Jeanne Susplugas I will Sleep when I’m dead 2021 courtesy l’artiste, la Patinoire Royalge Valérie Bach galerie
Je retrouve Constantin Chariot, directeur de la Patinoire Royale, Valérie Bach galerie à l’occasion de la 6ème édition d’Art on paper réunissant 32 galeries et quelques 110 artistes dans les prestigieux espaces de Bozar. La galerie présente à cette occasion les œuvres sur papier des artistes : Joana Vasconcelos, Jeanne Susplugas, Sahar Saâdaoui, João Freitas et Jean Boghossian, Cette foire à taille humaine s’inscrit dans une réflexion plus écologique de l’art comme le souligne Constantin Chariot à une ère post covid concentrée à présent sur des stratégies plus locales et des démarches d’acquisition plus intimes et réfléchies, revalorisant le rôle du galeriste, ce dont il se réjouit. La galerie se concentre en parallèle sur 4 artistes femmes, Alice Anderson, Yoshimi Futamura, Jeanne Susplugas et Joana Vasconcelos, déjà citées, qui bien que différentes, offrent de nombreuses et captivantes résonnances. La Patinoire Royale participera prochainement à la Luxembourg Art Week, à la Brafa, devenue l’une des plus belles foires européennes selon Constantin Chariot et possiblement à la Tefaf ou la FIAC qui restent emblématiques.
Quels arguments vous conduisent-ils à participer à la 6ème édition Art on paper/Bozar ?
C’est une foire qui, de par son lieu, le Palais des Beaux-Arts dessiné par Victor Horta et sa taille, est très agréable. De plus son sujet, l’art sur papier offre une infinité de déclinaisons possibles. Une foire élégante, qui reste en même temps accessible en termes de prix, les supports sur papier n’entraînant pas par définition le marché trop haut. Enfin et surtout Art on paper agit comme un révélateur de talents que ce soit autour de personnalités déjà confirmées dont on découvre des facettes nouvelles comme avec Joana Vasconcelos dont nous dévoilons pour la première fois les dessins ou de jeunes artistes qui peuvent s’inscrire dans une foire à consonance internationale dans une capitale européenne. Pour résumer, je dirais que c’est une foire qui a tout d’une grande, pour reprendre l’argument d’une célèbre marque de voiture tout en restant dans un esprit bon enfant et relativement intime.
Quelle sélection proposez-vous à l’occasion ?
Nous proposons également une sélection inédite de travaux sur papier de Jean Boghossian, dont la carrière exceptionnelle de diamantaire l’a conduit à de nombreux voyages. Arménien ayant fui la Syrie pour le Liban, il est surtout connu en Belgique pour son rôle de mécène en tant que fondateur de la Fondation Boghossian-Villa Empain. Il a eu une activité d’artiste encore inconnue autour d’un travail du feu. Instrument de la violence et la destruction par essence, le feu devient à travers sa pratique un façon d’apaiser l’existence dans sa mise en œuvre à travers le pigment et la fumée. Une œuvre d’une grande poésie. Nous montrons également les dessins de Jeanne Susplugas, exposée en ce moment à la galerie, des portraits mentaux établis à partir de ses recherches sur les notions d’emprise et d’addictions. Des œuvres un peu difficiles à décrire qui nous touchent car elles ont cette capacité à spacialiser la pensée. Sont également proposés sur le stand des papiers de João Freitas que nous avions montré à la galerie à l’occasion de l’exposition Young Belgium dédié à la scène belge. Il travaille le papier tetra pak, carton d’emballage de produits de la vie quotidienne qui sous l’action de la flamme, se désagrège, donnant alors des résultats formels et graphiques tout à fait surprenants. Enfin nous montrons de la broderie sur papier avec la jeune artiste belge Sahar Saâdaoui (Young Belgium également) qui à partir du fil, créé des alphabets codifiés. Des fils qui prennent toutes les couleurs à partir des marques subtiles de feutres ou de gouaches qu’elle appose sur des dessins réticulaires, rhizomiques.
Une large place est donnée aux artistes femmes dans vos expositions actuelles, en quoi est-ce nécessaire sans tomber le piège d’une certaine essentialisation ?
Vous avez raison de le souligner, il faut en effet éviter l’essentialisation. En ce qui nous concerne c’est une forme de heureux hasards même si nous développons depuis un moment un tropisme sur l’art au féminin et présentons 4 artistes femmes très différentes dans leurs formes d’expression : Joana Vasconcelos déjà citée, de même que Jeanne Susplugas et ses fascinantes géographies de la pensée faisant appel à la réalité virtuelle pour se plonger dans des hectares de cerveau. Une expérience étonnante engageant pour la première fois de la réalité virtuelle dans une pratique de dessin.
