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Nouveau Musée National de Monaco : Shimabuku et Marginalia

Shimabuku Moon and Potato, 2021 8 impressions sur drapeaux Courtesy de l’artiste et Air de Paris, Romainville Photo : NMNM/Andrea Rossetti, 2021

A Monaco la vie artistique et culturelle est accessible au public, ce qui est rare en cette période de disette, alors il faut en profiter.

-Marginalia, dans le secret des collections de bande-dessinée, Villa Sauber

Marie-Claude Beaud pour son départ a imaginé comme dernier cadeau une exposition hommage à la bande dessinée, art longtemps considéré à la marge et dont l’extraordinaire liberté l’a toujours fasciné. Il faut remonter à ses premières années au musée de Grenoble et acquisitions autour du graphisme, du design et de la bande dessinée, dans cet esprit d’ouverture qui a nourri toute sa carrière à l’heure où elle tire sa révérence, laissant une empreinte marquante sur le Nouveau Musée National de Monaco. J’avais eu la chance de la rencontrer autour des expositions de Tom Wesselmann et Latifa Echakhch en 2018.


Jochen Gerner La main au collet 2016 Collection NMNM
© Jochen Gerner © ADAGP, Paris, 2021 Crédit photo : NMNM / François Fernandez

« Maginalia » titre qui renvoie à ces petits dessins à la marge des manuscrits du Moyen Age, propose une traversée de cette contre-culture qui a désormais sa place au musée. « L’art invisible » selon l’expression du grand théoricien américain Scott McCloud a en effet pris sa revanche et le marché fait régulièrement grimper les côtes. Tout comme dans l’exceptionnelle exposition organisée par la Maison Rouge-Fondation Antoine de Galbert en 2009, des œuvres d’artistes contemporains parsèment le parcours, concentrées ici en l’artiste Gilles Barbier avec ses sortes d’anti-héros. Comme le soulignait Pierre Sterckk co-commissaire pour la Maison Rouge, en encadrant les planches extraites de leur album, même si l’on rompt la narration, le dessin y apparait dans toute sa puissance et ses détails : case, intercase, phylactère, récitatif, personnage, couleur, lettrage…

Vue d’exposition Marginalia. Dans le secret des collections de bande dessinée
NMNM – Villa Sauber Photo : NMNM – Hector Chico / Andrea Rossetti, 2021

Dans une scénographie signée Berger & Berger, les 90 artistes réunis par Marie-Claude Beaud et Damien Mac Donald commissaire invité, proposent dans l’ensemble des espaces de la Villa Sauber, un panorama autour de grands thèmes tels que : « L’invention de l’inconscient », « La métamorphose du héros », « La libération sexuelle », » L’insurrection sémantique » ou « L’évènement d’une esthétique post-punk ». On y croise des maîtres de la ligne claire (Hergé), du noir et blanc (Moebius, Will Eisner, Crumb), de l’aquarelle (Hugo Pratt), de l’encre (Tardi), du noir intense (Jigé et Giraud) ou de la couleur directe (Enki Bilal). Krazy Kat, Little Nemo ,Snoopy, Mickey Mouse, Marsupilami, Betty Boop, Superman, Corto Maltese, le Lieutenant Blueberry … autant de personnages qui s’incarnent sous nos yeux dans un plaisir jubilatoire, que l’on soit connaisseur ou non du 9ème art. Une section érotique réservée aux adultes est visible sur demande.

Shimabuku, Je voyage avec une sirène de 165 mètres, 1998 – en cours, Aquarelle sur papier (détail de l’installation), Dessin de Shimabuku, Sydney, Australie, 1998, 75 x 104 cm. Collection NMNM, n° 2019.4.1.7 © Shimabuku Courtesy de l’artiste et Air de Paris, Romainville

-Shimabuku, Villa Paloma

« Est-ce que cela fera plaisir à la pieuvre de recevoir en cadeau une visite guidée de Tokyo ? Ou est-ce que cela l’ennuierait ? La plupart des gens ont l’air content quand ils reçoivent un cadeau, mais est-ce que cela leur plaît vraiment ?  Je ne sais jamais (…) »

Changement complet de narration et de perspective avec l’artiste Shimabuku invité à la Villa Paloma sous le commissariat de Célia Bernasconi.  Il déroule le fil d’une légende médiévale nippone autour d’une sirène dont le corps mesurait 165 mètres, transposée en une fable au gré de ses voyages et déambulations évoquées dans l’ensemble du lieu, y compris sur le toit avec ces drapeaux « Moon & potato » en référence à son film Fish & Chips autour de la question de l’altérité, cette esthétique relationnelle, telle que définie et théorisée par Nicolas Bourriaud, l’un des auteurs du catalogue. Par une succession de rebonds, la narration se voit augmentée à chaque contexte et itération. A Monaco comme nous le découvrons au début du parcours non pas au 1er étage mais au dernier, il a fait appel à des artisans pour réaliser une pierre de travertin avec le texte de la légende traduit en monégasque, une fougasse-sirène selon la recette provençale traditionnelle exécutée par la Maison Costa, à la plus grande femme de Monaco après une petite annonce pour fixer l’empreinte de son corps sur papier photosensible et surtout à des enfants de primaire qui ont réalisé leur musée de la sirène, exposé dans l’une des salles du parcours. Autant de gestes, de micro-histoires individuelles et collectives qu’il collecte et transpose dans une grande économie de moyens, chaque objet étant relié à un autre par une rencontre.

