Vue d’expositionTremblements Acquisitions récentes du Nouveau Musée National de Monaco MNM – Villa Paloma Photo : NMNM/Andrea Rossetti, 2021
A l’occasion d’OVNi festival, découverte de l’exposition Tremblements, Acquisitions récentes du Nouveau Musée National de Monaco sous le commissariat de Célia Bernasconi conservatrice, qui à partir de la « pensée du tremblement » définie par le poète et philosophe Edouard Glissant, rend hommage en filigrane aux choix de Marie-Claude Beaud, Directrice du NMNM de 2009 à 2021, animée d’un esprit d’ouverture en prise avec les problématiques de notre temps. Revendiquant une approche décloisonnée des médiums et des récits, le film engagé de l’artiste afro-américain Arthur Jafa The White Album qui ouvre le parcours, appelle à une nécessaire réécriture. Les vidéos de Brice Dellsperger, Sylvie Blocher, Laure Prouvost ou Pauline Boudry et Renate Lorenz poursuivent cette traversée politique et poétique de l’image en écho avec des peintures et sculptures où il est question d’invisibilité et de dépossession des corps, de racisme et de colonisation du regard. Un acte politique inédit de la part du NMNM dont se félicite Célia Bernasconi qui revient également sur son rapport au medium vidéo et nous dévoile la nouvelle exposition à la Villa Sauber consacrée à un dialogue entre Monaco et Alexandrie pour « repenser l’histoire de la modernité et raconter les trajectoires multiples des artistes » comme le résume Björn Dahlström à l’origine de cette invitation faite aux commissaires Morad Montazami et Madeleine de Colnet pour Zamân Books & Curating.
Pourquoi est-ce important pour le NMNM d’être associé au festival OVNi ?
Nous collaborons depuis plusieurs années avec OVNi parce que nous poursuivons des objectifs communs autour de la question de l’image en mouvement qui est une partie importante de l’identité du musée de Monaco, avec des acquisitions dans ce domaine dès l’arrivée de Jean-Michel Bouhours à la Direction du NMNM en 2003 (il était auparavant directeur du département du cinéma du Centre Pompidou). Jean-Michel a commencé à tisser de nombreux liens entre vues d’optique, pré-cinéma, automates, théâtre, film et vidéo. La vidéo est un medium que nous avons beaucoup exploré également ces dernières années sous le mandat de Marie-Claude Beaud.
OVNi est une initiative de proximité qui contribue à dynamiser notre territoire et nous sommes très heureux de nous y associer. Nous faisons partie du réseau Botox qui permet de nous relier, de mutualiser un certain nombre d’événements comme les déplacements presse ou certaines programmations comme la projection « Cinéma performé » du 28 novembre au cinéma de Beaulieu-sur-mer.
Quels sont les partis pris scénographiques de Tremblements ?
L’idée qui a présidé à l’accrochage, était de se référer à cette « pensée du tremblement » mais aussi à la pensée du musée d’Edouard Glissant, perçu comme « un endroit où des lieux du monde sont mis en relation avec d’autres lieux du monde ». Une définition que je trouve très belle. Il s’agissait donc de remettre l’artise au centre du musée, dans l’esprit d’une esthétique de la relation défendue par Glissant.
L’exposition réunissant un grand nombre de vidéos sonores, je souhaitais donner des contrepoints plus silencieux à travers des peintures et des sculptures.
Dès lors le public se trouve tout de suite confronté au début du parcours à un grand tableau du peintre grec Apostolos Georgiou qui côtoie sur le même étage une installation vidéo de l’artiste américain Arthur Jafa et plus loin, les sculptures en acier de l’artiste kosovar Petrit Halilaj. Il était important pour moi de ne pas se concentrer sur un seul médium, ce qui nous permet de refléter à la fois la diversité de la collection mais aussi cette diversité de points de vue et de voix qui sont au cœur du musée à travers des artistes très différents. La vidéo permet de faire ce lien entre la chorégraphie et les arts visuels.
