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Hors Pistes 16ème édition (en ligne), interview Mathieu Potte-Bonneville et Géraldine Gomez

EMPTY SUPERMARCHE Autour de minuit

Le Centre Pompidou étant fermé, Le festival Hors Pistes sera maintenu dans une version en ligne. Cette 16ème édition intitulée l’Ecologie des Images est conçue par Mathieu Potte-Bonneville, Directeur du département culture et création du Centre Pompidou. Il nous fait part de cette décision, aux côtés de Géraldine Gomez, Programmatrice du festival. Les temps forts sont : L’exposition Matières d’images, la rétrospective Kelly Reichardt, L’Amérique retraversée (avec le Festival d’Automne) et de grandes voix qui incarnent cette pensée écologique dans une approche toujours transversale et transdisciplinaire.

Quel est votre état d’esprit à tous les deux en cette possible ouverture de la 16ème édition de Hors Pistes ?

Géraldine Gomez : A l’annonce de la fermeture du Centre, il a été décidé de transformer Hors Pistes en une version en ligne. C’est à la fois un sentiment déceptif évidemment, mais également créatif d’avoir la possibilité de se réinventer dans ce contexte si particulier. L’ensemble des artistes et des intervenants ont accepté avec enthousiasme qu’une autre forme d’Hors Pistes existe malgré tout. La matière même d’Hors Pistes, c’est-à-dire l’image, a finalement permis naturellement cette mutation en ligne.

Mathieu Potte-Bonneville : Chaque année l’ambition de ce festival est de mener une sorte d’enquête collective sur ce que deviennent les images et la manière dont elles réfractent les grands enjeux de notre temps. Cela implique de faire se télescoper toutes les formes de l’image en mouvement, du documentaire au film d’animation en passant par la vidéo d’artiste, et de multiplier les points de vue en sollicitant cinéastes, chercheurs, photographes, plasticiens. Du coup, Internet se prête bien à cet exercice : nous y proposerons chaque jour plusieurs rendez-vous, mais chacun pourra également revenir sur les séquences, vagabonder  entre les thématiques et découvrir au passage le nouvel environnement numérique dont le Centre Pompidou s’est doté, plébiscité par le public. En bref, chaque internaute deviendra enquêteur à son tour.

Carnet d’inspiration de Kelly Reichardt, peintures d’Alice Neel, photo Vivian Maier

Comment le titre Ecologie des images a t-il été choisi et en quoi ce qu’il recouvre irrigue les différents champs du Festival ?

MPB : Parler d’écologie des images, c’est au fond poser deux questions en même temps. D’un côté : que voyons-nous, de ce qui arrive à notre planète ? Il y a une décennie encore, on disait que s’il était difficile de mobiliser contre le réchauffement climatique, c’est que celui-ci était imperceptible, trop lent à l’échelle de la perception humaine ; et voilà que de la fonte des glaciers aux mégafeux, nous sommes passés de l’invisible  à l’aveuglant. Pour autant, que peuvent les images et que pouvons-nous face à elles, s’il ne s’agit pas simplement de rester sidérés ou fascinés par le désastre ? Mais en même temps, de l’autre côté : quel est l’impact écologique de la production et de la circulation des images ? On se souvient qu’il y a cinq ans, le tournage de Mad Max : Fury Road dans un parc national protégé détruisit largement l’écosystème du désert du Namib ; et le coût énergétique des data centers est un problème à l’échelle mondiale… Ce dilemme est au coeur de notre culture visuelle : comment les images peuvent-elles mobiliser face à l’urgence environnementale, sans contribuer à en aggraver les effets ?

De grandes voix accompagnent et structurent la pensée de ce festival telles que Vinciane Despret, Philippe Descola mais aussi Jérôme Bel, Tomas Saraceno ou Xiao Ke, en quoi cette assise théorique et critique est-elle essentielle à vos yeux ?


MPB : En rassemblant ainsi des disciplines aussi diverses que l’anthropologie et la danse, ou la philosophie et la sculpture, l’idée est d’abord d’explorer la façon dont le motif de l’écologie travaille aujourd’hui tous les secteurs de la pensée et de la création : ce qui les relie, ce ne sont plus des théories englobantes ; c’est l’affrontement à un souci commun qui imprime en eux un horizon voire un style de pensée. C’est le motif directeur de notre temps, et peut-être un jour parlera-t-on de l’anthropocène comme aujourd’hui on parle du baroque ou de l’art roman ! Mais cela ne veut pas dire que les arts y perdent leur spécificité et se repeignent dans une sorte de vert uniforme : quand Tomas Saraceno confie à ses araignées le soin de tisser des oeuvres d’art, c’est une manière de réactiver des questions aussi anciennes que la sculpture elle-même, le rapport entre les vides et les
pleins d’un volume, le rêve de formes si légères qu’elle sculpteraient à même l’air, à même l’espace… un espace et un air que nous savons aujourd’hui, par ailleurs, aussi précieux que fragiles. Chaque discipline, artistique ou intellectuelle, puise ainsi dans sa propre histoire des ressources qui lui permettent de faire face au présent. Cette variété de moyens est captivante et l’un des enjeux du festival sera de la donner à voir.

Ellen Gallagher – Wiglette


Quels enjeux traversent l’exposition Matières d’images ?


GG : Les œuvres sur le sujet de l’écologie sont nombreuses et passionnantes. C’est une
préoccupation générale qui traversent tous les champs de la création. Les œuvres vidéos sont conçues sous forme d’investigations, de témoignages ou même de dénonciations ou de tristes constats sur la dégradation de notre environnement ou sur la terrible emprunte carbone dû à la circulation exponentielle de nos images sur les réseaux.
J’ai tenté de prendre le contre-pied, d’imaginer que les images peuvent être des oracles, comme des fenêtres qui s’ouvrent vers d’autres horizons, d’autres imaginaires, d’autres fictions à venir sur le monde. Elles sont argentiques, numériques, aux matières variées. Elle se retrouvent projetées sur un mur, un écran, au sol, de l’eau ou une membrane. Elles ont en commun de laisser apparaître des présages à partir de l’observation du monde.
Un monde qui gronde certes, mais un monde qui s’apprivoise aussi, avec d’autres points de vue, comme ceux d’animaux ou d’algues. A l’image de Seumboy Vrainom, l’apprenti chamane numérique, dont la voix résonne dans l’exposition, l’ensemble des œuvres ouvrent sur une écologie encore à venir.

Sabrina Ratté


Quels en sont les partis-prix scénographiques ?


GG : Le parti-pris de l’exposition est immersif. Que ce soient les installations conçues pour l’occasion ou les grandes projections, l’idée est de plonger le spectateur dans une environnement visuel, sous forme de parcours avec de grandes phrases au mur qui indiquent la thématique de chaque salle. Les cartels sont développés pour que la circulation soit fluide, et ne demande pas de se retirer de l’obscurité pour chercher la lumière et lire une brochure explicative. C’est une ballade au travers de mondes étranges, inquiétants, de tableaux vivants qui imprègnent la rétine.
Evidemment la version en ligne -une visite virtuelle de l’exposition – ne pourra donner cette sensation immersive, mais nous allons à partir d’un tournage sur place, naviguer dans les œuvres, interroger les artistes, et rester au plus près de l’idée d’un parcours et d’images, d’artistes qui se répondent.

Hors Pistes 2021 – L’écologie des images – Centre Pompidou : en ligne

du 1er au 14 février

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