Portrait de Greta Meert courtesy Galerie Greta Meert © Photo de Jonas Van der Haegen
Fondatrice et directrice de la galerie éponyme, Greta Meert a su s’imposer sur la scène belge et internationale autour d’une ligne minimale et conceptuelle, véritable colonne vertébrale qui structure ses choix et son regard depuis les origines. D’abord collectionneuse, elle a choisi le métier de galeriste à l’âge de 38 ans sans préméditation mais selon une série d’heureuses coïncidences. On compte dans son écurie aussi bien Carl André, Donald Judd, Louise Lawler, Jan Dibbets que Gerard Byrne, Katinka Bock, Isa Genzken ou Edith Dekyndt. Elle revient sur les exigences de ce métier et l’engagement au quotidien qu’il représente, clé du succès dans la durée. Si la période de la pandémie a été compliquée, cela a permis aussi d’engager des réflexions nécessaires sur les priorités essentielles ou non, comme elle l’explique. Je la rencontre dans l’élégant immeuble Art Nouveau du quartier de Canal, à l’occasion de l’exposition de l’artiste belge Jef Geys qui sera suivi du français Jean-Luc Moulène. Une personnalité d’un grand calme et concentration qui inspire le respect autant que la sympathie.
Votre galerie défend une ligne, quelle est-elle et pourquoi ?
Greta Meert : J’ai une ligne que je défends même si ce n’est pas obligatoirement nécessaire mais c’est le fondement même de la galerie.
Je me concentre sur les grands maîtres conceptuels et minimals tels que Robert Barry, John Baldessari, Sol LeWitt, et leurs suiveurs, des artistes plus poétiques que j’alterne afin de ne pas les mettre en concurrence. Je m’attache aussi à mettre en valeur une génération d’artistes italiens relativement éclipsés par l’Arte Povera tels que Enrico Castellani, Gianfranco Baruchello ou Carla Accardi et des plus jeunes inscrits dans une réflexion autour de l’histoire et de l’identité : Eric Baudelaire, Iñaki Bonillas, Valerie Krause, Anne Neukamp ou Pieter Vermeers.
Votre participation aux foires : Art Anvers, Art Basel…
Notre prochaine foire sera Art Basel qui est théoriquement maintenue, alors que Miami a proposé de reporter mais dans le même état d’esprit que pour Art Anvers j’ai préféré attendre une année de plus et puis faire un grand retour. Si l’on a perdu un peu de visibilité pendant cette période, il sera facile de se relancer.
Le développement du virtuel pendant le confinement
GM : Les gens pendant cette période ont découvert l’art par le biais de leur écran même si cela ne remplace pas totalement l’expérience. Sotheby’s a toujours envoyé des catalogues de vente dans le monde entier avant chaque vente. La mise en place de notre Viewing Room a rencontré beaucoup de succès.
Cela demande une véritable préparation avec toute une mise en scène autour de l’exposition virtuelle impliquant pleinement l’artiste. Cela a bien fonctionné dans le sens où nous avons dû être plus explicites et accessibles autour d’œuvres et d’artistes que l’on présente. Nous mettons souvent en avant un aspect spécifique de l’artiste afin de faire découvrir au public l’artiste d’une autre façon. C’est un contenu très enrichi par rapport au livret ou texte de visite proposé aux visiteurs de la galerie.
L’exposition actuelle : Jef Geys
GM : Il est l’un des artistes les plus remarquables de la Belgique relativement méconnu du public malgré de grandes expositions internationales, décédé il y a quatre ans. Nous proposons sa 5ème exposition solo ne reflétant volontairement pas la totalité de sa démarche. Cette sélection resserrée s’explique par sa prochaine exposition au WIELS en septembre 2023. Nous nous concentrons sur ses hommages aux capots de voiture, des œuvres qui remontent aux années 1960. Au-delà de son côté minimal, Jef était un révolutionnaire, un formidable touche-à-tout qui ne travaillait pas pour le marché. Il est représenté en France par la galerie Air de Paris et je trouve qu’il mérite ce genre d’enseignes qui engagent une vraie réflexion.
Quelle est selon vous, la définition même d’une galerie ?
GM : Une galerie n’est pas selon moi, uniquement un lieu commercial mais engage une réflexion, un statment autour du choix des artistes. Ce qui a tendance malheureusement à disparaitre.
J’ai toujours continué à montrer mes artistes historiques même quand dans les années 1990, d’autres galeries s’ouvraient à de plus jeunes artistes. J’ai sauté une ou deux décennies qui ne correspondaient pas complètement à ma sensibilité. Quand on vient du minimal avec Rothko, Barnett Newman.., il est difficile de changer subitement de cap !
