Capture d’écran visite virtuelle de l’exposition Noir & Blanc, une esthétique de la photographie Rmn-Grand Palais
« L’émotion, je la trouve dans le noir et blanc : il transpose, il est une abstraction ». Henri Cartier-Bresson
Après de multiples tentatives de reprogrammation, l’exposition Noir et Blanc au Grand Palais ne pourra pas être vue par le public. Une grande déception pour la BNF, les quatre commissaires et l’ensemble des équipes impliquées. Pour y pallier le Grand Palais propose une offre virtuelle payante, soit autonome avec un audioguide au tarif de 4€ ou guidée en direct et commentée par un conférencier de la Rmn-GP, chaque visiteur recevant alors un mot de passe valable dans l’heure qui suit son créneau de réservation pour un tarif de 8€. Revendiquant une technologie de pointe à partir de prises de vues photographiques à 360° et de relevés lasers, j’ai souhaité tester pour vous ce qui représente certainement une offre économique au fort potentiel en ces temps de confinement. S’il est entendu que rien ne remplace véritablement le face à face avec une œuvre, le sentiment d’immersion accompagné d’une nécessaire assise théorique et formelle sont-ils au rendez-vous pour ce qui représentait un véritable évènement, les chefs d’œuvre des collections de la Bibliothèque Nationale de France exceptionnellement réunis sous ce prisme inédit. Réunir 150 d’histoire de la photographie a été une véritable gageure pour Sylvie Aubenas, Héloïse Conesa, Flora Triebel et Dominique Versavel, appartenant toutes à cette prestigieuse institution, véritable conservatoire du noir et blanc et de sa pratique. Rappelons que la BNF possède l’un des fonds les plus importants au monde en matière de patrimoine photographique avec 5 millions d’images.
Au premier coup d’œil l’environnement sobre et élégant est proche de celui utilisé par les foires en ligne et Viewing Rooms des galeries (type Artsy), la valeur ajoutée se mesurant sans doute à la possibilité de pouvoir à tout moment écouter les commentaires comme si on se trouvait avec un audio-guide.
Le préambule des commissaires en écoute est d’une grande précision et intelligence. Si cette exposition est différente c’est parce qu’elle réunit 300 photographies de 200 photographes de toutes origines sous l’angle unique du noir et blanc. Il n’est pas question pour autant d’un parti-pris nostalgique mais d’une esthétique comprise, cultivée, exacerbé et ce, même après l’invention de la couleur (commercialisation du Kodakrome en 1935) comme l’explique l’une des commissaires. Le Noir et Blanc créé une distance, un recul. Il exalte les ombres et les lumières, la qualité du tirage. C’est l’essence même de la photo, résume-t-elle. Un style qui a des affinées avec la littérature et les arts graphiques. Et de conclure : Le parti pris pour la déambulation a été de délaisser la chronologie au profit de rapprochements inédits entre les auteurs, les époques, les pays et les usages.
Nous entrons dans la première salle intitulée :
Aux origines du Noir et Blanc
Se pencher sur le contraste rejoint toute l’histoire de la photographie entre expérimentations, innovations techniques et recherches esthétiques. Les différents procédés des origines sont évoqués. Il est question de cyanotypes, de procédé négatif/positif breveté par l’anglais Fox Talbot , de papiers baryté ou au platine, de virage à l’or, entre gammes monochromes et teintes sépia. « Denis et Jacques, les enfants d’Emile Zola » illustre la passion dévorante de l’auteur pour la photographie qu’il pratique en amateur. A partir d’un même négatif, il se focalise sur le bleu à partir de différents types de papier. Zola produit plusieurs milliers d’images grâce à l’invention de l’aristotype (focus sonore). Les expéditions de Désiré Chanay, vues de montagne des Frères Bison, portraits amateur d’Hippolyte Blancard ou du célèbre Nadar témoignent de la force expérimentale des pionniers du noir et blanc.
