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Rencontre avec Suzanne Cotter, directrice du Mudam Luxembourg

Suzanne Cotter photo © Marion Dessard, Mudam Luxembourg

A l’occasion de la journée organisée par le Casino Luxembourg nous sommes accueillis au Mudam par Suzanne Cotter autour de la passionnante et spectaculaire exposition de Charlotte Posenenske « Work in progress » en collaboration avec la Dia Art Foundation, New York. Suzanne Cotter revient sur ses choix de programmation et les ambitions qui l’animent en matière de collaborations internationales. William Kentridge sera l’un des temps forts de 2021 sous un angle pluridisciplinaire en partenariat avec deux institutions luxembourgeoises emblématiques : la Philharmonie et le Grand Théâtre. Raconter des histoires parallèles et élargies en matière de mixité et de globalisation pour mieux appréhender l’art reste sa motivation première en regard des grands défis environnementaux à venir pour les musées et institutions culturelles.

Suzanne Cotter est directrice du Mudam Luxembourg Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean. De 2013 à 2017 elle a été directrice artistique du Museu de Arte Contemporânea – Fundação de Serralves, au Portugal. En tant que commissaire au sein de la Fondation Solomon R. Guggenheim, de 2010 à 2012, elle a dirigé l’équipe chargée du projet de musée Guggenheim à Abu Dhabi. 
Avant de s’installer aux Etats-Unis, elle a été la commissaire d’expositions au sein de diverses institutions britanniques, dont le Modern Art Oxford, la Hayward Gallery, la Whitechapel Art Gallery et la Serpentine Gallery. Suzanne Cotter est à l’origine de plus de 100 expositions. Elle contribue régulièrement à des ouvrages et donne des conférences à travers le monde. Le titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres lui a été décerné par le Ministère de la Culture et de la Communication français en 2005. 

Quel bilan faites-vous depuis votre arrivée à la tête du Mudam ?

Cela fait presque trois ans que je suis arrivée. Le bilan est un exercice auquel j’aime me livrer fréquemment. Un élément majeur de ce bilan est d’avoir pu ancrer la Collection Mudam en tant que colonne vertébrale du musée. Autre focus, la programmation, dont nous avons pu élargir la vision en donnant un regard sur l’art contemporain et ses histoires, présenter des expositions temporaires historiques comme celle de Charlotte P et des expositions qui défendent d’autres axes et processus de compréhension dont la performance est l’un des vecteurs.

De plus nous avons mis en place une véritable stratégie de collaborations internationales.

J’ajouterai un aspect pédagogique qui reste essentiel à mes yeux et qui commence à porter ses fruits dans la programmation autour du public.

Vue de l’exposition Charlotte Posenenske « Work in progress » 10.10.2020 -10.01.2021 Mudam Luxembourg photo Rémi Villaggi

Nombreuses collaborations internationales autour des expositions, en quoi est-ce décisif dans les ambitions qui vous animent ?

Les collaborations avec la Dia Fondation pour Charlotte Posenenske et le musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne pour l’exposition de Robert Morris, de même en 2019 avec le Whitney Museum of American Art autour de l’exposition de David Wojnarowicz sont importantes pour plusieurs raisons.

D’une part elles permettent au Mudam, institution nationale située dans une ville capitale, de participer à une conversation internationale. Elles permettent également d’avoir plus d’ambition dans notre programmation et un échange et partage de ressources à tous les niveaux.

Nous souhaitons en parallèle pouvoir offrir à nos publics des références complémentaires pour pouvoir appréhender l’art contemporain par le bais d’autres contextes. Par exemple, Charlotte Posenenske est une artiste femme allemande qui reste encore méconnue alors qu’elle travaillait au même moment que des artistes américains minimal majeurs dont elle est l’une des rares représentantes en Europe. Ses revendications sociales et sa position radicale quand elle abandonne l’art pour la sociologie dans une réelle remise en question la place résolument à part. De même avec David Wojnarowicz, artiste autodidacte, poète et activiste, qui revendique un art outsider et devient le porte-parole des personnes atteintes du Sida dès la fin des années 1980.

Vue de l’exposition Charlotte Posenenske « Work in progress » 10.10.2020 -10.01.2021 Mudam Luxembourg photo Rémi Villaggi

Rappel historique du musée et de la collection

L’année 2021 marquera le 15ème anniversaire du musée, même si sa préfiguration est bien antérieure avec la création en 1996 du Comité d’acquisition présidé par Bernard Ceysson, à l’époque directeur du musée d’art moderne de Saint-Etienne. Pendant 4 ans le comité a entamé un certain nombre d’acquisitions financées par l’état luxembourgeois et développées par la suite avec l’arrivée de la première directrice : Marie-Claude Beaud. Il y a eu donc une continuité qui préfigure la collection telle qu’on la connait aujourd’hui.

En ce qui concerne la Collection nous présentons en ce moment le projet Portrait of a Young Planet et la plateforme digitale mefamily.mudam.com sous le commissariat de Francesco Bonami inspirés de l’exposition iconique The Family of Man (1955) conçue par Edward Steichen.

