De la série «Cabinet anatomique », 2012 assemblage d’objets sur gravure originale du XIXe siècle courtesy de l’artiste et de la galerie Anne Barrault, Paris© Daniel Spoerri / ADAGP, Paris, 2021
« L’art ne m’intéresse que dans la mesure où il est une leçon d’optique.» Daniel Spoerri
Une exposition à Nice sur Daniel Spoerri, rien de très original a priori sauf quand il s’agit d’une initiative d’Hélène Guenin qui entreprend depuis son arrivée à la tête du MAMAC une relecture actuelle et ambitieuse des collections autour notamment de l’héritage du Nouveau-Réalisme. Après les formidables Amazones du Pop, place à Daniel Spoerri comme vous ne l’avez jamais vu ! Sa partenaire dans l’aventure est la commissaire Rebecca François qui a construit le projet comme la traversée d’un spectacle de fête foraine à partir de 300 œuvres et documents d’archives dont beaucoup d’inédits. Si l’artiste est plus connu pour ses tableaux-pièges cette relecture globale de son œuvre offre de nouvelles pistes d’exploration tout à fait passionnantes.
Objets et restes de repas fixés sur panneau de bois Collection privée, Milan Photo Fabio Mantegna
© Daniel Spoerri / ADAGP, Paris, 2021
Poète, metteur en scène, éditeur mais aussi danseur, chef cuisinier, collectionneur et enseignant il ouvre la voie à l’in situ et à l’art de l’éphémère mais aussi à l’objet dérivé ou à la démocratisation du goût autour d’une réflexion constante sur le vrai et le faux, la nature morte et l’illusion. Des premières Foires aux puces nous basculons dans les Pièges à mots et Détrompe l’œil en guise de préambule pour arriver aux séries des fameux banquets participatifs conçus avec sa bande de copains, l’amitié étant essentielle au processus de création de l’artiste. Jean Tinguely le premier qu’il rencontre à son arrivée à Paris avec qui il pose les jalons du théâtre dynamique et restera son compagnon de route, puis Yves Klein, Raymond Hains, Meret Oppenheim, Eva Aeppli, Martial Raysse, Robert Filliou, Dieter Roth ou Niki de Saint-Phalle font partie de sa cartographie affective et sentimentale à géométrie variable. Des compagnons de jeu et d’expérimentation sans fin sur lesquels il teste ses trouvailles culinaires à l’occasion de l’ouverture en galeries de différents restaurants éphémères entre Paris à la galerie J, New York à l’Allan Stone Gallery et Zurich à la City Gallery. Jusqu’à ouvrir son propre restaurant à Düsseldorf en 1968 entre happening permanent et éditions d’œuvres d’art comestibles par le biais de la Eart Art Gallery attenante. Morellet ou Arman, Dorothée Selz ou les Lalanne sont auteurs complices ou traiteurs occasionnels de ces rituels dont les protocoles varient. Un art de la prestidigitation qui rejoint les talents du forain et dont l’un des temps forts est la Ultima Cena, sorte de banquet funèbre en hommage aux représentants du Nouveau Réalisme dont chacun des attributs est le prétexte à un plat : menu emballé pour Christo, nana gelée pour Niki de St Phalle, tiare pontificale pour Pierre Restany.
La nourriture devient alors prétexte et vecteur à des jeux de mots et de hasard, des figures de style d’une intense fantaisie et ingéniosité intellectuelle. L’on regarde ces images avec une réelle nostalgie quand on songe à nos codes de présentation si formatés de l’art contemporain.
