Véronique Souben, Frac Normandie Rouen : la photographie à l’heure de l’abstraction (Normandie Impressionniste)

Walead BESHTY, Six Sided Picture (CMYRGB),December 21, 2006, Los Angeles, California, Kodak Supra, 2010 Collection Frac Grand Large- Hauts de France

Nous retrouvons Véronique Souben à l’occasion de l’exposition de Diogo Pimentão, Dessiner à rebours pour laquelle elle nous avait accordé un entretien le 8 janvier avec l’artiste et le directeur de la Fondation Gulbenkian Paris (relire). L’exposition suivante consacrée à l’abstraction dans la photographie ayant été décalée à cause de la crise s’inscrira dans la 2ème partie de Normandie Impressionniste à compter de septembre. Véronique Souben nous dévoile les contours de cet ambitieux projet qui s’étendra sur 3 lieux et revient sur ce contexte particulier de la pandémie et son impact sur la gestion du Frac et de l’association RN 13 bis qu’elle préside et qui fédère 23 structures du territoire.

Rappel des enjeux et partis pris de l’exposition Diogo Pimentão

En lien avec la présence forte du dessin dans nos collections, je voulais faire depuis un moment, une exposition sur ce medium comme par le passé avec des artistes emblématiques tels que Sylvia Bächli en 2002, Helmut Dorner en 2005 ou Nancy Sperro en 2007. Diogo Pimentão n’avait pas encore eu d’exposition en France et je trouvais que c’était le bon moment de lui offrir cette visibilité aux côtés de la Fondation Gulbenkian, soutien de l’aventure.

Le lieu s’y prêtait bien avec ce côté industriel des années 30 qui renvoie aux formes usinées et standards que recherche l’artiste. Nous avons joué avec l’architecture du lieu dans une approche qui relève du chantier et de l’atelier en même temps.

Diogo Pimentão, Dessiner à rebours Frac Normandie Rouen photo Marc Domage

L’enjeu était de mettre en avant les complexités d’approche et multiples biais empruntés par l’artiste qui envisage une conception du dessin inversée et élargie par rapport à la conception traditionnelle. C’est pourquoi nous avons choisi comme titre « Dessiner à rebours ». Le parcours ouvre avec deux œuvres manifestes qui posent les repères géométriques et mathématiques dans l’espace, d’une part une œuvre résiduelle, « Walldrawing (Then)» et d’autre part une tige qui semble se fondre dans le mur « Profondidade (longitudinal) » et introduit un motif récurrent, la barre, qui va scander le parcours. Plus que le côté trompe l’œil ce qui intéresse l’artiste est la façon dont le graphite va prendre d’autres apparences dans des jeux d’ambiguïté, jusqu’à gagner un volume proche de démarches conceptuelles et minimales. L’artiste agit en sculpteur, engageant son corps dans une approche performative et chorégraphique. Alors que le rez-de-chaussée explore les formes du carré, du rond et du rectangle, à l’étage est explorée la verticalité de la ligne qui se décline de façon de plus en plus transparente jusqu’à ce qu’à la fin, le papier ressurgisse. L’artiste aime dans une approche illusionniste semer des sortes de leurres visuels entre la photographie, l’objet et la sculpture. Nous ne sommes jamais dans la représentation ni la figuration mais dans un jeu de plein et de vide, d’apparition et de disparition, de transitoire et d’immuable.

Diogo Pimentão, Dessiner à rebours Frac Normandie Rouen photo Marc Domage

Quel a été l’impact de la crise pour le Frac ?

Nous avons été comme tout le monde pris par surprise, un peu abasourdis par tout ce qui arrivait et avons dû suspendre l’exposition de Diogo Pimentão qui était en pleine montée en puissance. Un certain nombre de décisions se sont imposées assez rapidement comme d’annuler certains projets avec l’artiste dont la performance avec une cordiste circassienne dans le cadre du festival du cirque de Sprint (théâtre d’Elbeuf) et reporter la publication du catalogue qui devait se faire en Italie avec l’éditeur Mousse (sortie prévue en fin de semaine si tout va bien, confimée sic). Disponible à l’accueil.

