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Michel Rein : « l’Anti monument de Franck Scurti au Grand Palais »

Michel Rein au Grand Palais, Franck Scurti Au jour le jour (making of) juillet 2020

Alors que Chris Dercon (relire notre interview confinée du 3 avril) invite Franck Scurti à investir le Grand Palais tout l’été et « au jour le jour », Michel Rein qui le représente, revient sur cette invitation et sa remarquable déclinaison par l’artiste dans une économie de moyens au service de l’invisible et de l’humain, à rebours de Manifesta. Michel Rein dresse le bilan de cette crise et insiste sur la vocation renforcée de la galerie comme espace de rencontre et lieu d’échanges privilégiés et construits autour d’artistes « résistants ». Le monde d’après devra, selon lui, obligatoirement tenir compte des alertes lancées par la pandémie pour revenir à d’autres valeurs de proximité et d’exigence dans le temps long de la création et de la représentation.

Quel a été l’impact de la crise sur la galerie à Paris et à Bruxelles ?

Pour vous donner une réponse globale en tant qu’entrepreneur de galerie à Paris et à Bruxelles nous avons vécu comme pour tout le monde une cessation d’activité totale, les équipes ont été mises au chômage selon les modalités proposées par le gouvernement français, à la différence de la Belgique. Malgré cela, nous sommes restés très actifs pendant cette période et pour ma part depuis mon domicile à Paris j’ai continué à travailler avec mon ordinateur et mon téléphone, maintenant de nombreux contacts et une veille sur les réseaux sociaux. Je n’ai pas vendu à proprement parler même si j’ai eu de la part de quelques collectionneurs fidèles des réactions très positives et des gestes précis et généreux d’acquisition d’œuvres qu’ils ne pouvaient pas voir, en guise de soutien à la galerie et aux artistes. Ces initiatives quoique marginales, ont été un signe de vraie solidarité.

Franck Scurti Au jour le jour, Nef du Grand Palais 2020 photo Nicolas Krief

Quelle a été votre stratégie pendant la période et votre positionnement par rapport au digital ?

Nous nous sommes volontairement écartés de toute démarche commerciale virtuelle pendant cette période car d’une part ce n’était pas selon moi, une période pour vendre, les gens ayant d’autres préoccupations et d’autre part parce que nous revendiquons le rôle de la galerie comme espace véritablement adapté au désirs des visiteurs du monde d’après, comme je l’ai résumé dans un texte posté sur les réseaux « Construisons l’avenir » réaffirmant le rôle tout à fait irremplaçable de la galerie pour éduquer un regard, accompagner des artistes et acquérir des œuvres. L’art contemporain ne devrait pas passer par des processus d’acquisition virtuelle. Je ne donne pas tort à mes collègues qui ont fait ce choix, chacun étant animé de ses propres convictions et je ne crois pas qu’il y ait de vérité. La galerie doit proposer des œuvres documentées qui s’inscrivent dans des projets qui ont une histoire, une provenance, un sens avec un certain nombre de passeurs pour les rendre plus accessibles. L’art contemporain n’est pas un produit hors sol qui circule comme n’importe quel autre sur la toile.

Pour toutes ces raisons nous avons décidé même si nous restions présents de manière virtuelle, de ne pas faire de viewing rooms ou de foires en ligne, qu’elles soient conçues en interne ou qu’elles soient organisées par des structures extérieures, salons ou foires virtuelles, exception cependant avec Art Brussels pour notre galerie de Bruxelles. J’ai en effet estimé que la période se prêtait plus à l’affirmation d’un certain nombre de valeurs, comme de maintenir une communauté, celle des artistes qui nous entourent ou celle des collectionneurs privés et publics. Nous avons lancé dans ce sens, l’opération les Carnets de Confinement, via les réseaux sociaux (Instagram et newsletter hebdomadaire), sous la forme d’un certain nombre de témoignages de nos artistes : œuvres, photos d’atelier, réflexions, vues d’atelier, photos de famille pour certains…

Comment vos artistes ont-ils réagi pendant cette période ?

J’ai trouvé que les artistes de la galerie vivaient relativement bien cette période de confinement. Franck Scurti actuellement invité au Grand Palais a déclaré qu’il vivait dans un semi confinement permanent. Beaucoup de nos artistes ont une pratique d’atelier, ils ont ainsi la capacité à être seuls face à eux-mêmes et n’ont pas vécu cette période comme douloureuse du moins je ne l’ai pas senti comme telle et j’ai beaucoup communiqué avec eux. De surcroît, je pourrais qualifier nos artistes de résistants au sens de propositions qui résistent. Ils ne s’inscrivent pas dans un marché spéculatif mais dans un temps long, élément justifiant la légitimité de leurs propositions. Ce contexte n’avait donc rien d’insurmontable pour eux. Ils ont de plus l’habitude d’une certaine résistance économique, n’ayant pas forcément bien vécu les évolutions récentes du marché de l’art car s’inscrivant dans des pratiques artistiques poétiques ou politiques avec des préoccupations de transformations sociales durables. Ils ont trouvé pour beaucoup d’entre eux dans la période que nous traversons un écho à leurs questionnements et ont su apporter des réponses très intéressantes à un tel contexte.

