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Numa Hambursin, MO.CO. la programmation 2022 : Berlinde de Bruyckere, la Biennale artpress et Musées en exil

Berlinde de Bruyckere, La femme sans tête, [The Headless Woman], 2004. Cire, bois, verre/Wax, wood, glass, 192 × 82 × 182 cm. Courtesy Fondation Sandretto Re Rebaudengo

Numa Hambursin a dévoilé sa prochaine programmation à partir de l’été 2022 ayant tenu à maintenir les expositions engagées par son prédécesseur. Chapitre 1er avec l’artiste flamande Berlinde de Bruyckere qui bénéficiera d’une ambitieuse monographie à l’Hôtel des Collections. Numa Hambursin revient sur l’évidence de ce choix dans le prolongement de la remarquable sélection faite par le commissaire Vincent Honoré au sein de la collection italienne Sandretto Re Rechaudengo à partir de la thématique du corps qu’il soit contraint, invisibilisé ou sublimé. Un fil rouge qui irrigue toute l’histoire de la représentation comme le souligne Numa Hambursin et la notion de chef d’oeuvre qui l’anime. Le MO.CO. présente également actuellement Sol ! biennale du territoire qui rejoint sa volonté de soutenir la jeune création régionale, initiative qui sera reconduite. La biennale artpress programmée à La Panacée s’inscrit également dans ce sens même si une polémique agite actuellement étudiants et professeurs de l’Ecole des Beaux-Arts qu’il entend résoudre dans la transparence et le dialogue. Autre projet inédit Musées en exil autour d’une réflexion sur la nécessité de délocaliser temprorairement une collection en temps de conflit à partir des musées de Santiago du Chili, de Sarajevo et de la Palestine (Institut du Monde Arabe).

Numa Hambursin a répondu à mes questions.

La question du corps et du portrait qui est au coeur de la brillante sélection opérée par Vincent Honoré au sein de la collection Sandretto Re Rebaudengo traverse l’histoire de la représentation comme vous le soulignez dans la préface du catalogue, quel regard portez-vous sur ce parcours ?

Cette exposition s’inscrit parmi les expositions exceptionnelles proposées depuis quelques années au MO.CO. autour de grandes collections, notamment privées. L’un des points forts du MO.CO. est sa capacité à choisir un parti-pris : ne pas montrer uniquement des œuvres phares de ces collections privées, comme c’est souvent le cas dans ce type d’exercice, mais de les inscrire dans une thématique plus large, qui les dépasse. Une thématique qui offre une réflexion à la fois théorique et pédagogique. La collection italienne Sandretto Re Rebaudengo réunit plus de 4500 œuvres à partir desquelles les curateurs du MO.CO. Vincent Honoré et Caroline Chabrand ont opéré une sélection resserrée d’une soixantaine d’œuvres qui traitent du corps. Une thématique très intéressante comme je l’ai exprimé dans la préface du catalogue car c’est à la fois l’un des thèmes majeurs de l’histoire de l’art que l’on trouve dès l’Antiquité et ô combien à la Renaissance et, malgré cela qui réussit à refléter chez les artistes contemporains les obsessions de notre temps. C’est pourquoi ce parcours est si pertinent. Il a la faculté de montrer comment à partir d’une thématique usée jusqu’à la corde, les artistes contemporains s’en emparent et créent de nouvelles manières d’aborder le corps, que ce soit d’un point de vue politique, intime, identitaire. Cette exposition met en exergue les tiraillements de notre époque.

J’ajouterais qu’au-delà de cette thématique générale, il se dégage des ensembles d’œuvres remarquables et rarement vus en France, notamment un groupe de peintures de Lynette Yiadom-Boakye.

Sanya Kantarovsky, Letdown [Déception], 2017. Huile, aquarelle et pastel sur toile216 x 165 cm. Crédit photo : Luhring Augustine. Courtesy de l’artiste et Luhring Augustine, New York, Fondazione Sandretto Re Rebaudengo.

L’artiste flamande Berlinde de Bruyckere qui est présente dans l’exposition fera partie de votre prochaine programmation, en quoi s’inscrit-elle dans la notion de chef d’oeuvre que vous défendez ?

Je rappelle que ma programmation commencera à l’été 2022 car je souhaitais respecter jusqu’au bout la programmation conçue par mon prédécesseur.

