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L’hommage de Yan Pei-Ming aux victimes de la pandémie au Musée Unterlinden, interview de Frédérique Goerig-Hergott

Pandémie, 2020 diptyque, Huile sur toile, 400×560 cm photographie : Clérin-Morin © Yan Pei-Ming © Adagp Paris 2021

« Je pense que le spectateur ne sortira pas indemne de cette exposition. C’est ça la force de  la peinture » Yan Pei-Ming

A l’invitation de Frédérique Goerig-Hergott, conservatrice en chef au Musée Unterlinden (Colmar) et en réponse au célèbre Retable d’Issenheim dont le sujet traite de la redoutable épidémie moyenâgeuse de l’ergot de seigle, Yan Pei-Ming conçoit pour l’exceptionnelle exposition « Au nom du père » une œuvre inédite. Sous la forme du diptyque comme pour la Crucifixion de Grünewald, « Pandémie » témoigne de cette tragédie universelle mais dans une veine très intime. C’est l’artiste lui-même qui se présente à nous sous les traits d’un soignant, humble silhouette sur fond de cité HLM, de cimetière charbonneux et de la basilique Saint Pierre de Rome éclairée, qui agit tel un phare lointain comme une possible rédemption dans ce cauchemar. Un format monumental qui renvoie au souffle épique de la peinture d’histoire mais avec une adresse au spectateur dans ce qui ressemble alors à une scène de genre avec ces signes contemporains liés à la crise du Covid (combinaisons, masques). Une alternance de registres et de variations de gris dont il a le secret.

L’autoportrait est l’une des composantes majeures qui traverse l’œuvre de Yan Pei-Ming même si la commissaire lui donne un impact plus significatif à l’aune de la figure de son père, cet inconnu qu’il craint ou qu’il vénère selon les époques et c’est là toute l’originalité de cette exposition que la commissaire a imaginée comme un hommage à cet « artiste célèbre et pourtant inconnu». Il s’agissait pour elle de reconsidérer Ming, de lui rendre hommage et justice, restant encore trop souvent incompris pour beaucoup.

Frédérique Goerig-Hergott et Yan Pei-Ming, Musée Unterlinden, avril 2020 présentation professionnels photo Marie de la Fresnaye

A quand remonte votre choc émotionnel face à l’œuvre de cet artiste ?

Etant historienne de l’art et plus spécialisée dans le domaine de l’art moderne et contemporain j’avais de par mes fonctions au Musée Unterlinden suivi l’actualité de cet artiste à travers plusieurs expositions collectives et personnelles, sans me sentir personnellement touchée jusqu’à la découverte lors d’un reportage télévisé des images de son exposition « Nom d’un chien ! Un jour parfait » à la Chapelle de l’Oratoire (Nantes). Ce triptyque où il se dévoile complètement et apparait nu dans trois autoportraits monumentaux m’a marqué et  j’ai réalisé que je le connaissais mal. J’ai alors embarqué toute ma famille sur la route de nos vacances et nous avons tous eu le souffle coupé devant un tel spectacle ! Nous étions complètement happés par cette œuvre qui nous sautait à la figure et avait le don de nous envelopper. Cette image de corps jaillissants, christiques et très contemporains à la fois, ne m’a jamais quittée.

Yan Pei-Ming Col rouge 1987 Collection particulière, France photographie André Morin © Yan Pei-Ming © Adagp Paris 2021

Genèse du projet

Le temps est passé ensuite et j’ai organisé les expositions Otto Dix et Georg Baselitz. J’ai eu l’occasion de croiser Yan Pei-Ming à Paris et alors que nous prêtions une œuvre au musée des Beaux-Arts de Dijon j’ai demandé à la galerie Thaddaeus Ropac s’il serait possible de le rencontrer à cette occasion. J’ai pu ainsi découvrir son atelier à Dijon.

