FOMO VOX

Arles 2021 : vaillantes lucioles !

Arielle Bobb-Willis, La Nouvelle-Orléans, 2018 The New Black Vanguard

Vous reprendrez bien un peu de Sud ? Les Rencontres ne se terminent qu’à la fin du mois.

Une 52ème édition resserrée (35 expositions au lieu de 50) mais toute aussi réussie, portée par Christoph Wiesner qui a su imprimer sa marque en restant fidèle à la figure de Sam Stourdzé. Un « été des lucioles » célèbre ces veilleurs, les artistes qui nous donnent un reflet lumineux mais contrasté, à la hauteur des soubresauts de la planète. En profiter fin d’août loin de la foule a ses avantages même si quelques expositions ont déjà fermées leurs portes comme le Prix Découverte Louis Roederer qui se déployait dans l’Eglise des Frères Prêcheurs ou Incarnation autour de nouvelles expériences virtuelles avec le duo ultra doué Ittah Yoda rencontré à Poush et Romainville (Fiminco). Rassurez-vous, il y a encore de quoi se faire plaisir ! Dans l’emblématique Tour et Fondation Luma (prénom des enfants de Maja Hofmann) se tient la proposition phare Masculinités, la Mécanique Générale (anciens ateliers SNCF) restant dans le giron des Rencontres. Il faut pour cela contourner ou traverser si l’envie vous prend, l’architecture de Frank Gehry qui ne rallie pas tous les suffrages avec une déclinaison assez formatée de ses principes fondateurs dispersés dans le monde entier.

Néanmoins lors de cette visite (billet gratuit sur réservation) l’on peut découvrir la Face cachée des archives de Diane Arbus, Nan Goldin et Annie Leibovitz. A box of ten photographs réalisé 1 an avant que Diane Arbus ne se donne la mort a valeur de testament. Ce portfolio proposé à 1000 $ conçu dans une période de grande interrogation et incertitude est à la fois mélancolique et plein de possibles.

Nan Goldin rencontre Cookie Mueller en 1976 avec qui elle va vivre une passion incandescente dans le milieu underground new-yorkais jusqu’à la disparition de sa muse diagnostiquée séropositive. Cookie Mueller Portfolio a dès lors une coloration particulière dans le parcours de l’artiste.

En sortant on peut admirer l’architecture très minimaliste de l’ENSP-Arles dans ce bâtiment tout en transparence de 5000m² planté en face de la Tour Luma. Malheureusement je n’ai pu voir l’exposition Enrique Ramirez qu’à travers les vitres !

Karen Knorr, Newspapers are no longer ironed, Coins no longer boiled, So far have Standards fallen [Les journaux ne sont plus repassés, les pièces ne bouillent plus, les normes se sont effondrées], 1981-83.

Pour revenir à Masculinités, cette exposition fleuve organisée par le Barbican Center de Londres où elle avait été présentée en 2020, prend une tournure forte à l’ère post #MeToo. La commissaire Alona Pardo, (Barbican Art Gallery), explique le pluriel de cette entité devenue mouvante qu’est devenu le masculin. « Parce qu’elle soutient l’idée qu’il existe de multiples masculinités plutôt qu’un unique idéal masculin, l’exposition défend une vision de la masculinité débarrassée des attentes sociales et des normes de genre » Les stéréotypes, le patriarcat, le genre, les contre-cultures, les mouvements de libération sexuelle.. c’est une vaste enquête qui se déroule dans ce parcours aux allures d’un dédale. Les signatures sont majeures de Mapplethorpe à Avedon en passant par Wolfgang Tillmans, Ana Fox, Isaac Julien, Karen Knorr, Duane Michals… mais pas de vraies audaces, si ce n’est ces deux talibans maquillés qui prennent la pause façon Bollywood, une image ahurissante à présent. Clarisse Hahn avec « Princes de la rue » se penche sur l’îlot de Barbès et ces petits revendeurs, leurs codes et postures. Une façon d’occuper l’espace qui n’a rien de neutre et qu’elle décode avec brio.

Renell Medrano, Slick Woods, Brooklyn, 2018. The New Black Vanguard

The New Black Vanguard est l’autre belle surprise de ces Rencontres, orchestrée par Antwaun Sargent, auteur de « The New Black Vanguard. Photography between Art and Fashion ». L’exposition itinérante qui se joue dans la magnifique Eglise Sainte-Anne réunit 16 photographes dans une perspective loin de l’essentialisation malgré les apparences. Cette jeune génération entend porter un regard affranchi sur le corps noir d’une façon décalée, ludique et créative. #BlackLivesMatters mais pas que ! Cette femme ébène qui fait la roue dans le désert prise par Danna Scruggs a quelque chose d’hypnotisant de même que ce tatouage d’un fusil sur le corps offert et alangui du mannequin Slick Woods par Renell Medrano.  Arielle Bobb-Willis, originaire de New York et basée à Los Angeles très inspirée des peintres surréalistes se dit marquée par l’énergie et les couleurs de la Nouvelle Orléans. Autre talent à suivre, la londonienne Nadine Ijewere première femme de couleur à avoir shooté la couverture de Vogue et fortement marquée par son héritage nigérian et jamaïquain relu dans une perspective post coloniale. Les standards de la beauté et questions d’identité imprègnent sa démarche.