Berlinde de Bruyckere sera notre grande exposition de l’été 2022 à l’Hôtel des Collections. C’est l’une des artistes européennes les plus importantes aujourd’hui. Elle a tout de suite adhéré à notre projet et joué le jeu en voulant s’investir pleinement dans l’exposition. Nous avons eu de nombreux échanges, elle est venue à Montpellier et nous lui avons rendu visite à son atelier de Gand. Il sera formidable de pouvoir dévoiler des œuvres inédites, dont certaines conçues spécialement pour l’occasion. Nous avons la chance au MO.CO. de pouvoir générer de telles expositions, qui encouragent de nouvelles créations.

Il est vrai que le thème du chef d’œuvre sur lequel nous nous étions déjà entretenus, m’est assez cher et rencontre parfaitement le travail de Berlinde de Bruyckere. Il s’agit de sculptures qui traitent à la fois de questions éminemment contemporaines, comme la question du corps en souffrance par exemple, devenu l’image d’Epinal de son travail mais aussi de questions qui s’inscrivent dans un temps très long autour des métamorphoses ou de la transcendance. Des textes nous viennent à l’esprit, tel Ovide par exemple. Berlinde de Bruyckere est une artiste capable de renouveler des formes qui en même temps s’inscrivent dans une vraie histoire, dans le temps long. Selon moi l’une des définitions du chef d’œuvre concerne aussi les œuvres que l’on ne réussit jamais à épuiser complètement, soit grâce à leur richesse formelle soit grâce à la pluralité de leur sens. Des significations à plusieurs entrées, que l’on ne peut tout de suite expliciter. La notion du chef d’œuvre rejoint celle du sublime, le « sub-limes », au-delà de la frontière, de la limite, ce moment où les mots se brisent sur l’œuvre et deviennent insuffisants. Je trouve que dans un certain nombre d’œuvres de Berlinde notamment que face à la série remarquable des Arcangelo que nous allons présenter, les mots se brisent et deviennent impuissants.

Lina Bertucci, Vandana, 2004, Vidéo N&B, Durée : 3’47”. Crédit photo : Lina Bertucci, Courtesy Fondazione Sandretto Re Rebaudengo

Comment Sol ! la biennale du territoire rejoint-elle votre engagement en faveur de la scène régionale contemporaine ?

Cette Biennale est une excellente initiative qui sera reconduite.

Les centres d’art sont souvent confrontés à ce rapport, cette dialectique entre le local et l’international, la venue de grands artistes internationaux et en même temps la défense de l’art d’un territoire. Il faut réussir à articuler ces deux composantes. Au MO.CO. nous avons, avec l’Hôtel des Collections et la Panacée, cette force de tir qui nous permet de répondre à cette double exigence. Avec Sol, la sélection d’artistes correspond à un vrai choix curatorial qui a été mené sur plusieurs années, avec de nombreuses visites d’ateliers à Montpellier et ses alentours (Nîmes, Béziers..). Cette sélection correspond à des critères nécessairement subjectifs. Il ne s’agit donc pas, comme cela m’est souvent souligné, d’une photographie de la création locale mais d’une vision subjective qui était nécessaire et que l’on va renouveler autour de curateurs à chaque fois différents. L’idée est d’offrir une présentation cohérente qui soit aussi riche et exemplaire que lorsque l’on fait venir Berlinde de Bruyckere. Il faut donc garder cette exigence et peut-être même l’amplifier.

Numa Hambursin © Brice Pelleschi MO.CO. 2021

La biennale artpress, autre temps fort de votre programmation dont la première occurrence a eu lieu au Musée de St Etienne, suscite une polémique de la part des étudiants, quelle est votre réaction ?

Comme vous le savez, le MO.CO. est un triptyque articulant deux centres d’art, La Panacée et l’Hôtel des Collections avec l’Ecole des Beaux-arts, cette dernière faisant intégralement partie de l’ensemble. Avec ce positionnement unique en France, cette école a donc le devoir de mener, à mon sens, une réflexion beaucoup plus approfondie sur la question fondamentale de l’intégration des jeunes diplômés dans le monde de l’art, étape décisive souvent peu anticipée. A Montpellier et en lien avec l’écosystème du MO.CO., le choix a été fait de soutenir les diplômés en leur donnant de vrais outils, comme les nombreuses résidences post-diplôme ou les opportunités d’exposition au sein de biennales avec le parcours offert par notre programme « Saison 6 ». Les études des Beaux-arts ont ce paradoxe d’être très difficiles à intégrer et à accomplir, mais de buter sur le manque de débouchés. Souvent avec le temps, on trouve des artistes qui ne peuvent aller jusqu’au bout de leur vocation par manque de moyens et qui doivent renoncer. Nous sommes vraiment engagés dans cette politique de soutien. La Biennale art press entrait précisément dans cette démarche. Son concept est de sélectionner un certain nombre d’artistes qui sortent des écoles d’art partout en France et de les inviter à une grande exposition inter-écoles. L’objectif est de promouvoir ces artistes en devenir, et d’encourager les différents professionnels du monde de l’art à venir découvrir leur travail, repérer les futurs talents et engager des projets avec eux.

