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Keren Detton, Frac Grand Large : Yona Friedman, ARCHIPEL, synergies territoriales et transfrontalières

Victoria Carré, Margaux Ribeaucourt et Caroline Carpentier. Diplômes, A suivre. Frac Grand Large-Hauts-de-France 2021

C’est à l’occasion de la foire lilloise Around Video Art Fair que j’ai retrouvé Keren Detton, directrice du Frac Grand Large – Hauts-de-France pour une visite passionnante autour de l’exposition itinérante de Yona Friedman, des restitutions des résidences d’artistes lancées pendant le confinement ou du solo show de l’artiste Nicolas Deshayes. De plus l’exposition des jeunes diplômé·e·s de l’Esä | Dunkerque-Tourcoing est une première autour de cet accent mis sur l’émergence. Autant de projets qui illustrent sa volonté et son engagement à nouer et poursuivre de nombreuses synergies régionales et transfrontalières, notamment au Familistère de Guise. Une première autour d’un dialogue inédit entre les collections des Frac Picardie (Amiens) et Grand Large (Dunkerque) sur laquelle elle revient tout en dévoilant ses prochains projets. Une exposition conçue avec le Design Museum de Gand sera notamment l’un des temps forts 2022 autour de ce qui fait l’ADN du Frac.

Keren Detton a répondu à mes questions.

Familistère de Guise, Genèse du projet

L’enjeu de l’exposition « Une journée en utopie » était d’associer les deux collections des Frac des Hauts-de-France, ce qui est une première. Depuis que la Picardie et le Nord ­– Pas-de-Calais ont été réunis au sein d’une même région nous avons cherché des modalités de collaboration afin d’organiser le déploiement territorial des collections. Avec Pascal Neveux, le directeur du Frac Picardie, nous travaillons de manière concertée et complémentaire, tant pour la diffusion que pour le soutien à la création. Aussi nous sommes chacun présents dans nos comités d’acquisition respectifs. Le Familistère de Guise représente une réelle opportunité d’un lieu emblématique de par son passé d’utopie sociale réalisée et d’espaces de vie comme en témoigne l’aménagement documenté du site. L’exposition, conçue avec Frédéric Panni, directeur du Familistère, occupe quatre appartements d’époque et s’inspire librement de l’histoire industrielle et des passions fouriéristes. Ces espaces domestiques impactent fortement la manière de percevoir l’art dans une véritable proximité voire intimité. Un lieu très inspirant donc.

Vue de l’exposition Une journée en utopie, Familistère de Guise

Comment le dialogue s’est-t-il créé autour des œuvres des deux Frac ?

Nous sommes partis de l’idée d’une journée en utopie, qui est devenu notre fil directeur. Nous suivons quatre moments de la journée qui appellent l’éveil, le travail, le loisir et la nuit. La question du désir est également très présente et rejoint un sujet important chez Charles Fourier, l’inventeur du phalanstère. Nous avons travaillé à partir d’atmosphères et d’ambiances, portées par des textes littéraires de Boris Bergmann commandés spécifiquement. Une large place est faite au dessin, medium très présent dans les collections du Frac Picardie, et aux divers médiums présents dans la collection du Frac Grand Large : sculptures, installations, photographies et quelques œuvres de design.

Penchons-nous sur l’œuvre de Céline Ahond située au début du parcours dans la grande halle du Familistère…

C’est une acquisition récente du Frac Grand Large, produite par le centre d’art La Ferme du Buisson où l’œuvre a été exposée la première fois. Elle est constituée d’une étagère avec des dizaines d’objets façonnés en carton à la suite d’ateliers menés par l’artiste auprès de différentes populations. Céline Ahond commence ses ateliers en demandant « de quoi avez-vous besoin ? »  On remarque de nombreux objets servant à communiquer (des téléphones portables, des caméras, des porte-voix…) mais aussi des accessoires pour un braquage de banque ou encore un isoloir ! Des faux qui servent  selon l’expression de l’artiste « à jouer à faire semblant pour de vrai ». Elle a créé en complément de cette installation un mur vert, couleur d’incrustation utilisé en vidéo, invitant les visiteurs à s’emparer des objets, les manipuler et se photographier, prendre un selfie. Ce dispositif interroge le vivre ensemble par ces objets qui invitent à se relier aux autres et à se mettre en scène. Le matin du vernissage au Familistère un atelier a été proposé pour les habitants. Leurs objets, dont un poêle Godin remarquablement façonné, étaient très signifiants par rapport au passé industriel du lieu et aux savoir-faire qui disparaissent.