Franck Scurti Au jour le jour, Nef du Grand Palais 2020 photo Christel Scurti

Franck Scurti au Grand Palais à l’invitation de Chris Dercon

Ce qui a été formidable c’est que Chris Dercon qui connait bien la scène artistique internationale et française, ait compris tout le potentiel que représentait le choix de Franck Scurti dans une optique de dévoiler les coulisses d’un atelier à échelle humaine. Et même s’il dit l’avoir repéré en 1991 dans une galerie d’Anvers, il estimait que son travail pouvait parfaitement répondre au défi imposé entre la logique de son processus de création, l’architecture grandiose du lieu et l’interaction avec le public. Il ne s’agit pas d’une exposition mais plutôt d’une invitation à habiter le lieu et exprimer son processus créatif. Dans une économie de moyens qui est celle d’un artiste qui travaille à partir de rebuts collectés sur son chemin, Franck Scurti arrive à dégager une ligne de force à travers deux axes ; le premier vertical intitulé De la maison au studio (et vice versa), commencé en 2012 par l’artiste et toujours en cours dessinant à partir de ces reliques, une ligne de plus de 45 m de long constituée de ses vieux lacets de chaussures et un 2ème , horizontal qui renvoie au passé commercial du lieu à partir d’affiches publicitaires à dos bleus installés à même le sol.

Chris Dercon se dit très favorablement surpris par le résultat. Il est intéressant  de préciser que Franck Scurti, contraint d’abandonner son travail de sculpteur pendant le confinement, s’est consacré avec bonheur aux œuvres sur papier. 

Franck Scurti Au jour le jour, Nef du Grand Palais 2020 Nicolas Krief

Le monde d’après

Je ne pense pas comme Houellebecq que le monde d‘après sera le monde d’avant en pire. Nous allons certainement devoir souscrire aux préoccupations écologiques sous une forte pression des jeunes générations. A cela s’ajoute qu’il va falloir apprendre à vivre avec ces virus, et au-delà d’une possible 2 ème vague, à des retours fréquents de virus provoqués par la cohabitation des mondes qui jusqu’à présent ne se rencontraient pas. Le monde d’après ne pourra donc pas exactement être le monde d’avant.

Vue d’ensemble de l’exposition « Oh les beaux jours (Happy Days) », à la galerie Michel Rein, à Paris. GALERIE MICHEL REIN, PARIS/BRUSSELS/PHOTO : FLORIAN KLEINEFENN

Cela aura une incidence directe sur le marché de l’art qui a surfé sur la mondialisation avec des effets pervers que sont ces voyages incessants, ces centaines de biennales à travers le monde, ces foires où les gens vont pour jouer une posture sociale et rechercher toutes ces paillettes et le champagne de l’art contemporain. J’espère qu’on ira vers un monde plus ouvert loin d’un petit réseau assez élitiste de suiveurs avec la disparition de cette effervescence spéculative même si je remarque depuis quelque temps un certain mélange de genres autour de maisons de vente qui s’associent à des foires mais je doute que les résultats soient au rendez-vous.

Vue d’ensemble de l’exposition « Oh les beaux jours (Happy Days) », à la galerie Michel Rein, à Paris. GALERIE MICHEL REIN, PARIS/BRUSSELS/PHOTO : FLORIAN KLEINEFENN

Vous avez participé au Paris Gallery Week-end pour la première fois cette année, quel est votre bilan ?

Je n’y avais pas participé précédemment car le mode d’organisation ne m’avait pas totalement convaincu et notamment la tenue des évènements majeurs du PGW en dehors des galeries dans d’autres lieux (Beaux Arts, Palais de Tokyo) ce qui allait à l’encontre de l’idée première et très positive d’inciter les gens à un retour dans les galeries. Pour cette première participation à mon agréable surprise nous avons eu beaucoup de visiteurs le samedi notamment y compris certains qui n’avaient pas l’habitude de venir nous voir. Il faut vraiment multiplier ce genre d’initiatives qui outre la satisfaction immédiate représenteront une source de développement future. Je terminerai en affirmant ma conviction que les œuvres acquises en galerie, par leur provenance, leur appareil d’authentification (factures, certificats, photos, articles de presse..) offriront au collectionneur une meilleure garantie sur le long terme, à la différence de tous ces produits sans racine, formatés aux contraintes du virtuel.

Infos pratiques :

Franck Scurti au Grand Palais : découvrir l’atelier monumental,  chaque samedi et dimanche, de 16h à 19h, gratuit sans réservation

à partir du 17 juillet 2020

Une série d’images réalisées par Franck Scurti, comme un « journal » illustrant, au jour le jour, la vie de l’atelier seront publiés sur les réseaux sociaux du Grand Palais du 6 juillet au 23 août sous le hashtag #GrandPalaisAuJourLeJour.

https://www.grandpalais.fr/

Actuellement à la galerie,

à Paris

Oh les Beaux Jours (Happy Days)

42, rue de Turenne, 75003 Paris

Jusqu’au 25 juillet

à Bruxelles :

On a Pedestal, to greatly value someone or something

Jusqu’au 31 juillet

A venir :

PIERO GILARDI
Dalla Natura all’Arte / De la Nature à l’Art
curateur : Valérie Da Costa

à partir du 5 septembre

http://michelrein.com/



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