C’est toujours l’artiste qui fait la différence au final, quelle que soit la localisation d’une galerie. Si l’on prend l’exemple de la galerie Pietro Sparta dans le village de Chagny en Bourgogne, qui participe à la FIAC ou Art Basel il a les meilleurs artistes : Mario Mertz, Marisa Mertz, Daniel Buren… Même si je suis d’une autre génération je dis toujours que c’est l’artiste qui prime et si l’on a une programmation intéressante, l’adresse passe au second plan, les vrais amateurs se déplacent et les collectionneurs vous repèrent.
Pourquoi y-a-t-il selon vous, une telle concentration de galeries à Bruxelles ?
GM : La scène de Bruxelles est relativement récente, et remonte à 10 ans seulement. Selon moi elle s’explique par la venue massive de français pour échapper aux taxations fiscales. Aussi bien des parents et enfants, tous collectionneurs. Les galeries françaises se sont donc naturellement déplacées pour les suivre en s’installant à Bruxelles ce qui a élargi de fait l’offre.
Fonctionnement de l’équipe
GM : Nous ne sommes que 5 ce qui semble peu mais nous réussissons bien comme cela. L’on remarque quand nous allons à la foire de Bâle, que les galeries viennent avec une équipe pour installer, une autre pour démonter, pour vendre. C’est un choix mais « small is beautifull », n’est-ce-pas ?
A quand remonte votre vocation ?
GM : Je suis collectionneuse depuis l’âge de 27 ans. Un jour alors que nous étions à la foire de Bâle Philippe André Rihoux avec qui j’ai démarré l’aventure, et moi, nous avons évoqué l’idée de la galerie dans un café. Je ne réalisais pas du tout ce que cela impliquait. C’est un travail qui prend toute une vie. Il a quitté le projet au bout de 15 ans.
Il me disait toujours que je n’avais que ça alors que j’avais un mari, deux enfants, une maison.. ! Des propos très réducteurs. Mais quand on veut que quelque chose fonctionne, il faut s’y consacrer entièrement, ce que souligne si on les interroge, Barbara Gladstone, Marian Goodman ou d’autres femmes galeristes. Je crois que les femmes donnent plus que les hommes. Un jour lors d’un interview et j’y repense souvent j’ai déclaré : « depuis que l’art est devenu un objet de spéculation, ce qu’il a toujours été d’ailleurs, mais à plus grande échelle, les hommes ont décidé de choisir ce métier où les femmes étaient largement majoritaires ». En effet si l’on songe à Denise René à Paris ou à New York ce sont les femmes qui ont créé le marché. Cela s’explique je pense par la nécessaire écoute à donner à l’artiste alors que les galeristes hommes sont plus tournés vers le business et restent très pragmatiques. Il s’agit selon moi de développer autant d’intuition que l’artiste et de s’inscrire dans le temps.
Comment faire face aux crises et durer ?
GM : J’ai dû traverser trois crises. Tout d’abord la Guerre du Golf avec lors de la foire de Madrid aucun américain présent. Puis il y a eu la faillite Lehman Brothers qui a entrainé tout sur son passage. En ce qui concerne cette pandémie la situation en Belgique a été moins terrible qu’ailleurs. Se tourner vers l’art a sans doute été un réconfort pour beaucoup de gens et s’est révélé au final assez positif pour nous. Alors que beaucoup de personnes ont tout fait pour rester proactifs j’ai préféré attendre et toute l’équipe de la galerie était d’accord pour se poser. Non pas se reposer pour autant mais l’art c’est aussi le rêve, un rêve concret car il ne s’agit pas bien sûr de perdre de l’argent. Avec cette surconsommation les vrais amateurs ont commencé à être dégoutés du système qui devenait un mensonge et notamment pour les artistes qui ne le méritaient pas.
Et si c’était à refaire ?
GM : Sans hésiter ! C’est une aventure magnifique et la plus belle vie que l’on puisse imaginer. C’est un monde où l’on côtoie tous les milieux de la grande bourgeoisie, aux collectionneurs, intellectuels, artistes dans leur studio… Il faut être agile tout en restant déterminé. On apprend beaucoup la flexibilité sociale.
Infos pratiques :
Jef Geys
jusqu’au 5 février
A venir : Jean-Luc Moulène,
Anne Neukamp
24 février – 1er mai
Galerie Greta Meert