Quels accents ont été mis en termes d’acquisition en cette période de crise ?

Le ministère a octroyé des dotations exceptionnelles aux Frac, ce qui a permis d’augmenter d’un tiers le nombre des achats du Frac Grand Large et d’en faire bénéficier un grand nombre d’artistes en France et en région.

Maxime Testu, ARCHIPEL

Les expositions actuelles : émergence !

Nous avons la chance d’avoir un grand lieu permettant plusieurs expositions simultanées, cette saison est marquée notamment par la présence d’artistes émergents.

« Archipel ­— quatre résidences, mille expériences » donne à découvrir les œuvres de Maxime Testu, Jean-Julien Ney, Nefeli Papadimouli et Emmanuel Simon qui ont été accompagnés dans le cadre de la résidence ARCHIPEL en partenariat avec les écoles d’art de pratique amateur de Calais, Boulogne-sur-Mer, Denain et Lille. Pendant la période du confinement, le Frac a développé différents types de résidences artistiques, l’accompagnement à la création étant une autre forme de soutien que l’acquisition. Outre le programmeARCHIPEL , nous avons lancé une résidence de designer avec Julien Carretero, poursuivi les résidences en entreprise avec en 2021 Émilien Leroy et une résidence avec l’artiste Angyvir Padilla en collaboration avec Le Château Coquelle à Dunkerque et dans le cadre de la biennale Whatch This Space (réseau 50° nord).

Vue de l’exposition Run Test 2021, Frac Grand Large — Hauts-de-France, Dunkerque © Donovan Le Coadou / Photo : Salim Santa Lucia

« RUN TEST » est une autre exposition actuellement visible au Frac Grand Large et issue d’une résidence en entreprise. Donovan Le Coadou a été accueilli pendant plus de deux ans sur le site industriel de Total à Dunkerque, l’ex-raffinerie transformée depuis 2011 en une plate-forme de services dont le centre de formation OLÉUM, à l’origine du projet. Il a suivi peu à peu le rythme et les mouvements des équipes, observant la transformation du complexe industriel, en particulier le démantèlement de réservoirs désormais inutilisés. Donovan Le Coadou s’intéresse aux fragments matériels de cette industrie pétrolière que les équipes l’aident à rassembler : pales, tuyaux, coudes, hélices, blocs, virole. Il resserre son choix sur des tubes coudés en acier qu’il greffe et assemble en circuits fermés. Ils sont les témoins muets du processus de démantèlement qui s’apparente, derrière la caméra de l’artiste, à une chorégraphie improvisée entre l’homme et la machine.

Vue de l’exposition Glissements, Nicolas Deshayes, Frac Grand Large — Hauts-de-France, Dunkerque Photo : Salim Santa Lucia

L’exposition de Nicolas Deshayes, « Glissements »

Nicolas Deshayes réalise des installations, des sculptures, des bas-reliefs à partir de matériaux industriels mais traités de manière artisanale. Alors que son œuvre rencontre un écho grandissant au Royaume-Uni, en Allemagne et en Italie, il présente sa première exposition monographique en France en deux lieux : au Frac Grand Large un regard sur dix années de production, et au centre d’art du Creux de l’enfer à Thiers de nouvelles expériences plastiques menées en fonderie d’art et en thermoformage. Réalisées à partir de la fonte de différents métaux et plastiques, les œuvres jouent de grossissements organiques et de recherches de matières inédites, trouvant un écho avec la puissance des sites, celui de la Vallée des usines en Auvergne et les sites industrialo-portuaires du littoral dunkerquois. Aluminium, bronze, acier émaillé mais aussi céramiques, l’artiste introduit des accidents et produit des effets qui rappellent des formes organiques, équivoques, symboliques, triviales ou poétiques. Ses œuvres adoptent un langage qui nous est familier, à la fois domestique et banal, parfois drôle ou inquiétant, mais toujours nourri de paradoxes. 

Vue de l’exposition « L’Exposition Mobile », 2021, Frac Grand Large — Hauts-de-France, Dunkerque
© Fonds de Dotation Denise et Yona Friedman / Photo : Salim Santa Lucia

L’exposition de Yona Friedman

En 2020, le Frac a été dépositaire d’un ensemble conséquent de maquettes et de collages de Yona Friedman appartenant au Cneai. Cette exposition, intitulée « L’exposition mobile » est à la première à être consacrée à l’architecte après sa disparition. Elle s’articule autour de différents langages plastiques : maquettes, collages, dessins et pictogrammes dont certains sont peints sur le sol du Belvédère au dernier étage du Frac. Avec les commissaires associées, Sylvie Boulanger et Lucy Hofbauer, nous avons également reproduit en très grand format la figure de sa licorne, inspirée de la version réalisée en 2009 à Vassivière, et qui se déploie de tout son long dans la Halle industrielle (Halle AP2) du Frac.