Je voulais aller au-delà des démarches d’expositions autour d’un artiste souvent confronté à d’autres grandes figures, que ce soit Courbet ou Mona Lisa ou à des sujets d’actualité. La personnalité de cet artiste franco-chinois internationalement reconnu mais très discret sur sa vie m’interpellait. J’avais apporté avec moi un Ipad avec un certain nombre de photos des espaces du musée car je souhaitais que mon désir de l’exposer soit réciproque car je ne peux imaginer qu’un artiste expose dans un lieu où il n’a pas envie de le faire. De même que je ne peux imaginer faire une exposition avec un artiste avec qui le courant ne passe pas. Notre première rencontre s’est très bien passée et je lui ai proposé alors de venir au Musée Unterlinden pour découvrir le lieu.

Vue de l’exposition Yan Pei-Ming Au nom du père, Musée Unterlinden présentation professionnels photo Marie de la Fresnaye

Provenance des œuvres présentées

Elles sont majoritairement de collections privées, mais aussi d’institutions publiques comme les musées et les Frac, même si les œuvres de l’artiste dans les musées français sur cet angle spécifique ne sont pas très nombreuses.

L’angle choisi

Je ne voulais pas que Yan Pei-Ming produise d’œuvres pour l’exposition car je considère que ce n’est pas son rôle mais plutôt le mien. Je dois avoir, en tant que commissaire, cette capacité à parler d’un artiste et de l’art à travers des œuvres existantes et son histoire. De plus Yan Pei-Ming n’avait pas le temps étant donné son projet à Avignon déjà reporté l’année dernière. Je tenais à apporter un véritable regard sur son travail à la faveur de tout son corpus, la figure de Mao, son père, sa mère jamais peinte de son vivant, Bouddha… J’avais fait de nombreuses recherches et j’étais en capacité d’avoir  une vision précise de ce vers quoi je voulais aller. J’avais remarqué qu’aucune donnée personnelle le concernant ne figurait nulle part. Seules apparaissent des informations assez laconiques : la date de son arrivée en France et ses études aux Beaux-Arts de Dijon. Son histoire ne transparaissait qu’à travers sa liste d’expositions personnelles ou collectives. Cela relevait certainement d’une certaine pudeur, eu égard à sa culture. Cette volonté que j’avais d’en savoir plus, le bousculait un peu comme il le souligne dans le merveilleux entretien qui figure dans le catalogue. Cela le mettait face à un miroir en quelque sorte, ce qui n’est jamais facile pour un artiste de cette stature. Comme pour Baselitz cette façon de se cacher derrière de grands sujets révélait une propension à ne pas parler de soi. J’avais envie de montrer les différentes facettes de sa personnalité, comme toutes ces nuances de gris qui habitent sa peinture, une sensibilité cachée par une grande force et puissance. Il m’a fait totalement confiance et à tous les stades du projet ayant réalisé l’importance de ce projet à ce stade de son parcours. J’ai tenu à lui montrer toutes les étapes de l’élaboration du projet ayant besoin de son adhésion et de sa validation et j’ai travaillé sur une maquette évolutive comme pour Baselitz, la moindre erreur n’étant pas permise étant donné le format des œuvres. Il a accepté que soient montrés pour la première fois ses autoportraits de jeunesse appartenant à son fonds privé présentés dans notre cabinet d’art graphique.

Choix du titre « Au nom du père »

Dans ce musée qui a la plus importante crucifixion de l’histoire de l’art occidental chrétien, ce titre résonnait dans son rapport à la filiation, à la quête identitaire qui traverse l’œuvre, au sacrifice, au sacré et au don de soi même si à l’époque, nous n’étions pas encore entrés dans la pandémie.  

« Pandémie », le making of

C’est la première fois que Yan Pei-Ming autorise la capture des différentes étapes de conception et de gestation d’une œuvre par le biais de la photographie comme l’avait fait Dora Mar pour le Guernica de Picasso, argument que j’ai utilisé et qui a fait sens chez lui. Jusqu’à présent il avait toujours été réticent à dévoiler ses doutes, ses recherches ou ses errances pour ne montrer que l’image aboutie de son travail.