Actuellement la Biennale art press se heurte à des réticences que je n’avais pas anticipées, je dois dire, autour des prises de positions de Catherine Millet en février 2021 sur l’affaire Claude Lévêque. Je tiens à rappeler très clairement que d’une part à titre personnel je n’avais pas signé cette tribune à l’époque. D’autre part, les commissaires de la Biennale qui sont deux journalistes d’Art press ne l’ont pas signée non plus. Il s’agit donc strictement des prises de position personnelles de Catherine Millet. Elle ne représente pas à elle seule artpress, malgré le rôle qu’elle y joue, et artpress n’est pas que Catherine Millet. Je suis très attaché à la liberté de la presse et aux débats de la critique d’art. Je trouve donc dommage de jeter toute l’opprobre sur art press et la Biennale dans sa totalité. Malgré les défauts qu’elle peut avoir, comme toute publication, artpress est une revue qui depuis 50 ans a compté au niveau national et international, et a porté l’art contemporain français. Malgré cela, je veux absolument être en dialogue avec les étudiants et les professeurs de l’école que je vais rencontrer très prochainement. J’ai déjà suggéré un projet de rencontre entre les deux commissaires de la Biennale et les étudiants et professeurs pour pouvoir échanger,  débattre en toute transparence et trouver des solutions.

Ed Adkins Hisseur [Souffleur]  2015
Vidéo HD et son 
crédit photo : Cabinet gallery London. Courtesy Fondazione Sandretto Re Rebaudengo

Vous avez annoncé également pour l’automne 2022 Musées en exil  autour du rôle clé des biens culturels dans la construction d’une identité par et pour des communautés en temps de conflit, pouvez-vous nous en dévoiler la genèse et les contours ?

Ce projet qui impliquera les musées de Santiago du Chili, de Sarajevo et le musée de la Palestine (hébergé par l’Institut du monde arabe), part d’une interrogation autour de la collection. Qu’est-ce que signifie pour un musée bâtir et présenter une collection ? On pourrait se cantonner à des critères esthétiques et historiques, or l’on se rend compte que cela dépasse de beaucoup ces critères notamment en période de conflit, de guerre civile ou de coup d’état comme avec Pinochet à Santiago du Chili. En réalité, les œuvres d’art ont une symbolique beaucoup plus forte et quand un musée disparait à la suite de destruction, pillages ou vols, une nouvelle collection est créée ailleurs dans l’attente de son retour possible sur le territoire une fois la situation stabilisée et la démocratie retrouvée.

Qui en assurera le commissariat ?

Le commissariat sera assuré par Vincent Honoré avec l’aide de l’équipe curatoriale du MO.CO. Je tenais à mon arrivée à ce que la programmation se décide en concertation avec les équipes, non pas imposer toute une série d’expositions déjà préconçues. Nous sommes dans une discussion constante. Chaque « musée en exil » occupera un plateau de l’Hôtel des Collections.

Vous faites souvent allusion au rôle du passeur, quelle en est votre définition ?

Je me méfie un peu des termes de « curateurs » et « médiateurs » que l’art contemporain affectionne. Le terme de « passeur » reflète le rôle de ces personnes dont le métier est de promouvoir les artistes, leur œuvre, et de transmettre leurs connaissances et leur passion pour l’art. Cela renvoie aussi à l’imaginaire antique, le passeur entre les deux rives, entre deux mondes. Ce terme de passeur est intéressant car positif. Il désamorce le préjugé selon lequel l’art contemporain serait difficile à comprendre, compliqué, nécessitant des gens très érudits pour l’expliquer. Je ne suis pas du tout d’accord avec cela. Même s’il y a des propositions artistiques contemporaines très complexes, d’autres restent accessibles même si l’on n’a pas étudié l’art contemporain, selon la fameuse phrase reprise ad nauseam de Picasso qui déclarait « l’art contemporain c’est comme le chinois cela s’apprend ! » Je pense au contraire, qu’il est possible d’avoir une émotion, un choc devant une œuvre, alors même que l’on n’a pas « appris » l’art contemporain.

Infos pratiques :

L’épreuve des corps

jusqu’au 13 février 2022

Sol ! la biennale du territoire

jusqu’au 9 janvier 2022

https://www.moco.art/

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