Vue d’exposition Shimabuku, La Sirène de 165 mètres et autres histoires, NMNM – Villa Paloma
Shimabuku, La Plus Grande Femme de Monaco, 2021, Impression sur papier photosensible. Courtesy de l’artiste et Air de Paris, Romainville
Photo : NMNM/Andrea Rossetti, 2021

Avec son emblématique récit Avec la pieuvre 1990-2010 au 2ème étage : «Projet de la route de la pieuvre, rencontre de la pieuvre avec un pigeon, visite guidée de la ville de Tokyo à la pieuvre d’Akashi… » qui se finit tristement par la mort du céphalopode, il est toujours question de péripéties drolatiques sur fond de philosophie animiste et de hasard.  Des pieuvres qui jouent avec des pierres de couleur, une pomme de terre qui va à la rencontre d’un poisson ou le voyage d’un concombre sur une péniche entre Londres et Birmingham, les différents règnes : humain, animal, végétal forment un tout dans une célébration de la lenteur et du détail. Au 1èr étage après avoir croisé un Père Noël dans l’hémisphère sud et une Photographie portant des bottes de pluie, place à son magnifique projet évolutif Eriger. Nous en avions vu la première occurrence au Crédac d’Ivry-sur-Seine dans le cadre de l’exposition de Claire Le Restif, elle-même réactivant la performance originelle de land art sur la plage de Norihama, dans la péninsule d’Oshika, l’une des régions les plus atteintes par le tsunami de 2011. A partir des débris de l’ancienne cité ouvrière d’Ivry, il érigeait un petit sanctuaire à la mémoire du passé communiste de la « banlieue rouge » dont la longue barre d’immeuble avait été inaugurée par le cosmonaute Youri Gagarine en 1963, comme le précise Claire Le Restif dans le catalogue.

Shimabuku, Erect, 2017 ー Installation view from Reborn-Art Festival 2017 courtesy de l’artiste et Air de Paris,Romainville

A Monaco il se saisit des fragments de l’élégante villa Ida située au au 5 du boulevard Rainier‐III, prince de Monaco, préemptée et démolie par l’état au profil d’un vaste complexe immobilier, alors que cette maison appartenait à la famille d’Emmanuelle Capra, chargée de production au NMNM qui y avait passé toute son enfance. Selon la générosité qui anime l’artiste, il a ainsi tenu à ce qu’elle supervise la collecte et toute l’installation de l’œuvre, qui prend de ce fait une dimension très intime. Eriger renvoie de plus au kintsugi, cette technique japonaise de restauration des céramiques ou porcelaines avec de l’or et de l’argent, sublimant alors les accidents et imperfections de l’histoire.

Vue d’exposition Shimabuku, La Sirène de 165 mètres et autres histoires, NMNM – Villa Paloma. Shimabuku, Ériger, 2017-2021, Installation, matériaux divers et plantes en pot. Prod. réalisée avec l’aide de SAM J.B. Pastor &Fils, Monaco. En collaboration avec le Jardin Exotique de Monaco. Courtesy de l’artiste et Air de Paris, Romainville. Photo : NMNM/Andrea Rossetti, 2021

C’est bien ce dont il s’agit dans cette seconde vie offerte à ces cicatrices du destin par un artiste animé d’une intense poésie et d’une conscience aigüe de ce qui nous relie dans un cycle sans fin de renaissance. Nul doute que cette exposition ne fasse date en écho aux multiples enjeux de l’anthropocène à l’heure où Monaco élargit sa superficie par un gigantesque chantier sous la mer. Une extension de tous les records. Les ouvriers-plongeurs vont-ils y croiser des sirènes et la corde symbolique de Shimabuku qui a fait le tour du monde ? …Mystère.

A suivre :  interview avec Björn Dahlström, successeur de Marie-Claude Beaud à la direction du NMNM.

Visite proposée par Odile Redolfi, directrice Hôtel Windsor (Nice) dans le cadre des partenariats OVNi festival.

Infos pratiques :

Marginalia, dans le secret des collections de bande-dessinée,

Jusqu’au 5 septembre 2021

NMNM-Villa Sauber

Shimabuku, La sirène de 165 mètres et autres histoires

Jusqu’au 3 octobre 2021

NMNM-Villa Paloma

Rappel : les musées et institutions culturelles monégasques sont ouverts, dans le respect des règles de distanciation sociale en vigueur.

http://www.nmnm.mc/

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