L’organisation du parcours
Le parcours s’est organisé autour de l’œuvre très forte d’Arthur Jafa, The White Album, qui s’inscrit dans la continuité de sa pratique d’albums photographiques, commencée dès son plus jeune âge et sans doute à l’origine de son travail d’artiste. C’est un essai visuel et musical sur la condition blanche, ce que l’on pourrait appeler la blanchité, cette supposé « blancheur » et qu’est-ce que cela veut dire.
Le premier étage
A partir de ces notions de racisme et de suprématisme blanc aux USA, j’ai voulu organiser ce premier étage autour d’œuvres majeures qui traitent des questions d’identité mais aussi de conflits comme Abetare de Petrit Halilaj autour du Kosovo ou Marginalia, la peinture suspendue de l’artiste australienne Helen Johnson qui aborde la colonisation à travers la situation particulière de l’Australie et son rapport à la Grande Bretagne ou encore le réalisateur britannique Steve McQueen et la sculpture Weight autour du poids de l’oppression, de l’enfermement. Cette œuvre a été réalisée à la prison Reading où Oscar Wilde était incarcéré pour homosexualité. Il aborde également la colonisation et l’esclavage. Ce lit de prison surmonté d’une moustiquaire en or évoque plusieurs images dont le film Western Deep, tourné par Steve McQueen dans la mine d’or la plus profonde du monde et l’oppression des mineurs obligés de mettre leur vie en jeu pour sortir l’une des matières les plus précieuses.
Ces questions politiques sont également abordées par la vidéaste française Sylvie Blocher qui reprend le très beau discours de Barak Obama de Philadelphie en 2008 performé par l’un de ses amis. Un discours décisif lors de sa première campagne dans lequel il répond à ses détracteurs et décide de raconter sa famille, ses origines, son métissage et l’histoire d’une de ses grands-mères elle-même raciste. Le tout est mis en musique de manière très sensible par David Bichindaritz dans ce portrait filmé. Cette œuvre qui termine le premier étage renvoie au White Album de Jafa et ce portait de l’Amérique de 2009 à 2021 qui n’a beaucoup évolué.
Le 2ème étage
Le deuxième étage s’organise autour de la performance et du corps. Il ouvre sur la série de photos de l’artiste nigérian Yinka Shonibare qui avait été invité par Marie-Claude Beaud en 2010.
Yinka fait le lien avec la question de la décolonisation du regard et des pensées. Pour la série Odile et Odette il a dû lui-même recruter une ballerine noire pour performer ce Lac des cygnes revu et corrigé avec des costumes en tissu wax. Aucune danseuse noire n’était présente dans le corps de ballet du Royal Opera à Londres, ce qui n’a pas malheureusement pas changé.
Avec Brice Dellsperger, nous rentrons dans les questions d’identité et de genre mais avec une touche pop très humoristique. Jee souhaitais en effet rythmer l’exposition avec des temps de respiration, plus légers. « Body Double » est un remake du film improbable Xanadu des années 1980 inspiré de Grease. Un clin d’œil à cette tradition hollywoodienne du roller disco qui a disparu après. Dellsperger fait intervenir le grand danseur et performeur François Chaignaud qui interprète les neuf muses du film Xanadu sur la chanson « I’m Alive » d’Electric Light Orchestra.
L’installation vidéo Silent de Pauline Boudry et Renate Lorenz dialogue avec une photographie de Nan Goldin représentant une superbe drag queen des années 1970. Enfin, nous présentons la vidéo Les Indes Galandes de Clément Cogitore, qui avait invité des chorégraphes et danseurs Krump à s’approprier le célèbre opéra-ballet de Rameau, en renversant ainsi le point de vue et l’interprétation.
Le 3ème étage
L’installation de Candice Breitz, intitulée Alien, nous donne à voir et entendre le processus d’aliénation culturelle subi par toute personne immigrée, à travers 10 portraits diffusés sur moniteurs.
