à l’archéologie et à l’histoire -n’oublions pas que le musée a été réquisitionné après la guerre pour accueillir les premiers déportés des camps-, le sommeil, le ready-made, l’enquête, la photo par d’autres, la photo par elle…

Son extraordinaire inventivité méthodologique et sa liberté totale en font une artiste inclassable et qui va avoir une grande influence sur d’autres générations. Elle nous propose un voyage, un cheminement à partir de ces multiples fils tissés et chacun peut alors faire sa propre histoire et y croire ou pas !

Publication : L’ascenseur occupe le 501. Sophie Calle avec Jean-Paul Demoule

Edition Actes Sud, 366 pages, 69 € disponible à la librairie du musée.

Infos pratiques :

SOPHIE CALLE

Les fantômes d’Orsay

Jusqu’au 12 juin

Musée d’Orsay (musee-orsay.fr)