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Charles Ray, coup double à la Bourse de commerce-Pinault Collection et au Centre Pompidou !

Charles Ray, Fall 91, 1992. Fibre de verre peinte, cheveux, vêtements, bijoux, verre et métal 244 × 66 × 91 cm.  © Courtesy of the artist / Photo Donald Young Gallery

L’on assiste à un mélange des genres de plus en plus fréquent dans l’art contemporain et l’exposition de l’américain Charles Ray est symptomatique de cette influence grandissante de la sphère privée sur les institutions publiques qui fait grincer les dents en France et moins dans d’autres pays. On connait le talent de François Pinault pour faire adouber ses artistes par les musées, que ce soit Zeng Fanzhi exposé au MAM Ville de Paris, Martial Raysse ou Jeff Koons exposés au Centre Pompidou, s’assurant ainsi de leur cote et validation par le marché. Or depuis l’ouverture de la Bourse de Commerce, sublime écrin parisien de cette Collection, la proximité avec le Centre Pompidou ne peut qu’inciter les projets mutuels et la double exposition Charles Ray marque les débuts de cette nouvelle ère. Si le musée parisien ne possède pas d’œuvres, la cote de l’artiste étant largement au-dessus de son budget d’acquisition, le collectionneur breton a consenti à plusieurs prêts, offrant un panorama autour de 40 œuvres réparties sensiblement à part égale, même si les espaces circulaires de la Bourse de Commerce offrent plus de recul et de possibilités de monstration pour ces sculptures qui déjouent les lois de la gravité et de la représentation. Cette actualité correspond de plus avec l’arrivée d’Emma Lavigne, ancienne directrice du Centre Pompidou Metz à la direction de la Collection Pinault, les transfuges dans ce sens étant nombreux.  

En réalité le coup d’envoi de l’opération avait été envoyé dès 2009 depuis Venise avec Boy with Frog, devenu incontournable de la Pointe de la Douane.  Ce jeune garçon dans une allure inspirée de la grande statuaire antique entre la figure Antique du David de Donatello et la désincarnation d’un Canova contemple de façon distanciée cette grenouille. Ses pupilles n’étant pas dessinées, son regard nous reste impénétrable. Première anomalie d’une série de détails qui concourent au caractère étrange et déstabilisant suscité par Charles Ray, maître de l’illusion.

Boy with Frog, 2009 Acier inoxydable peint, Pinault Collection

Dès le seuil de la Bourse du Commerce un cavalier nous accueille, Horse and Rider. Autre rhétorique de l’histoire de l’art, la statue équestre triomphante qui se trouve débarrassée de tous ses codes et à contre-emploi avec cette figure d’anti héros, vouté et fatigué sous le poids de son destin. Un portrait de l’artiste qui renvoie d’une part à son séjour dans une académie militaire particulièrement dure et aux grands mythes de l’Amérique liés au Far West et à la conquête. « Poor landsome cow-boy » avons-nous envie de dire. Pesant plus de 10 tonnes, sa densité instaure un certain rapport au temps et à l’histoire. Une fois à l’intérieur de la magistrale Rotonde un curieux spectacle nous attend. Un petit garçon qui à même le sol, est totalement absorbé par une voiture, une coccinelle, qui donne son titre à l’œuvre, The New Beetle. Il a cette faculté comme tous les enfants, d’arrêter la course du monde le temps d’un instant que nous sommes invités à partager moyennant de s’assoir à ses côtés. Ce nu pervertit également les canons de la tradition sculpturale de par son absence de socle ou de piédestal et son manque d’idéalisation. En acier inoxydable peint en blanc, autre marque de fabrique de l’artiste il renvoie à Young Man, nu masculin dont la nonchalance contredit l’héritage antique du Kouros grec archaïque et de la posture du contrapposto.

