Anne-Charlotte Finel, Hors Sol, courtesy Jousse Entreprise
« Le noise de la musique accompagne le grain de mes images »
A l’occasion de son exposition personnelle au Frac MÉCA, de sa participation à Nuit Blanche et sa prochaine exposition à la galerie Jousse Entreprise qui la représente, Anne-Charlotte Finel revient sur les forces à l’œuvre dans ses créations visuelles et sonores autour de cet entre-deux qu’elle capture offrant au spectateur un espace-temps altéré et en suspens. Des algues de Molène, au ressaut de marée en Gironde, et serres de culture intensive en Bretagne, il n’est question que de traces de l’humain dans le paysage. Anne-Charlotte aime sonder ces interstices comme elle l’a fait dans le jardin du musée Bourdelle offrant le temps de Nuit Blanche au regardeur une parenthèse suspendue en ces temps mouvementés.
Comment avez-vous accueilli l’invitation du Frac MÉCA ?
L’exposition Désoleil survient après une résidence croisée entre le Frac Nouvelle- Aquitaine MÉCA et l’université de Bordeaux qui m’a permis de collaborer avec Natalie Bonneton, océanographe spécialiste du ressaut de marée.
Je me suis ainsi penchée sur ce phénomène naturel qui surgit dans de nombreux estuaires du monde et dont la formation résulte de la transformation de l’onde de marée. La scientifique m’a conduite sur le site de Podensac, où elle avait réalisé ses prélèvements dans la Garonne et nous avons guetté nuit et jour le phénomène.
Je pressentais à l’époque la réalisation d’une installation sonore et vidéo. Mais j’ai été confrontée à la réalité du terrain et aux limites, que pourtant j’aime exploiter, de la caméra. De plus, j’ai été sidérée par la force sonore de ce train de vagues et j’ai donc choisi de créer une œuvre immersive et sonore en collaboration avec Voiski.
Choix du titre de l’exposition Désoleil
Il vient d’un néologisme inventé par le poète québécois Gaston Miron : « Je me désoleille » issu de Poème de séparation 2. Du registre amoureux pour Miron Désoleil a pris pour moi une nouvelle signification comme pour décrire un état de lumière inhabituel.
Une nuit sans obscurité créée par les serres de tomates de la vidéo Hors Sol. Une lumière troublante qui dévie les oiseaux de leur trajectoire et colorise un troupeau de vaches. Une lueur qui anime les plantes tropicales capturées dans le métro parisien que l’on retrouve dans les sérigraphies de Jardins. Ici nous sommes face à des végétaux et des fruits qui n’ont jamais vu le soleil et qui poussent sous des lampes artificielles sans connaître le frémissement du vent.
Place du son dans votre travail
Je collabore depuis une dizaine d’année avec Luc Kharadmand, alias Voiski. La musique ajoute une tension et une dramaturgie d’inspiration romantique aux images. Luc Kharadmand est musicien et producteur de musique électronique. Il crée des sons synthétiques spécialement conçus pour les images. Ce sont des productions originales.
Dernièrement le son a prix une grande importance dans ma pratique jusqu’à substituer temporairement la vidéo dans l’installation lumineuse et sonore Ressaut.
Ressaut (2019)
Dans un premier temps le spectateur évolue plongé dans un son naturaliste avec les clapotis de l’eau, le chant des oiseaux. Puis le trouble débute lorsque les cloches sonnent deux fois et progressivement avec le passage des vagues on bascule dans un son purement synthétique.
Luc et moi nous sommes inspirés des scènes de catastrophe que l’on peut retrouver dans des blockbusters. Les tsunamis dans ce type de cinéma commercial sont assez fascinants à étudier car de nombreuses strates de son se superposent. Des bruits assez étonnants se mêlent comme des rugissements de lion et le crépitement du feu lorsqu’une forêt brule.
Nous avons pris le parti assez radical de priver le visiteur de ses repères. Il est submergé par le son des vagues et je l’espère des images mentales se créent spontanément. Nous ne voulions pas poser de limites visuelles afin de laisser chacun appréhender librement ce motif.
Hors Sol (2019)
Des serres de tomates gigantesques sont filmées. Les pieds de tomates poussent été comme hiver sous des serres chauffées et éclairées par des leds et des lampes à sodium. Cette culture intensive provoque des semblants d’aurores boréales.
La pollution lumineuse crée une nuit sans obscurité qui perturbe l’environnement et ses animaux. Des vaches pourtant plutôt stoïques, deviennent jaunes et roses.
Nuit Blanche au musée Bourdelle,
Que représentait ce lieu pour vous ?
Je suis née à Paris et connais ce musée depuis des années. C’est un lieu très préservé et qui est resté authentique. On m’a proposé d’investir le jardin, ce qui m’a tout de suite intéressée car il mêle à la fois les mauvaises herbes -que je chéris- avec de magnifiques rosiers, hortensias et figuiers dans un équilibre subtil travaillé par la directrice Amélie Simier, co-commissaire cette année de Nuit Blanche. De surcroit, c’est aussi un « parc de sculptures » très imposant, les figures de Bourdelle inspirées de la mythologie dominent tels des avatars. Le serpent, animal récurrent dans l’oeuvre de Bourdelle a été le point de départ du diptyque L’oeil du python.