Petit bémol en aparté : En terme de navigation et d’ergonomie, il est un peu regrettable de ne pouvoir zoomer sur les titres/cartels de chaque photographie, certains noms étant plus difficiles à reconnaitre que d’autres quand on n’est pas spécialiste.
1ère partie : Objectif contrastes
Le premier coup d’œil offre de multiples variations possibles avant que notre attention ne se fixe dès l’entrée sur les trois effigies de Valérie Belin. Des images dont la monumentalité sans affect, glaçante et hyper réaliste est assez troublante. Si elle sonde dans les années 1990 le corps normé et stéréotypé, le noir et blanc contribue à cette mise à distance des conventions, comme le précise le support sonore. De plus Valérie Belon rejoint l’esthétique de la photographie d’atelier de Richard Avedon ou Irving Penn. L’antagonisme recherché de Cecil Beaton à Diane Arbus, d’Imogen Cunningham à Mario Giacomelli, de Josef Koudelka à Antoine d’Agata se voit renforcé après les années 1950 dans une volonté d’opposition à la diffusion de la couleur. Recherche de l’épure et exacerbation du réel qui se voit sublimé.
Intermède « Page Blanche » assez sublime avec les photos de neige d’Ansel Adams, le microcosme dans le macrocosme, cette montagne enneigée immense. Inventeur du « zone system » permettant une restitution optimale de l’échelle de valeur du noir au blanc en passant par des gris infinis, le photographe californien revisite la mythologie américaine du grand ouest. Anders Pettersen plus nostalgique avec ces pas dans la neige d’un cimetière qui déclare : « Il y a plus de couleurs dans le noir et blanc ». Martin Parr dans sa chasse au renard instille déjà une note pleine d’humour et de décalage avec ce chien loup qui défèque dans la neige.
Puis reprise du long travelling avec toujours de grandes signatures : William Klein, Diane Arbus, Bill Brandt, David Goldblatt, Josef Kersetz, ou Helmut Newton le fétichiste avec ce qui est devenue une icône, cet escarpin et cambrure sublime, cinématographique : « close up ». Même sens du cadrage quasi géométrique chez Ralph Gibson dont le Clergyman (série Cadran) au visage coupé dévoile juste le simple détail de son coup enfermé dans l’uniforme, ce petit triangle blanc de lumière. Il déclare : «Réduire l’information, éliminer, soustraire pour ne rendre visible que l’idée essentielle ». Gibson qui ne photographie qu’avec un Leïca, entre chez Magnum qu’il quitte ensuite pour se consacrer à pleinement à ses goûts artistiques (focus sonore). Pierre de Fenoyl co fondateur de l’agence Vu, délégué à la photographie au Centre Georges Pompidou à sa création, pratique la photographie en parallèle de ses responsabilités. Il utilise exclusivement le noir et blanc et revendique un pari pris esthétique de « Chronophotographe ».
Mary Ellen Mark avec ces jeunes visages d’immigrantes à Istanbul en 1965 qui se détachent d’un hublot de navire, traduisent un sentiment à la fois d’espoir et de doute. Quant à l’American Dream de Robert Frank il a une note plutôt amère avec cette bannière étoilée qui a perdu tout son lustre.
Après un intermède qui tisse les liens entre photographie et arts graphiques avec Mario Giacomelli, Thérèse Descheemaeker, René Burri ou Graciella Iturbe et un espace où une vidéo est projetée nous pénétrons dans la 2ème partie de l’exposition.
2ème partie : Ombre et lumière
Comme le clair-obscur en peinture, l’ombre et la lumière est en quelque sorte l’alpha et l’oméga du photographe. La lumière par nature insaisissable renforce la dramaturgie de l’instant. Effets de contre-jour, résille (le fameux modèle de Rotchenko), halos, raies de lumière, font partie des recours de nombreux photographes tenants du modernisme comme Paul Strand.