Diogo Pimentão, Dessiner à rebours Frac Normandie Rouen photo Marc Domage

En même temps, pour être positifs, nous avons été rapidement à pied d’œuvre pour prendre le relais avec les réseaux sociaux et avec toute une approche dématérialisée grâce à l’association Platform qui a été très active et certains frac avec qui nous avons mis en place un système d’échanges d’idées et d’informations plus développé. L’ équipe pédagogique en lien avec l’équipe de la communication a profité aussi de ce temps pour passer en revue toutes les archives du Frac et mettre en place des dispositifs, notamment un système de newsletters autour des grandes monographies marquantes de ces dernières années. Nous avons ainsi pu faire le point sur ce que nous avions créé autour de ces expositions : publications et évènements. Ce travail a permis de redonner de la visibilité à ces projets.

Diogo Pimentão, Dessiner à rebours Frac Normandie Rouen, photo Marc Domage

Une solidarité a-t-elle émergé sur l’ensemble du territoire ?

Oui elle a été très forte ayant moi-même été sollicitée en tant que présidente de l’association RN13 bis art contemporain en Normandie qui coordonne le Schéma d’Orientation pour le Développement des Arts Visuels, Sodavi Normandie, ce qui a permis de faire remonter rapidement la situation critique des artistes. Nous avons été très mobilisés et avons organisé des échanges en visio-conférence pour mesurer l’impact du Covid sur la création, la manière dont on pouvait prendre le relais et faire remonter auprès de la région et des départements les enjeux d’un écosystème ultra fragile, les artistes n’ayant pas le statut d’intermittent du spectacle. Ne pas suspendre les règlements et continuer à payer les artistes même s’ils n’intervenaient pas, était l’une des priorités. La Région Normandie nous a de plus sollicité pour lancer un plan d’urgence assez ambitieux, sous la forme d’un appel à projet encore en cours, que nous allons porter et qui va permettre d’accorder des aides de recherche à une centaine d’artistes sur le territoire avec un jury très composite composé d’artistes et de représentants de divers structures. Cela va être un ambitieux chantier avec comme objectif de proposer une restitution pour lancer un plan de relance et un plan de filière, le tout supporté par la Région sur un budget que nous avons estimé à 220 000€. On espère que cela va encourager et aider à structurer la filière.

Barbara KASTEN Collision 4T, 2016 Coutesy the artist, Bortolomi New York and Thomas Dane Gallery

Normandie Impressionniste, comment votre exposition autour de la photographie et l’abstraction entre-t-elle en résonnance avec le fil rouge du festival, et pourquoi la décaler ?

Je tiens en préambule à souligner que l’exposition de Diogo Pimentão est déjà une amorce autour du dessin mais aussi de l’abstraction avec une forme assez abstraite et géométrique.

Nous avions beaucoup de transports venant d’Allemagne et d’Angleterre mais aucune visibilité sur la certitude d’avoir ces œuvres majeures pour ce projet sur la photographie abstraite très concentré sur les dernières créations, au tournant du XXème siècle. Malgré la grande exposition il y a un an à la Tate Modern qui portait d’un point de vue plus historique, ce sujet n’avait pas été traité encore en France. Nous en sommes à un stade encore expérimental sur ce sujet dû à un manque de connaissance, alors que beaucoup d’artistes, photographes ou non, pratiquent des approches photographiques abstraites avec une recrudescence très importante du fait du passage de l’argentique au digital qui a été une révolution.  Cette étape a eu des conséquences décisives dans notre relation à l’image et à l’œuvre d’art aujourd’hui. C’est un sujet passionnant à la fois très technique et pointu qui nous emmène vers des contrées scientifiques assez vertigineuses.

