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Rencontre Véronique Collard-Bovy : Sophie Bueno-Boutellier, Fræme et l’écosystème de la Friche la Belle de Mai, Art-o-rama 2021

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Portrait de Véronique Collard-Bovy © Fræme

Directrice générale de Fræme et co-organisatrice de la foire Art-o-rama, j’ai rencontré et interviewé Véronique Collard-Bovy à plusieurs reprises et notamment à l’annonce du report d’Art-o-rama 2020 et création d’un salon immatériel en réponse à la pandémie. Je la retrouve à l’occasion de la formidable exposition de Sophie Bueno-Boutellier, une production de Fræme pour la Friche la Belle de Mai (Panorama) avec la collaboration de Caetano et la participation de Won Jin Choi et La Gousse. A une époque où la question du toucher revêt des accents anthropologiques sans précédent comme le souligne le curateur Cédric Aurelle lors de sa passionnante visite, l’engagement du corps de l’artiste en lien avec une relecture personnelle de l’exhortation de Marie-Madeleine du Christ : « Noli me Tangere » nous invite à une traversée méditative à la fois verticale et horizontale, terrestre et céleste, énergétique et spirituelle. La porosité des pigments de ces grandes toiles suspendues qui tombent du plafond rejoint les paysages océaniques du sud et se fondent dans une danse nourrie de yoga tandava qui signe autant de retrouvailles de l’artiste avec sa ville d’origine. Une possible re-naissance intime et collective qui se jouera lors des différents temps de l’exposition sous formes de l’activation de différents rituels gustatifs et sensoriels.  « Touche Moi » prolonge l’exposition « Je me perds et me répands.. je suis l’écho de ton eau » à la galerie Joseph Tang et la performance de l’artiste sur l’île du Frioul dans le cadre l’exposition « Rhum Perrier Menthe Citron » conçue par Cédric Aurelle et Julien Creuzet, également sur une invitation de Fræme. Véronique Collard-Bovy revient sur l’ADN de Fræme et ses différents champs d’expertise déployés auprès d’interlocuteurs culturels prestigieux (Luma Arles et la Fondation Carmignac) en parallèle de la préparation de la prochaine édition d’Art-o-rama du 27 août au 12 septembre (appel à candidatures jusqu’au 15 mars). A noter que dans  le cadre de la Saison Africa 2020, Fræme propose la première exposition institutionnelle en France de l’artiste Emeka Ogboh qui investira le Panorama et le Toit-terrasse de la Friche la Belle de Mai à partir du 4 juin.

L’exposition de Sophie Bueno-Boutellier : genèse du projet avec Cédric Aurelle

Cette exposition rejoint la volonté de Fræme de proposer aux artistes une commande ou l’opportunité de réaliser une œuvre dans des conditions assez exemplaires ayant notamment mis en place une résidence d’été à l’Ecole des Beaux-Arts sur l’exceptionnel site de Luminy. De plus la structure de La Friche permet à l’artiste d’être en dialogue permanent avec l’économie de l’art et ses différentes composantes.

Nous avons commencé à travailler avec Cédric Aurelle à l’occasion d’Art-o-rama 2015 autour de la conception et l’éditorialisation de nos conversations qu’il avait imaginées sur une période de deux ans comme un propos qui se poursuit et s’approfondit autour de formes complémentaires. A la suite de cela je lui ai proposé de réfléchir à une exposition et cela a donné lieu en 2019 à « Rhum Perrier Menthe Citron » sur un co-commissariat avec Julien Creuzet. A partir de cet intérêt partagé avec Cédric Aurelle pour les artistes et dynamiques du territoire, nous avons tissé assez naturellement des relations humaines et collaboratives autour de projets dont l’exposition de Sophie Bueno-Boutellier qui résonnait avec nos engagements et dans le prolongement de sa performance sur l’île du Frioul l’année dernière dans le contexte très particulier que nous traversions alors.

Touche-moi de Sophie Bueno-Boutellier
Photographie : Aurélien Mole
Fræme, la Friche la Belle de Mai, Marseille, 2020

Quels sont vos liens et synergies avec Triangle-Astérides ?

Nous sommes des structures tout à fait autonomes mais inscrites dans un écosystème plus large avec une articulation pensée au niveau de nos programmations comme cela se traduit avec cette exposition sur la scène algérienne historique et contemporaine accompagnée d’un formidable travail de commande. Une exposition très complète, riche et bouleversante à bien des aspects qui vient générer avec Sophie Bueno-Boutellier d’autres formes de bouleversements plus sensoriels et atmosphériques, offrant au public une réelle cohérence.

Pour l’année prochaine je vais proposer un solo show de Wilfrid Almendra qui engage une discussion sur l’état de la sculpture aujourd’hui avec un écho possible fait par Triangle-Astérides.