Un témoignage que je considère très précieux en termes de trace iconographique ramenée à l’histoire de l’art. Il a installé un appareil photo face au diptyque pour saisir au quotidien des clichés toujours le même angle et en parallèle il m’envoyait via son portable des images de l’évolution de l’œuvre dans une soif de partage réciproque. Dans l’intervalle je suis allée à l’atelier pour réaliser l’entretien qui est l’un des plus aboutis de ma carrière d’après les témoignages reçus de personnes d’univers très différents. Une très belle aventure humaine !

Evolution de Pandémie

L’œuvre a beaucoup évolué. Il imagine d’abord des crucifiés alignés qui ont été ensuite effacés. La terre est jonchée de sacs mortuaires à l’intérieur desquels se devinent des corps. Le ciel tourmenté laisse apparaitre un croissant de lune en réserve. Puis jours après jours, les sacs se densifient, le ciel s’obscurcit. Le 11 novembre de premières modifications assez significatives apparaissent. La lune se fait pleine et à l’horizon une chapelle émerge d’un vague paysage urbain répandant sa lumière au fond de la toile comme un espoir de rédemption. Le lendemain apparait au premier plan une civière laissée sous un cadavre. Puis brutalement et se sentant dans une impasse Ming décide d’aborder son sujet de manière frontale comme Grünewald et Otto Dix. La ligne d’horizon est anéantie, la multitude de cadavres se limite à quelques-uns et deux personnages en combinaison avec masques s’affairent au premier plan autour d’un brancard, scène qui regarde du côté de Gerhard Richter. Le sujet du tableau s’affirme alors de façon ostentatoire et la mort entre de plain-pied dans la peinture et dans l’histoire. A ce stade, le motif a encore évolué pour ne retenir au premier plan que la silhouette de l’artiste en combinaison et en masque en méditation devant un sac mortuaire à ses pieds.

Pandémie, une transposition contemporaine du Golgotha médiéval

Ming ne veut pas être un témoin distancié mais un témoin et un acteur de notre histoire. Il s’intègre au premier plan en taille réelle. Le sentiment de recueillement dépasse l’anecdote et tend vers l’archétype.

Ming représente aussi le sacrifice de l’artiste en pleine période de confinement où les artistes sont sacrifiés comme beaucoup d’autres personnes. Cette idée du sacrifice rejoint aussi la préoccupation de cette exposition, c’est donc une façon très intelligente d’avoir reconverti le sujet initial ces crucifions contemporaines des victimes de la pandémie, comme pour Otto Dix les soldats à la guerre. Tous ces sacrifiés quelles que soient les catégories d’âges et profils sociaux-professionnels.  L’artiste dont le prénom en français veut dire « la lumière » apparait tel le rédempteur, dans un des rares éclats lumineux du tableau. Le Vatican qui renvoie à la Jérusalem céleste est également éclairé comme un espoir de la rédemption contrecarré par la cité HLM pour les illusions perdues du monde profane. Le cimetière rappelle le cimetière hors de la ville de l’Enterrement à Ornans de Courbet, un lieu de fausse commune isolé et improvisé, tandis qu’une danse macabre de silhouettes agitées forme une ronde autour des fosses et des cadavres emballés, conformément à la tradition médiévale. Alors que la lune éclaire un vol de chauve-souris à peine perceptible qui menace la ville, des chats rodent, que je compare à des figures apotropaïques, qui détournent le mauvais sort. Objets de superstition depuis le Moyen Age ils contribuaient aussi à endiguer les épidémies. Un animal à la fois errant et qui protège.

J’espère sincèrement que cette exposition contribuera à porter un autre regard sur cet immense artiste si complexe et attachant.

Catalogue aux éditions Hazan, 192 pages, 30 €

Infos pratiques :

En attendant l’ouverture…

Programmation en ligne : visioconférence Zoom par la commissaire le 8 à 18h30

Yan Pei-Ming – Au nom du père

Jusqu’au 6 septembre

www.musee-unterlinden.com

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