Sculpter la lumière va jusqu’à sonder la lumière blanche la plus crue comme chez Keichi Tahara ou Micheal Ackerman et ses visages de revenants. Une dimension spectrale qui irradie les palmiers sous le soleil de Pierre Boucher grâce à une prise de vue à l’infrarouge. Des rayogrammes ou solarisations accidentelles de Man Ray, ces écritures de lumière (Etienne Bertrand Weil) vont jusqu’aux frontières du surnaturel comme chez Piergiorgio Branzi (Bar sur la plage). Aveuglante lumière du quartier interlope et chaud de Shinjuku que poursuit inlassablement Daido Moriyama qui nous fait basculer dans : « Nuit Noire. Nuit Blanche »
Photographier la nuit. D’une impossibilité de départ, ce défi devient au fil du temps, le territoire de tous les renversements possibles. Le développement de l’éclairage artificiel change la topographie des villes et influence les artistes qu’ils soient peintres comme nous l’avions vu dans la remarquable exposition du Muma du Havre ou photographes-flâneurs tels que Brassaï (Paris de nuit, Eclair sur l’Observatoire), Isle Bing (Tour Eiffel-nuit) ou Jean-Christophe Béchet (série Noir vertical). Aux Etats-Unis : Louis Faurer capte les music-halls de Broadway tandis que Weegee se tient toujours prêt à bondir de son véhicule pour cueillir les scènes de crimes les plus sordides.
3ème partie : Nuancier de matières
« La photographie n’est pas toujours du noir et du blanc contrastés. Il y a aussi le gris, les gris. Il y a des sujets où il n’y a même que cela » déclare Emmanuel Sougez et ce qui va suivre dans cette section est tout simplement fascinant. Des gris des surfaces réfléchissantes, nous basculons dans une étrangeté à partir de fragments du quotidien, jeux de textures et densités des matières, végétales ou organiques : le bitume chaud et semi liquide de Jean Dieuzaide, une silhouette derrière la paroi de verre d’un balcon d’hôtel (André Kertész), la pilosité du dos d’un homme : Autoportrait de John Coplans. Puis c’est l’aveuglement, aux limites du visible et de la perception comme chez Caroline Feyt (Corps-négatifs) ou Helen Sager dont la puissance flirte avec le néant.
Epilogue : Le noir et blanc en couleur
Pour conclure, la problématique posée est : Pourquoi traiter avec des couleurs un sujet en noir et blanc à l’époque du numérique ?
Marie Gadonneix, Patrick Tosani ou Joan Fontcuberta, Ellen Carey ou John Batho questionnent les illusions et faux-semblants de l’image à l’heure du retour aux fondamentaux. Le monochromatisme, devient l’ultime tentative de résoudre la dualité de départ. La revanche ultime des demi-teintes.
On l’aura compris que l’on se place d’un point de vue strictement esthétique, conceptuel ou technique, ces partitions graphiques sont fascinantes. Elles disent toute la créativité d’artistes en rupture qui revendiquent le noir et blanc à l’ère du tout numérique. Cette exposition devenue fantôme, un dénouement assez troublant quand on y réfléchit bien, mérite une attention toute particulière. Le catalogue comblera les puristes tandis que les néophytes trouveront dans les supports de visite une éblouissante traversée dans le temps et l’épaisseur du réel.
L’exposition coorganisée par la Rmn – Grand Palais et la Bibliothèque nationale de France a bénéficié du soutien de la Fondation Louis Roederer. Relire mon interview récent avec Michel Janneau, secrétaire général de la Fondation, Grand Mécène de la culture.
Ces deux types de visites sont disponibles sur réservation dès le 18 février dans le programme en ligne du site grandpalais.fr et bnf.fr.
Le catalogue de l’exposition, édité par la Rmn – Grand Palais en coédition avec la Bibliothèque nationale de France, reste en vente dans toutes les librairies ou en ligne sur boutiquesdemusées.fr.