A l’occasion d’Art-o-rama nous aimons aussi présenter à nos VIP les ateliers d’artistes de Triangle-Astérides et privilégier une véritable rencontre.

Nous sommes ancré dans l’écosystème de la Friche qui implique une nécessaire coordination, non pas sous la forme d’une harmonisation imposée mais d’un dialogue pour élargir nos champs d’actions et faciliter le bon fonctionnement de nos métiers. Triangle a une véritable expertise en termes de résidences dans un large spectre géographique qui peut rejoindre nos résidences qui bien qu’étant moins historiques concernent beaucoup le continent africain, le Maghreb et tout le pourtour méditerranéen. D’autres scènes, d’autres esthétiques mais qui forment ensemble une diversité de formes dans le champ de l’art contemporain.

Touche-moi de Sophie Bueno-Boutellier
Photographie : Aurélien Mole
Fræme, la Friche la Belle de Mai, Marseille, 2020

Comment se fait la sélection des artistes exposés à Panorama ?

Nous avons toujours essayé d’offrir une plateforme stimulante, Panorama étant à la fois un rêve et un véritable défi pour les artistes. Nous souhaitions que cette alternance de projets d’artistes internationaux et nationaux soit aussi dédiée à des artistes qui ont choisi le sud pour s’installer et travailler avec les difficultés que cela implique quand ils sont au mitan de leur parcours face à l’hyper centralisation française et la prépondérance de Paris. C’est une volonté clairement affirmée qui rejoint cette visibilité que l’on souhaite la plus généreuse et efficace possible offerte aux artistes que nous soutenons.

Touche-moi de Sophie Bueno-Boutellier
Photographie : Aurélien Mole
Fræme, la Friche la Belle de Mai, Marseille, 2020

Art-o-rama 2021

Nous avons souhaité faire évoluer Art-o-rama pour pouvoir garantir sa tenue en prenant en compte le maximum de contraintes sans pour autant dénaturer l’esprit de ce rendez-vous à la fois professionnel et humain de personnes qui ont plaisir à se retrouver, dans un ADN qui reste très international (85% des galeries participantes) . Nous avons donc proposé deux formules aux galeristes,  d’une part un  solo show autour d’un artiste commun défendu par une galerie française en collaboration avec une galerie internationale, présente ou non, et d’autre part, des duos shows de galeries qui aiment collaborer ensemble de sorte que l’impossibilité de déplacement éventuel de la galerie étrangère soit moins problématique. Par ailleurs, nous avons proposé la mise à disposition dans les stands de galeries ne pouvant être présentes physiquement, un assistant bilingue, formé au préalable. Nous conservons le Salon immatériel qui a remporté un succès d’estime l’année dernière comme une branche de notre activité ayant trouvé un format atypique qui se distingue des autres Viewing Rooms et a fait ses preuves dans une vraie cohérence générale. Nous proposons également deux formules aux galeries sélectionnées en présentiel, d’une part un accès gratuit à la plateforme du Salon immatériel à un tarif très incitatif et d’autre part une ouverture à d’autres galeries.

Les nouveaux Prix d’Art-o-rama

Nous tenions à envoyer un signal fort dans ce contexte de crise en faveur de tout l’écosystème de l’art dont les galeries sont l’un des principaux fondements. Nous avons beaucoup travaillé pour mettre en œuvre ces prix dédiés à l’acquisition d’œuvres d’art. En plus du prix Roger Pailhas dédié au projet le plus audacieux, le prix de la Collezione Taurisano «Because of many suns», le prix PÉBÉO pour la peinture, le prix MÉDÉOS et le prix Doche de Laquintane viennent compléter l’ensemble des Prix Art-o-rama 2021.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, le nombre de collectionneurs à Marseille et leur rayonnement ?

Nous avions engagé avec Jérôme Pantalacci une réflexion sur la place des collectionneurs de la région contribuant au dynamisme de la création contemporaine française et internationale à l’occasion de l’exposition en deux volets Les Possédés (Sextant et plus).

Il est important de souligner l’influence des jalons posés par Bernard Blistène alors qu’il était directeur des musées de Marseille. Il avait su rassembler autour de lui des personnes très diverses et animées par une certaine porosité de la vie culturelle de la ville à travers un système de conférences et de rencontres autour de ses passions. Peu à peu, un groupe assez influent s’est formé avec des personnes très impliquées dans le monde de l’art qui ont entrainé depuis de nouvelles générations avec d’autres lectures du monde. Si l’on se penche par exemple sur le groupe Lumière leur esthétique s’est distinguée fortement des choix conceptuels de Josée et Marc Gensollen, il n’empêche que cette passion, cette soif de savoir, dominent. Si l’acte d’achat peut prédominer souvent, il n’est pas prépondérant ici. Il y a toujours chez ces collectionneurs une enquête préliminaire menée, un travail de recherche, dans une vraie exigence.