Vue de l’exposition Charlotte Posenenske « Work in progress » 10.10.2020 -10.01.2021 Mudam Luxembourg photo Rémi Villaggi

Les 25 ans de la Collection

L’idée est de dresser un panorama des œuvres acquises par le Mudam depuis cette période de préfiguration. Je considère mon approche comme une sorte de pyscho-analyse de la collection afin d’en discerner les lignes directrices et résonances en matières de formes, de processus ou d’attitudes, des années 1960 jusqu’au début du XXIème siècle. Le parcours sera évolutif avec un accrochage des salles revisité tout au long de l’année 2021. Pour résumer il s’agit de remonter aux fondements qui nous précèdent pour mieux cerner les directions à venir et donner un nouvel élan autour d’un regard élargi sur l’art contemporain.

Pour 2022 nous travaillons sur un dialogue ambitieux entre nos collections et celles du Saarlandmuseum – Moderne Galerie à Sarrebrück avec une présentation des œuvres de nos collections respectives. Il est intéressant de nous tourner vers cette grande région voisine. De plus ce musée est connu pour sa très intéressante collection moderniste allemande.

Vue de l’exposition Leornor Antunes.joints, voids and gaps Mudam Luxembourg photo Nick Ash

Exposition William Kentridge dans le cadre de red bridge project

L’exposition s’inscrit dans une collaboration inédite, le red bridge project entre trois institutions culturelles phares du Luxembourg : La Philharmonie, le Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg et le Mudam.

Après une première édition avec la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaecker, William Krentridge sera au cœur de la saison 20-21. L’enjeu est de mettre en avant des artistes qui ont une pratique pluridisciplinaire au croisement de différents publics entre musique, arts plastiques, danse performance, films dans une approche très novatrice. Avec William Kentridge, l’un des artistes majeurs de notre temps qui développe une œuvre protéiforme le lien est de l’ordre de l’évidence mais avec une exigence encore plus grande.

Virtual tour of the exhibition « Thomas Hirschhorn. Flugplatz Welt/World Airport »

red bridge project, pourquoi ce titre ?

Le Luxembourg a cette particularité d’être construit sur des plateaux. Nous avons d’une part la Ville Haute fortifiée avec la cathédrale et le centre historique et d’autres collines dont le Kirchberg, appelé le quartier européen dans lequel le Mudam et la Philharmonie se trouvent. Entre les deux, se trouve le pont rouge, symbole qui nous relie géographiquement et incarne ces passerelles entre des pratiques artistiques différentes.

Dialogue avec la Pinault Collection : Cabrita/ Cerith Wyn Evans

Ce dialogue s’inscrit dans le cadre des réflexions menées à mon arrivée sur des modèles exemplaires et de nouveaux débats autour de ce que doit être une collection d’art contemporain. Or la collection Pinault est considérée comme l’une des plus importantes en Europe avec des convergences entre nos deux collections en ce qui concerne les artistes et certaines aspirations de notre part d’élargissement du regard. Cette conversation sera le deuxième volet d’une présentation en 2019 du travail de Danh Vo dans le Jardin des sculptures sur une sélection de Caroline Bourgeois. Nous avons retenu deux œuvres majeures, l’une de Cerith Wyn Evans, l’autre de Cabrita, qui entreront dans un dialogue très fort.

Quels sont les défis posés par cette crise pour une institution comme la vôtre ?

Les annulations en série, les décalages de la programmation et les prévisions budgétaires revues et impactées pour cette année mais aussi 2021, sont déjà de grands défis.

Cette pandémie a aussi accéléré une réflexion sur le futur et la durabilité de nos institutions, tant vis-à-vis de l’impact du changement climatique que d’autres changements environnementaux et récessions mondiales à venir.

La dimension culturelle du développement durable est essentielle pour la réalisation de l’Agenda 2030 établis par les États membres des Nations unies (Sustainable Development Goals).

En ce qui concerne les modèles financiers, l’état constitue 80% de notre budget ce qui est différent en Angleterre à la Tate modern par exemple où l’accent est mis sur les grandes expositions blockbusters qui doivent attirer un grand nombre de personnes et équilibrer les dépenses. Pour nous la situation est différente étant mieux subventionnés, ce qui nous donne un certain confort du moment que l’on puisse assurer nos frais de fonctionnement.

Un des plus grands défis pour les musées dans le futur au-delà des questions de financement et de programmation, concerne aussi les compétences, notamment en  matière de diversité. Le fonctionnement de nos musées à travers ses politiques de recrutement, son personnel, les commissions de travail est-il représentatif des attentes d’une institution en général ? Le musée doit se faire l’écho des communautés, qu’elles soient proches de l’art mais aussi des citoyens en tant que tels.

Infos pratiques :

Charlotte Posenenske « Work in progress »

jusqu’au 10 janvier 2021

Leonor Antunes joints, voids, and gaps

jusqu’au 5 avril 2021

Les 25 ans de la Collection Mudam

Prochainement : Cabrita/Cerith Wyn Evan avec la Collection Pinault

à partir du 12 décembre 2020

Mudam – The Contemporary Art Museum of Luxembourg

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