Shannon GUERRICO Collection Frac Occitanie Montpellier photo P Schwartz

Ce projet autour de l’abstraction photographique est construit à plusieurs, pourquoi ?

Je trouve que les collaborations sont toujours vivifiantes et cela permet de faire transiter les idées et les envies. Nous avons ainsi l’occasion de faire collaborer un Frac avec un centre photographique, le CPIF à Pontault-Combault et un centre d’art, Micro Onde à Vélizy avec Nathalie Giraudeau et Audrey Illouz avec qui je suis souvent en contact, Audrey Illouz faisant partie du comité technique d’achat du Frac. Ce sujet les intéressaient particulièrement aussi nous avons décidé d’un co-commissariat et nous nous sommes réparties les différents volets de ce projet très riche. Nous allons également proposer une publication commune bilingue aux éditions allemandes Hatje Cantz.

Laure TIBERGHEIN Ciba 5, 2018 Coutesy galerie Lumière des Roses Adagp

Comment sera organisé au Frac le parcours de visite ?

Au Frac nous aurons une approche très archéologique de la photographie et cette manière dont les artistes s’emparent de nouveau, entre les balbutiements de l’ère photographique et l’heure du tout numérique, non pas de façon nostalgique mais au contraire dans une approche très abstraite essentialiste, presque minimale. En contre point nous soulignerons l’émergence des nouvelles technologies notamment les techniques de l’impression et les nouveaux programmes algorithmiques qui vont permettre de redéfinir l’abstraction. La photographie abstraite allant alors verser dans l’abstraction pure, ce qui restait inconcevable pour certains.

Quels artistes emblématiques seront présentés ?

Nous allons avoir les grandes figures très représentatives de ce courant comme Thomas Ruff, Wolfgang Tillmans (qui sera présent au CPIF), Stan Douglas (sublimes color fields), Paul Graham, Wade Guyton, ou encore Barbara Karsten, Zoe Leonard ou Walead Beshty certains moins connus en France. A leur côté nous avions à cœur de proposer des artistes plus jeunes dont beaucoup de femmes photographes comme Aurélie Pétrel, Laure Tiberghien, Pauline Beaudemont ou Sarah Ritter.

La vocation des musées et centres d’art va-t-elle selon vous, devoir évoluer suite aux bouleversements soulevés par cette crise ?

Il est certain en effet. Il y a eu un effet d’accélérateur notamment sur la nécessité de procéder de manière beaucoup plus dématérialisée et de savoir capitaliser sur tous ces projets et archives en ligne. Cela a souligné la nécessité d’une vie parallèle en dehors de l’institution, ce qui est également valable pour les galeries ou d’autres structures. Même si l’institution garde un aspect essentiel sur le territoire auprès des publics, nous devons garder à l’esprit les incertitudes qui pèsent pour accélérer ces mutations digitales dans une approche plus intelligente et analytique. Il y a encore plein de choses à développer pour rendre ces canaux plus accessibles. C’était même assez enthousiasmant de le constater pendant cette période et les Frac ont été très innovants dans ce sens.

Infos pratiques :

Diogo Pimentão, dessiner à rebours

Jusqu’au 26 juillet

Catalogue « Residual Gravity »: par Mousse Publishing, première monographie de l’artiste. Riche d’une dizaine de textes inédits et d’un long entretien avec l’artiste, cet ouvrage bilingue et rétrospectif dévoile les enjeux d’une pratique du dessin résolument élargie, nourrie autant par la danse que la sculpture ou encore la performance. Prix 25 €

Normandie Impressionniste :

La photographie à l’épreuve de l’abstraction,

Une exposition, 3 lieux

Frac Normandie Rouen

12 septembre – 6 décembre

http://www.fracnormandierouen.fr/

Normandie Impressionniste : Parcours, Pass, Programme

https://www.normandie-impressionniste.fr/