Daniel Spoerri dans sa Chambre 13 de l’hôtel Carcassonne,
Paris, 1961 Bibliothèque nationale suisse, Cabinet des estampes : archives Daniel Spoerri photo Vera Mercer
© Daniel Spoerri
Puis la mystification devient l’amorce d’une muséographie de l’intime sous forme de nombreuses collections d’objets les plus dérisoires sous le règne du cabinet de curiosité comme l’Optique moderne rassemblant des lunettes d’artistes, de la valise (exposition à Cologne en 1961), les objets de magie à la noix collectés sur l’île de Symi, le Musée des reliques fétichistes à l’occasion de l’ouverture du Centre Pompidou allant jusqu’à la réplique de sa première chambre-atelier numéro 13 de l’Hôtel Carcassonne à Paris (24 rue Mouffetard), qui revit sous nos yeux grâce au don de la fondation RNK. L’artiste ira jusqu’à acheter la collection d’objets souvenirs d’une comtesse allemande qu’il présentera sous le titre Le Cabinet de Mama W pour le château d’Oiron, chacun des objets devenant investis d’une charge émotionnelle supplémentaire comme pour déjouer la légitimité des musées. Puis il explore les croyances autour de l’eau guérisseuse avec la Pharmacie bretonne et livre une médecine exploratoire du corps humain quasi scatologique, comme si l’œil devenait le scalpel de son cerveau. De la préciosité à la monstruosité. Bataille n’est pas loin et cette dissection en règle ferme le parcours sur une note crépusculaire et presque funèbre. Car au-delà de cette beauté qui s’agite et se fige, la mort rode. L’éternel apatride qui comme le forain se nourrit de ses voyages et ses rencontres n’a pas dit son dernier mot et pendant le confinement a imaginé depuis son appartement viennois des œuvres monumentales à partir d’objets de son quotidien dont il n’a plus l’usage. S’il n’a pu se déplacer à l’occasion du banquet d’ouverture de l’exposition du MAMAC, d’autres formes de spectacles gastronomiques vont scander la programmation. On garde en mémoire ses fausses salles muséales basculées que le public pouvait traverser ou ses performances culinaires déchainées. Sacrilège de nos jours et pourtant amorce sans fin d’une réflexion sur le sacré et le profane, le populaire et le savant, le haut et le bas. Chapeau l’artiste !
Catalogue de 176 pages, éditions Silvana Editoriale sous la direction de Rebecca François. En vente à la boutique.
A ne pas manquer également lors de votre visite, le nouvel accrochage des collections du dernier étage notamment la salle 9 qui, sous le titre Histoire.s de l’œil (Bataille) nous plonge dans le concept de Male Gaze (regard masculin) théorisé par la critique Laura Mulvey dans son ouvrage Visual Pleasure and Narrative Cinema. Elle analyse la manière dont le cinéma – et de manière générale, la culture visuelle dominante -, sont déterminés et formatés par la vision masculine et hétérosexuelle participant à la construction de stéréotypes.
Œuvres de la collection du MAMAC : Jean-Charles Blais, Pierre Klossowski, Liz Magor, Robert Malaval, Julião Sarmento.
Artistes invitées : Aïcha Hamu et Katrin Ströbel.
Courtesy the artist and Esther Schipper, Berlin, photo © Jens Weyers
Prochainement en Galerie contemporaine : Isa Melsheimer
Pour cette exposition, l’artiste s’est plongée dans la riche histoire de la Côte d’Azur, territoire d’expérimentions de l’architecture moderne, dont elle propose une hybridation entre fantasmes et reprise du réel à partir de l’infestation des palmiers, devenus les symboles de la Riviera, par le charançon rouge. Tout l’espace de la galerie devient un paysage onirique et métamorphique dans lequel des céramiques de la larve de l’insecte et des évocations d’architectures modernistes s’imbriquent. Il est question alors de survie des espèces et des fondements de nos écosystème. L’artiste est représentée par les galeries Esther Schipper à Berlin et Jocelyn Wolff à Romainville qui soutiennent le projet.
Relire l’interview qu’Hélène Guenin m’a accordé à l’occasion des Amazones du Pop (lien vers 9 Lives-magazine)
Infos pratiques :
Le Théâtre des objets de Daniel Spoerri
Jusqu’au 27 mars
Isa Melsheimer
du 20 novembre au 27 février 2022
(galerie contemporaine)
Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain
Place Yves Klein, Nice
Ouvert tous les jours de 11h à 18 heures sauf le lundi.
A Nice vous pouvez compléter par le festival vidéo OVNI dans les chambres d’hôtels et différents lieux, les expositions à la Villa Arson : de Julie Béna, Beatrice Celli et des diplômé.e.s 2020, Construire sa prétendue et à la Station/109 : Saga (dans le cadre d’OVNI).
Ensemble de la programmation : réseau Alpes-Riviera
Botox(s) | Réseau d’art contemporain Alpes & Riviera (botoxs.fr)