Ensuite, c’est un étage que je voulais plus silencieux, plus méditatif. Il y a toujours la question sous-jacente de l’exotisme puisque l’on arrive sur le palier avec cette forêt de cactus de Katinka Bock que j’ai choisi de mettre en dialogue avec une peinture de Latifa Echakhch qui s’inscrit à présent dans une série qu’elle a véritablement initié à Monaco autour de la notion de jardin exotique. Que nous dit cette carte postale de Monaco d’une nature artificiellement créée au sein d’une peinture sur béton qui s’effrite en référence à la rocaille ? Je trouvais cela intéressant cette mise en regard avec les cactus en bronze de Katinka Bock qui contiennent à la fois cette matière en fusion et les cendres du cactus consumées, la chair étant encore présente. Ces œuvres dialoguent avec une sculpture de l’artiste Hans Schabus, évoquant le voyage. Le voyage et l’exotisme sont deux thèmes essentiels dans l’œuvre de Laure Prouvost, dont on présente ici une tapisserie tissée par sa grand-mère fictionnelle.
La dimension politique de Tremblements
J’ai voulu montrer des œuvres très engagées dans cette exposition, ce qui n’avait pas encore été fait de manière aussi directe au MNMN et je trouvais que c’était le bon moment de révéler ces œuvres acquises au fil des années et avec le soutien de notre présidente La Princesse de Hanovre qui est très active au sein du musée. Cela relevait il faut le souligner, d’une certaine audace et d’un certain courage de la part de nos directeurs. Cette exposition était nécessaire dans la période que nous vivons, selon la pensée de Glissant qui appelle à être en accord avec le tremblement du monde. C’est aussi ça, le rôle d’un musée.
A titre personnel, quel est votre rapport à la vidéo ?
C’est une vaste question et à titre personnel le film a toujours exercé une fascination très forte. Si l’on veut remonter aux origines de mon parcours, j’ai travaillé pendant longtemps au Musée Cocteau à Menton dès l’origine du projet, avec la volonté de montrer le cinéma de Cocteau sur le même plan que son œuvre écrite ou dessinée C’est cette « encre de lumière » qu’il comparait à ses dessins. Cocteau est l’un des artistes précurseurs qui cherche à introduire l’image en mouvement dans son œuvre protéiforme.
L’image en mouvement, était donc déjà présente dans ce musée. C’est un rapport que je trouve naturel et qui se prolonge à Monaco avec l’héritage de Diaghilev qui faisait venir sur scène des artistes d’univers très différents et les fondements mêmes de la collection, ouverte et pluridisciplinaire. Cela nous tient particulièrement à cœur de poursuivre cette démarche très inclusive. Une collection reflète aussi des rencontres et liens particuliers avec des artistes comme Brice Dellsperger, dont nous soutenons le vaste projet filmique Bodydouble et avons l’une des plus grandes collections publiques.
Pouvez-vous nous parler de la prochaine exposition qui se déroulera à la Villa Sauber « Monaco-Alexandrie, le grand détour » ?
Je n’en suis pas la commissaire mais je peux vous en donner les grandes lignes. C’est notre directeur Björn Dahlström qui a invité Morad Montazami à proposer ce regard totalement inédit entre Monaco et Alexandrie dans la première moitié du XXème siècle. C’est une perspective nouvelle sur la question des modernités, les artistes exilés ou de passage dans ces deux villes et un pan de l’histoire de l’art oubliée autour du cosmopolitisme poétique et du surréalisme égyptien. Morad Montazami a découvert des artistes arabes exceptionnels, contemporains de Breton qui étaient en lien avec les artistes français. Il met en lumière de nombreux voyages d’études de peintres européens comme Kees Van Dongen ou André Lhote qui sont dans la collection du NMNM et qui ont séjourné en Egypte à cette période. L’exposition tisse enfin un lien inédit entre les collections du musée et les collections publiques et privées égyptiennes.
Infos pratiques :
Tremblements, Acquisitions récentes du Nouveau Musée National de Monaco
jusq’au 15 mai 2022
NMNM – Villa Paloma
56, boulevard du Jardin Exotique, Monaco
MONACO ALEXANDRIE le grand détour
NMNM- Villa Sauber
17, avenue Princesse Grace, Monaco
Prochaine exposition à la Villa Sauber : Monaco – Alexandrie, le grand détour. (nmnm.mc)