Nous avons voulu cette exposition nomade à l’image d’un sujet cher à l’artiste et essentiel à la mission du Frac qui relie les œuvres aux habitants. Nous y avons associé de nombreux partenaires : le Frac Picardie qui présente un déploiement des éditions, et des lieux comme le centre d’art de Maubeuge, Idem + Arts qui a la particularité d’être associé à un centre de médiation des sciences, la Cité des géométries, ce qui est très pertinent avec la démarche artistique et scientifique de Yona Friedman. L’exposition a donné lieu à un travail de composition puisque deux artistes de la région Gauthier Leroy et Frédéric Le Junter ont imaginé une bande sonore pour accompagner la production d’un nouveau diaporama « Guide pour visiteurs extra-terrestres ».

Un autre volet de l’exposition sera déployé en 2022 à Beauvais, au centre d’art Le Quadrilatère, autour d’artistes qui réactivent dans les 2000 m2 du site et dans l’espace public, l’impulsion collaborative de Yona Friedman. 

Les synergies territoriales semblent vous tenir à cœur, quelles envies vous animent en ce sens ?

Depuis longtemps nous travaillons avec les écoles d’art de la région autour de programmes de recherche, de productions d’œuvres, d’expositions et de médiations. Un partenariat vivant, que nous rendrons visible cet automne, en accueillant pour la première fois l’exposition des diplômés de l’Esä Dunkerque/Tourcoing. Un coup de pouce supplémentaire pour aider les jeunes à s’inscrire dans un parcours professionnel et artistique.

Plus généralement, nos actions visent à renforcer le maillage artistique et culturel de la région et à décloisonner les approches pour permettre à différents publics de s’initier et d’approfondir leur découverte de l’art contemporain. Nous développons ainsi des partenariats à différentes échelle : autour de nous à Dunkerque, au plan régional et inter-régional, à travers des co-productions et en ouvrant la programmation à des visions européennes et plurielles, ceci est particulièrement sensible avec la Triennale Art & Industrie, dont nous préparons la seconde édition en 2023.

Quelles sont les expositions à venir ?

Je voudrais mentionner l’exposition réalisée en partenariat avec le Musée de Design de Gand qui ouvrira le 2 avril 2022 au Frac Grand Large et dont la commissaire est Mathilde Sauzet.

« La nef des fous. Objets compagnons des transports » rassemblera des objets issus de la collection du Design Museum Gent, des pièces de la collection du Frac Grand Large et une sélection d’œuvres directement empruntées à des artistes. Elle portera sur la nature des transports, sur l’évolution des déplacements d’objets, de matière et d’individus ainsi que sur les transformations formelles que ces mouvements ont générées durant la seconde moitié du XXème siècle. Des œuvres d’art contemporain côtoieront une sélection d’objets appelés « objets-compagnons de transports ». Des objets qui nous déplacent, nous bousculent, nous bouleversent. Des objets qui nous rendent un peu fou et nous permettent de survivre malgré la folie productiviste de notre société occidentale.

Infos pratiques :

Yona Friedman, « L’Exposition Mobile » > Jusqu’au 2 janvier 22

« ARCHIPEL : quatre résidences, mille expériences » > Jusqu’au 2 janvier 22

Nicolas Deshayes, « Glissements » > Jusqu’au 13 mars 22

Donavan Le Coadou, « RUN TEST » > Jusqu’au 21 novembre

« Diplômes, à suivre. » > Jusqu’au 2 janvier 22
Avec les œuvres de : Thibault Barois, Oksana Baudemont, Alexis Bens, Victoria Carré, Clara Carpentier, Geoffroy Didier, Apolline Ducrocq, Amine Haddadi, Elina Kastler, Hao Li, Shuxian Liang, Victor Louchart, Yanping Lu, Lucie Marchand, Caroline Pichon, Margaux Ribeaucourt, Hanna Selvi Dahan, Séraphim Soupizet et Mathurin Van Heeghe

Rencontre avec les artistes le samedi 20 novembre, 16h

Angyvir Padilla, « La Oja que vino de lejos (la vague venue de loin) » : A partir du 11 décembre 21

En Région :

Une journée en utopie / Familistère de Guise > Jusqu’au 14 novembre

Et autres programmations hors les murs à découvrir sur le site internet :

Frac Grand Large (fracgrandlarge-hdf.fr)

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