Jean-Marie Périer, Femme de profil. Publiée dans Jazz Magazine n°190, juillet 1971. Archives Jazz Magazine.

Avec Jazz Power ! on reste dans le black power avec un panorama exclusif des grands maîtres afro-américains comme le revendique les commissaires, Clara Bastid et Marie Robert, lauréates de la Bourse de recherche curatoriale les Rencontres. L’influence de Jazz Magazine fondé par Daniel Filipacchi et Frank Ténot dès 1955 est retracée autour de 150 photographies d’archives et c’est une première réjouissante, rappelant le rôle de Paris et de Saint-Germain des Prés pour de nombreux artistes américains souvent victimes de racisme dans leur pays.

Andrew Esebio, série Mutations, 2015 – en cours. Avec l’aimable autorisation de l’artiste et Tiwani Contemporary.

Il faut évidement citer l’immense Pieter Hugo et ses présences sud-africaines au Palais de l’Archevêché même si mon attention se porte davantage au Jardin des Voyageurs avec la série de Lebogang Tlhako (Saison Africa 2020, projet Afrique des Rencontres et Institut français) autour de la place des femmes photographes africaines, également Seuil de pauvreté des artistes Chow & Lin, vaste enquête menée à travers 36 pays et Etat d’esprit africain par le commissaire Ekow Eshun autour de la mutation sans précédent des mégapoles africaines.

SMITH, Sans titre, série Désidération, 2000-2021. Avec l’aimable autorisation de la galerie Les Filles du Calvaire.

Parenthèse méditative avec Disédération de SMITH. « La désidération, c’est se sentir orphelin des étoiles, le cosmos qui nous dépasse nous a été arraché »  Une traversée planante et sonore à valeur mythologique. Ce récit des origines bouleversant a été repris pour l’affiche du festival. Un corps trans qui regarde les étoiles depuis un désert.  Vidéo, photographie thermique sur plexiglas, photographie sur aluminium ponctuent ce bal de fantômes dessinant des halos lumineux par intermittence. Aura fugace. Instant fragile.

Dans les figures tutélaires de la photographie, Sabine Weiss illumine de ses 97 printemps la chapelle du tout nouveau Museon Arlaten relooké par Christian Lacroix. La commissaire Virginie Chardin fait ressurgir des instants moins connus dont Sabine Weiss se souvient encore parfaitement. Elle se dit reconnaissante de tant d’aventures aux côtés de son mari le peintre Hugo Weiss, l’homme de sa vie. Des jeunes mendiants de rue aux salons feutrés de la haute couture une touche foncièrement humaniste de cette grande dame de la photographie, lauréate en 2020 du Prix Women In Motion.

A la Fondation Rivera-Ortiz, le charme de ce bâtiment et les multiples constellations proposées méritent de prendre un temps particulier de visite. Echos système sont autant de récits sur les grands enjeux de notre temps dans un labyrinthe parsemé de pépites.

Elsa Leydier est l’un de mes coups de cœur. Dans le cadre du programme écosystème, projet sur l’éco féminisme avec un focus sur les femmes et la nature, elle déploie le 1er volet intitulé les marques. Elle fait le lien entre les corps des femmes sans diversité ni imperfections avec certaines pratiques dans l’agroalimentaire. Elle souligne le manque de diversité dans l’agriculture quand des géants industriels imposent des catégorisations et calibrages d’espèces. Des graines interdites à la vente qu’elle plante dans les images de corps de femmes stéréotypées comme des couvertures du magazine Lui.Sur une texture volontairement brillante l’artiste explique qu’elle a voulu les subvertir et les altérer peu à peu. Une perte de contrôle revendiquée.

Arles Puisqu’il fallait tout repenser

Autres femmes artistes qui se servent du corps comme acte de résistance, les sud-américaines rassemblées d’une exposition dont on a assez peu parlé et c’est dommage. « Puisqu’il fallait tout repenser » sous le commissariat d’Andrea Giunta, avec l’Institut français d’Argentine (catalogue Delpire) offre un panorama des années 1960 à nos jours de ces féministes qui affrontent les questions de pouvoir et de patriarcat dans des performances et mises en scène d’une grande radicalité. Liliana Maresca est une figure pionnière emblématique de la scène argentine dans l’ère de l’après dictature, auteure de nombreuses interventions dans l’espace public et morte du Sida en 1994. Graciela Sacco avec Bocanada dénonce les violences faites aux femmes dans de grandes photographies de cris sur affiches murales. Chez Jori Minaya il est question de genre, de stéréotypes dans l’espace des Caraïbes dont elle est originaire. La performance culinaire où elle ingurgite une grande quantité de sucre et de café renvoie à des notions coloniales de domination.