Avec Jérôme Pantalacci nous avions choisi au départ un protocole sous forme de grille de lecture engageant un recollement de toutes les collections avec une liste des œuvres de chaque collectionneur, puis nous avons pris comme critère l’artiste le plus partagé et ce de manière décroissante. Il ressortait que l’artiste le plus partagé des collectionneurs interrogés et sur une base multi-générationnelle, est Saâdane Afif, suivi d’artistes plus actuels. Nous avons alors choisi les œuvres que nous trouvions les plus pertinentes pour réaliser les deux expositions (Château Borély et la Friche, Panorama) offrant un aperçu très précis de toutes ces collections.

Fraeme : budget et fonctionnement

Notre équipe fonctionne sur une base de 8 contrats (CDI et CDD) et 3 alternants avec des ajustements à géométrie variable suivant les projets comme pour Luma Arles, la Fondation Carmignac ou Art-o-rama. En termes de budget, l’année 2020 a été très dure avec une perte de 40% de notre chiffre d’affaires étant donné que nous sommes dans une économie mixte avec 35% de financement public et 65% de financement privé, mécénat et ou prestations (expertises selon nos divers champs d’intervention).  Nous avons beaucoup travaillé en 2020 pour remonter la pente et arriverons sans doute à un budget de l’ordre de 750 ou 800 000€.

Retour sur d’ADN et la valeur ajoutée de Fræme

Nous sommes une structure intermédiaire assez puissante en termes de budget et de compétences qui reste agile et je tiens à cette faculté qui se traduit au sein de la structure, chacun se spécialisant tout en gardant un profil de véritable couteau suisse, comme j’aime à le souligner. Nous proposons des prestations de services dans le champ de l’art contemporain en termes de production, diffusion, médiation et édition. Nous répondons à un certain nombre d’appels d’offres institutionnels privés et publics dans un large spectre de compétences tout en gardant toujours la volonté de mettre l’artiste au centre. Cela nous conduit aussi à nous engager sur des commandes de 1% dans l’espace public comme c’est le cas actuellement avec la ville de Marseille.

Le réseau Plein Sud

Il faut préciser qu’au départ, Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa Noailles et fondateur du réseau s’est inspiré du parcours VIP d’Art-o-rama. Comme nous ne le proposons que pendant la période estivale, l’idée était de le pérenniser et de l’étendre dans sa temporalité et géographie.  

Qu’est ce qui explique selon vous l’attractivité de Marseille auprès des artistes et différents acteurs de l’art ?

C’est une ville qui se détache des autres métropoles par sa singularité faite de diversité, son paysage à la fois sublime et qui se conjugue avec des endroits plus interlopes. Ce sud et cette mer méditerranée sont de puissants catalyseurs depuis de nombreuses années alternant des climax d’amour, suivi de légères chutes et périodes de désamour. C’est un territoire avec des institutions qui ont reçu des artistes prestigieux mais restés caché dans le secret du faire (Cirva) et de l’atelier. Le nombre d’artistes qui a transité périodiquement dans cette ville est incroyable ! Et Marseille a une aura qui dépasse largement le sud.

Question plus personnelle, à quand remonte votre premier choc esthétique ?

Même si cela remonte à de nombreuses années et n’ayons pas peur des mots, deux expositions m’ont marqué durablement. Tout d’abord « L’hiver de l’amour » par Suzanne Pagé à l’ARC-Musée d’art moderne. Egalement même si cela peut sembler plus prétentieux, la Biennale du Whitney Museum de 1991 si ma mémoire est bonne, avec une explosion de formes, de langages, d’implications, de sujets…

Deux chocs esthétiques majeurs qui ont certainement décidé de la suite de mon cursus commencé par un Bac + 5 en histoire de l’art à la Sorbonne suivi de quatre années aux Beaux-Arts de Paris.

Infos pratiques :

Touche-moi, Sophie Bueno-Boutellier

Jusqu’au 16 mai

En attendant l’ouverture…visite aux professionnels sur rendez-vous

www.lafriche.org

Fræme

Art-o-rama

27 août – 12 septembre

ART-O-RAMA (art-o-rama.fr)

Réseau Plein Sud

@reseau_plein_sud • Instagram photos and videos

Prochain interview : Nathasha Marie Llorens, commissaire de l’exposition proposée par Triangle-Astérides, « En Attendant Omar Gatlato, regard sur l’art en Algérie et dans sa diaspora ».

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