De plus, une magistrale installation d’Alice Anderson Geometric Dances se déploie dans la Grand Nef sur plus de 40 mètres. Ces immenses toiles noires textiles composées de segments, de droites et de courbes sont la résultante d’une performance dansée à même le sol. Elles sont imprimées par l’artiste à partir des éléments issus des moyens de communication : Gps, satellite, antenne paraboliques…Alors qu’autrefois le ciel servait de carte d’orientation à nos ancêtres, aujourd’hui avec le Gps l’information qui nous arrive, dématérialise notre rapport à l’espace. L’artiste à travers cette danse, en se saisissant des objets de la communication comme outils de la peinture, nous permet de nous réapproprier ce rapport à l’univers et créé à la galerie un « hic et nunc », un « ici et maintenant », assez incroyable.
Dernière artiste tout aussi merveilleuse, Yoshimi Futamura d’origine japonaise qui pratique une céramique sculptée ou sculpture céramique donnant à voir de grandes figures qui ne sont pas sans rappeler de part leur effet formel et de manière très organique, des écorces, des champignons ou des anémones. Elle a recours à une technique très surprenante de grès dans la tradition japonaise qu’elle recouvre d’un engobe de lait de porcelaine qui à partir d’une cuisson à haute température, offre des formes fortes et violentes dans un contraste saisissant.
Des expositions qui font sens et alors que Jeanne Susplugas dématérialise la pensée d’une réalité virtuelle, Alice Anderson à l’autre bout de la chaine, matérialise l’expérience spatiale dans un contre point assez pertinent.
Quelle est votre réflexion sur la place des foires à l’ère post Covid et votre stratégie ?
Il convient de souligner que la stratégie a changé car le monde de l’art a changé et j’ai l’intuition que le Covid a rendu notre rapport au marché beaucoup plus écologique, philosophique voire métaphysique. En effet avant la pandémie, les foires créaient une sorte d’appel d’air permanent qui nous faisait tous courir autour du globe pour voir et revoir les mêmes œuvres et les mêmes personnes dans un grand barnum mondain. Aujourd’hui une forme d’écologie s’est saisie du marché de l’art. Cette globalisation de l’art a pris du plomb dans l’aile et l’on se tourne davantage vers des foires plus locales et de plus petite taille encourageant des actes d’achat tournés plus sur le fond que la forme. Les gens recherchent plus des œuvres d’art qui leur parlent, qui les fait réfléchir et qui les émeuvent, au contraire de cet exhibitionnisme financier, cet entre soi exclusif et synonyme de marqueur social. Il me semble que nous allons vers des achats plus intimes et réfléchis, de moindre importance en terme de cout d’autant qu’avec les contraintes sanitaires et jauges, les foires doivent étendre leurs plages horaires, ce qui favorise moins les rencontres. On revient à l’essence même du métier des galeries et les foires vont devoir traduire à mon sens ce changement de paradigme.
Nonobstant et pour répondre à votre question, nous avons choisi, après Art on paper de participer à la Luxembourg Art Week pour la 6ème fois ayant remarqué une réelle spécialisation et professionnalisation de cette foire. Puis nous seront présents à la Brafa, foire régionale remarquable qui a su se développer dans le raffinement et l’expertise autour de l’art contemporain et toutes les autres formes d’art. Elle est à mon sens, devenue l’une des plus belles foires européennes et la Tefaf doit commencer à sentir son souffle dans son dos car elle a pris de l’ampleur tout en restant à taille humaine et très sélective. Notre objectif est bien de continuer des foires à petite échelle dans des marchés locaux limitrophes, de participer à une grande foire internationale à domicile et pourquoi pas à une grande foire internationale à l’étranger type Tefaf ou FIAC selon les décisions prises par les comités de sélection.
La Brussels Gallery Week-end vient de se terminer, quel bilan faîtes-vous et des signes de reprise sont-ils là ?
La Brussels Gallery Week-end qui vient de se terminer a accueilli de très nombreux visiteurs, essentiellement belges comme il convient de le souligner et l’on sent à la faveur de ces portes ouvertes à la galerie qui ont attiré jusqu’à 700/800 personnes par jour, une véritable attente même si l’on observe un rapport plus raisonné et raisonnable à l’art, ce dont je me réjouis d’autant que le métier de galeriste avait été assez malmené par ces grandes foires internationales. Les galeries aujourd’hui relocalisent leur clientèle avec un public qui revient après plusieurs années d’absence. Il y a clairement un besoin de sortir, d’échanger, de fréquenter de l’art ce qui conduit à des signes de reprise palpables avec une vaccination qui fonctionne. La grande question reste de savoir comment vont évoluer les habitudes d’achat qui seront beaucoup moins compulsives et conduiront à revoir les prix en terme de ratio plus raisonnable et raisonné.
En écoute : Constantin Chariot @FOMO_Podcast
Infos pratiques :
Art on paper
Jusqu’au 19 septembre 21
BOZAR
Réservation obligatoire
Actuellement à la galerie :
Alice Anderson, Joana Vasoncelos, Jeanne Susplugas et Yoshimi Futamura
Organiser votre venue :
visit.brussels | Visit Brussels