FOMO VOX

L’après-confinement : Sylvie Zavatta, directrice du Frac Franche-Comté

Alors que le Frac Franche-Comté a rouvert depuis le 29 mai avec la prolongation de l’exposition « Dancing Machines », conçue avec le galeriste et commissaire Florent Maubert, Sylvie Zavatta revient sur ses engagements maintenus et sur l’exposition « Survivre ne suffit pas » conçue il y a tout juste un an, à partir d’un recueil d’anticipation qui soulevait la question de la place de la culture dans un monde en période de crise. La directrice du Frac est une humaniste convaincue qui tire la sonnette d’alarme sur la situation très tendue à venir pour de nombreux artistes.

Comment avez-vous géré cette période de crise au Frac Franche-Comté, au niveau notamment des expositions actuelles et à venir ?

Très vite nous nous sommes organisés pour faire en sorte que chacun poursuive ses missions dans la mesure du possible via le télétravail. Nous sommes à présent opérationnels. J’ai aussi pris rapidement la décision de décaler dans le temps toutes les expositions et tout d’abord de prolonger l’exposition actuelle Dancing Machines qui aurait été amputée de 6 semaines de présentation ce qui aurait été dommageable pour les artistes et le public. Il est vrai par ailleurs qu’au regard de son coût financier et de l’investissement humain qu’elle a demandé, elle méritait de bénéficier d’un « sursis ». Dancing Machines est donc prolongée jusqu’au 16 août ainsi que tous les évènements de la programmation culturelle qui lui sont liés. Je n’ai rien voulu annuler que ce soit conférences, performances, représentations chorégraphiques, résidences de chorégraphes, … J’ai eu de très bons retours des artistes actuellement exposés, heureux que leurs œuvres soient présentées plus longtemps, et des prêteurs qui se sont montrés également très réactifs même si j’attends encore quelques confirmations du Centre Pompidou et du CNAP qui sont eux-mêmes très impactés par la situation et ralentis dans leur prise de décision.
Les deux autres expositions prévues à sa suite, toujours en résonnance avec la problématique danse et arts visuels («Rose Gold» de Cécile Bart puis «Danser sur un Volcan»), seront également décalées dans le temps. Je peux donc dire que je fais tout ce qui est possible pour tenir nos engagements.

Vue de l’exposition Dancing Machines, Frac Franche-Comté, 2020, commissariat Florent Maubert & Sylvie Zavatta. Photo : Blaise Adilon. 

Quel sera selon vous, l’impact sur les artistes d’une telle crise dans votre région et au-delà ? 

Les artistes, qui sont déjà économiquement fragiles dans notre société, vivent aujourd’hui une situation extrêmement anxiogène. Ils n’ont pas de statut protecteur comme c’est le cas pour les intermittents du spectacle. Beaucoup survivent tout simplement. Le rapport Racine l’a montré, dénonçant cette précarité. La crise actuelle va évidemment aggraver les choses pour beaucoup d’entre eux, qu’ils soient ou non représentés par des galeries, le marché étant fortement impacté également. Tous ceux qui survivent grâce au RSA augmenté de quelques rémunérations provenant de workshops ou autres propositions de médiation ou d’interventions en milieu scolaire par exemple, vont se trouver en grande difficulté. Cela m’attriste et m’inquiète énormément. On le sait, se sont les plus fragiles qui sont les plus grandes victimes des grandes crises que notre monde a connues. La plupart des artistes ne fera malheureusement pas exception sans une intervention adaptée des pouvoirs publics.

Vue de l’exposition Dancing Machines, Frac Franche-Comté, 2020, commissariat Florent Maubert & Sylvie Zavatta. Photo : Blaise Adilon. 

Les aides de l’Etat vous semblent-elles adaptées ?