J’ai choisi non pas de venir en confrontation avec l’œuvre monumentale du sculpteur mais de me placer plutôt dans les interstices en proposant dans le premier jardin une installation avec un python albinos réalisée pour l’occasion, dans une atmosphère sonore de jungle synthétique. Le paysage et les figures étant déjà campés par Bourdelle j’ai accentué la présence animale dans un écho à peine perceptible avec l’oeuvre du maître des lieux.
Dans le deuxième jardin, une installation plus imposante était proposée avec, au centre une nouvelle œuvre intitulée Gerridae. Ces araignées d’eau, me fascinent pour leur faculté de communiquer à travers les ondes. La lumière réfléchissante sur la rivière leur permet de se métamorphoser.
Puis le parcours se terminait par l’oeuvre Des Sirènes au fond des prunelles en diptyque avec, d’une part un plan séquence dans l’atelier de sculpture et de l’autre, une projection sur l’une des verrières extérieures des bâtiments. Les algues marines dialoguaient avec la végétation terrestre du jardin et le centaure de Bourdelle placé dans l’atelier de sculpture apparaissait grâce au faisceau lumineux de la projection vidéo.
Le caractère vibratoire de l’ensemble des pièces est renforcé par la composition de Voiski et convoque alors d’autres images chez le spectateur.
Retour sur Des Sirènes au fond des prunelles
Cette œuvre a été réalisée lors d’une résidence proposée par Territoires Extra avec la Criée (Rennes) et le centre d’art Passerelles (Brest) sur l’île de Molène où l’écosystème marin est très préservé en témoignent la présence des plus grands laminaires d’Europe. J’ai filmé chaque jour pendant un mois à marée basse ces algues que j’ai utilisées comme des filtres photographiques. Je travaillais à partir de leur matérialité, leur couleur, leur transparence pour laisser partir ma caméra dans les flots, les images étant réalisées presque à l’aveugle. Ce qui était particulier a été ce point de bascule devant ce sujet qui induisait un travail de peinture pour laisser les couleurs apparaitre.
Quel a été l’impact de la crise sur vos projets ?
Je travaille localement et trouve des sujets de vidéo dans mon environnement proche. C’est ainsi qu’est née ma vidéo Gerridae pendant le confinement. J’ai pu aussi filmer dernièrement à mon atelier un python albinos d’origine brésilienne et domicilié à Paris.
Pour l’instant, des projets d’exposition ont été repoussés mais pas annulés. Le 17 octobre ouvre une exposition à la galerie autour de mes œuvres avec Ange Leccia et Jean-Luc Vilmouth intitulée ni la neige, ni la pluie, ni l’obscurité.
Je participe également à la Biennale de Taipei, étant invitée par les commissaires Bruno Latour et Martin Guinard, qui se déroulera du 21 novembre 2020 au 14 mars 2021.
L’exposition à la galerie Jousse, pourquoi ce titre : ni la neige ni pluie ni l’obscurité ?
Dans l’œuvre d’Ange Leccia Ô Superman, la reprise par PEREZ de la chanson de Laurie Anderson (1981), la neige renvoie à cette désintégration de l’image, ce bruit blanc de la télévision, entre fiction et réalité qui traverse nos oeuvres réunies.
En écoute : Fomo_Podcast 🎧
Infos pratiques :
Désoleil
Jusqu’au 3 janvier 2021
Frac MÉCA
https://fracnouvelleaquitaine-meca.fr
ni la neige ni pluie ni l’obscurité
17 octobre 2020 – 21 novembre 2020
Anne-Charlotte Finel | Ange Leccia | Jean-Luc Vilmouth
Galerie Jousse Entreprise
https://www.jousse-entreprise.com/
Taipei Biennal 2020
“You and I don’t live on the same planet”
https://www.taipeibiennial.org
Née le 8 septembre 1986 à Paris où elle vit et travaille. Elle est représentée par la galerie Jousse Entreprise (Paris). Elle a bénéficié de plusieurs expositions personnelles notamment à la galerie Edouard Manet (Gennevilliers), à la galerie Jousse Entreprise (Paris), dans cinq villes de Russie en partenariat avec l’institut français de Saint-Pétersbourg, au centre d’art le Lait (Albi), récemment à The chimney (New York) et actuellement au Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA. Elle vient de participer à Nuit Blanche au Musée Bourdelle le 3 octobre 2020. Son travail a été montré dans des expositions collectives notamment au palais de Tokyo, au Musée Régional d’Art contemporain Occitanie/ Pyrénées-méditerranée, au musée d’art de Nantes, à Passerelle centre d’art contemporain à Brest, au centre d’art contemporain les Tanneries à Amilly, ainsi qu’à l’international (Mexique, Australie, Hong Kong, Italie, Allemagne, Japon et Etats-Unis). Son travail fait partie des collections publiques dont le Mac Val, le Cnap et le Fmac.
Site de l’artiste :