Voyage, voyage pour finir sur une note plus légère avec Orient-Express & Cie. A l’heure où les wagons- lits sont relancés par la SNCF on ne retrouvera plus un tel niveau de raffinement avec ce flambeau d’un luxe synonyme de véritable diplomatie internationale. Les archives de l’ancienne compagnie internationale des wagons-lits contiennent des photographies mais aussi des documents promotionnels, affiches, menus à bord…Un témoignage qui renvoie à une certaine vision hégémonique des Empires.

Ultime poche de résistance à la gentrification d’Arles qui change à grande vitesse, le Off des Rencontres www.arles-exposition.com

Sous l’impulsion d’Elvira Vil (la place des photographes) qui a su fédérer l’ensemble des galeries ce parcours fléché vite reconnaissable offre de belles découvertes.

Parmi mes coups de cœur, Charlotte Abramov chez Fisheye avec Première page. Le corps féminin y est exploré dans une large diversité. Une approche qui se veut plus inclusive autour du handicap, de la différence, du genre, du voile.

Extrait du clip « Les Passantes », 2018. © Charlotte Abramow

Sophie Muret, photographe a ouvert La Bonne Etoile suite à un changement de vie. Ancienne chasseuse de tête elle décide d’aller à l’essentiel après l’épreuve d’un cancer. Une très belle aventure. Elle a récemment accueilli les lauréats du Prix Swiss Life : Edouard Taufenbach (photographie) et Régis Campo (musique).

Sophei Muret

Anne Clergue galerie : Johanna-Maria Fritz

La jeune photographe parcourt le monde pour l’agence Ostkreuz et travaille à l’Hasselblald. Basée à Berlin elle est aussi fascinée par les communautés marginales d’Europe de l’Est. Like A Bird est une série au long cours qui l’a conduit a accompagner des personnes de la grande famille du cirque, que ce soit en Afghanistan, au Sénégal, en Iran, sur la Bande de Gaza.. Une ode à la liberté et à la joie, malgré tout.

Graziano Arici, le Grand Tour

Graziano Arici au Musée Réattu

En parallèle de la donation de Sam Stourdzé des tirages de Dorothea Lange dont la célèbre Migrante mère de famille, le Musée Réattu propose l’exposition du photographe vénitien, installé à Arles depuis 2012, Graziano Arici. « Now is the Winter of our Discontent » le titre est emprunté à Shakespeare et renvoie à l’oeuvre créée en hommage à son 400ème anniversaire. Photographe amateur de littérature et revendiquant le vernaculaire de Walker Evans, il privilégie le format carré dans une pratique qu’il qualifie de repêchage, utilisation de plaques de verre trouvées, anciens négatifs, images télévisées récupérées..). Il mêle mémoire personnelle- photos de lui enfant de ses albums de famille- à des sujets plus graves et universels. Photographe officiel de la Fenice pendant 20 ans, il a fréquenté de nombreuses personnalités artistiques voyageant dans le monde entier. Sans complaisance dans son Grand Tour à l’ère de la consommation culturelle de masse façon Martin Parr, il ausculte également le caractère artificiel du Carnaval et cette lente désintégration du monde. Au cœur des ténèbres d’après la nouvelle de Conrad est sa série la plus rude, ce bateau et ces hommes à la dérive qui renvoie aussi à Apocalypse Now. Lost Objects, collectés pendant ses déambulations tient du journal de bord, tout comme les polaroids dans les années 80, multipliant les assemblages et expérimentations. Le catalogue reprend plus de 400 tirages emblématiques.

Dans une rubrique art contemporain, Laura Owens à la Fondation Van Gogh.

L’artiste américaine métamorphose littéralement la Fondation ayant toujours développé un intérêt pour le peintre néerlandais. Plusieurs de ses premiers collages sont d’ailleurs exposés. A la suite de sa résidence à Arles pendant le confinement elle dévoile ses papiers peints qui immergent le spectateur dans son univers multiple. Elle puise dans différentes techniques : pastel, aquarelle, sérigraphie, pigments…entre art & craft et photoshop l’éventail est large. En parallèle, Laura dirige l’Atelier du Midi de Luma Arles, qui abrite des logements et ateliers d’artistes et a créé des céramiques pour l’occasion.

Infos pratiques :

Les Rencontres d’Arles

Jusqu’au 29 septembre

Réservation obligatoire

Billetterie :

https://www.rencontres-arles.com/

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