Young Man, 2012 Acier inoxydable, Pinault Collection

Il convient d’insister sur le processus de fabrication des œuvres qui peut prendre plusieurs années selon un constant souci du détail qui écarte tous les accidents, doutes ou repentirs. Cela explique pourquoi la production de Charles Ray est relativement limitée. D’abord en argile puis en fibre de verre, l’œuvre reçoit ensuite sa matière définitive. Les technologies les plus abouties sont convoquées : scan de photographies, modèles en 3D, moulages en Forton MG, armatures en acier inoxydable recouvertes de fibres de verre peint en blanc et sculptures en métal directement taillées depuis l’atelier de son ami le fondeur Mark Rossi. Du jamais vu ! Variations de matériaux, jeux d’échelles, tension, créent une ambiguïté entre ce que nous pensons reconnaitre intuitivement et ce qui n’en finit pas de se dérober à notre regard. Moment d’émotion devant Sleeping Woman, cette sans-abri que l’artiste découvre sur le banc d’un abribus à Santa Monica. Totalement assoupie dans une posture en déséquilibre malgré l’agitation de la ville et perdue dans son sommeil comme le souligne son poids de 3 tonnes Elle renvoie aussi aux archétypes de l’American Way of life, comme ce mangeur de burger ou ce mannequin féminin démesurément grand sous les traits de la working girl des années 1980 dans son tailleur aux larges épaulettes. C’est au cours de son expérience de veilleur de nuit dans un grand magasin que l’artiste a commencé à s’intéresser aux mannequins mais pas dans une approche de fétichisation puisqu’ils sont dénués de toute expression et dotés d’un strabisme divergent. Une fois encore nos réflexes de déjà vu sont mis à mal. Petite parenthèse signalée par un avertissement avec ce qui ressemble à une parthouse géante et débridée, Oh Charley, Charley, Charley autour du corps de l’artiste 8 fois cloné dans des postures très suggestives. Un pastiche du Grand Verre Duchampien ? L’artiste déclare : « Je masturbe mon identité et mes désirs restent hermétiquement à l’abri d’autrui ».

Transition avec l’exposition du Centre Pompidou (galerie 2, niveau 6) qui réserve d’autres grands moments de solitude comme face à cette famille dysfonctionnelle sortie d’un mauvais conte de Grimm, Family Romance, où les enfants sont surdimensionnés face à leurs parents. Même gêne avec les deux autoportraits en photographie Yes & No. Le mimétisme en est troublant. Avec Yes, photographie prise alors que l’artiste était sous LSD, ce qui arrive assez fréquemment, l’illusion est à rechercher du côté de la surface convexe du mur sur laquelle elle est accrochée, créant un effet de distorsion assez symptomatique. Avec No, il s’agit de la photographie d’un mannequin de cire modelé à l’image de l’artiste au maquillage grossier, qui malgré sa grande fidélité, est totalement dépourvu d’affects créant une sorte de malaise. Avec School Play il s’agit de refermer ce qui forme une trilogie avec The New Beetle et Boy with Frog. Ce petit garçon qui aimait les voitures et les grenouilles, a grandi, il est maintenant étudiant en âge de recevoir les attributs du pouvoir, la toge antique version contemporaine avec un simple drap et une épée en plastique ! Avec Portrait of the Artist’s Mother, l’artiste revisite les Vénus allongées de la Renaissance de façon crue et décalée sous un aspect volontiers psychédélique et très érotique. On referme cette brillante traversée du désir et du regard avec Puzzle Bottle la silhouette de l’artiste encapsulée dans une bouteille de verre qui a nécessité de nombreuses recherches. Un peu comme ces maquettes de bateaux que les navigateurs réalisaient pendant leurs longues traversées.

Rapport au temps et à la vanité d’un fabuleux magicien du réel. Un Ovni, pasionné de phénomènes surnaturels, enfin montré à Paris ! Une visite s’impose et dans les deux lieux, même s’il est regrettable qu’un ticket mutualisé entre les deux lieux était trop compliqué à mettre en place.

Catalogue commun aux deux institutions (éditions Centre Pompidou)

Sous la direction de Jean-Pierre Criqui et Caroline Bourgeois, 216 pages, 45 €

Infos pratiques :

Charles Ray à la Bourse de Commerce

Jusqu’au 6 juin

Plein tarif : 14€
Tarif réduit : 10€

Billetterie

Bénéficiez d’un tarif réduit de 10€ sur présentation du billet de l’exposition Charles Ray du Centre Pompidou.

https://www.pinaultcollection.com/fr/boursedecommerce/

Charles Ray au Centre Pompidou

Jusqu’au 20 juin

Billetterie

https://www.centrepompidou.fr/fr/

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