Quand on compare les mesures prises par le gouvernement français : 22 millions € pour le secteur culturel (dont 2 millions pour les arts visuels), aux 50 milliards € de l’Allemagne, on se dit que ces deux pays ne font pas du tout la même analyse des conséquences de cette crise sur le secteur culturel et peut-être ne lui accordent pas la même importance pour leur société. Je ne suis pas qualifiée pour mesurer les capacités économiques de chacun mais ce contexte me renvoie à une exposition que j’ai proposé au Frac, il y a exactement un an. Elle s’intitulait « Survivre ne suffit pas ». Ce titre, je l’ai emprunté à un roman d’anticipation d’Emily St. John Mandel intitulé Station Eleven. L’auteure y décrit l’histoire d’une troupe de théâtre itinérante dans un monde où l’humanité a été dévastée par une pandémie pour affirmer qu’au-delà des besoins primaires (manger à sa faim, avoir un toit,…), l’Homme a besoin de culture pour conserver son humanité. C’est un livre plein d’espoir que je recommande à la lecture, à chacun et peut-être surtout à ceux qui nous gouvernent, dans un moment où la réalité semble avoir rejoint la fiction.

Que pensez-vous de l’initiative de Pascal Neveux, votre homologue en région PACA et président du CIPAC, qui a lancé une large enquête afin de mesurer les retombées immédiates de cette crise sanitaire dans le secteur des arts visuels ?

C’est évidemment une initiative pertinente et j’ai rempli de mon côté le questionnaire même si pour l’instant les estimations sont encore un peu vagues. Nous serons en mesure d’être plus précis sur l’impact économique de cette crise pour les Frac et Centres d’art à l’issue du confinement et lorsque nous auront repris notre activité. Ceci dit cette enquête donnera une estimation des conséquences du Covid 19 dans notre secteur mais ne pourra rendre compte des conséquences collatérales sur tous ceux qui participent de la chaine de production des œuvres et des expositions à savoir des associations, des artisans, des PME, …Et elles seront malheureusement nombreuses.

Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entrainera des changements durables dans nos habitudes et comportements pour concevoir et montrer de l’art, le partager et le vivre ?

Cette période nous amène à développer plus encore des initiatives pour promouvoir les œuvres via des propositions numériques et les réseaux sociaux et nous oblige à inventer d’autres formules, ce qui est très bien. Mais à mon sens cela ne peut remplacer la relation directe aux œuvres d’art, la visite réelle d’une exposition, le dialogue direct avec les artistes et médiateurs. Je suis certaine qu’à l’issue du confinement, nous allons nous précipiter dans les lieux culturels ne serait-ce que pour renouer librement avec nos habitudes. Mais j’espère que cette épreuve aura été propice à une réflexion profonde sur notre modèle économique qui, pour de nombreux chercheurs, est responsable du désastre écologique à l’origine de cette pandémie, et aboutira à l’adoption de mesures concrètes. Le secteur culturel, conscient de sa part de responsabilité en matière de dégradation environnementale, a commencé avant cette crise à remettre en question certaines de ses pratiques. Il est certain que nous allons persévérer en ce sens.
Mais, j’espère aussi vraiment que notre besoin de reprendre une vie normale n’engendrera pas une relance économique délétère pour la planète. Cela est à craindre tant on peut déjà constater que le Coronavirus a éclipsé, dans les médias et dans le discours de nos décideurs, les questions d’ordre environnemental. Sans vouloir jouer les Cassandre, il y a fort à craindre que sans changement de modèle économique, sans décroissance voulue et non subie, nous soyons confrontés dans les années à venir à nombre d’autres crises aux conséquences sociales et humaines bien plus catastrophiques. Bref, je fais le vœu que nous ne choisissions pas de « danser sur un volcan ».

Infos pratiques :

Prendre connaissance au préalable des mesures sanitaires prises par l’établissement.

Dancing Machines

jusqu’au 16 août

Avec les œuvres de : Emmanuelle Antille, Hans Bellmer, Anna et Bernhard Blume, Robert Breer, Gabrielle Conilh de Beyssac, n + n Corsino, Justine Emard, Christelle Familiari, Esther Ferrer, Daniel Firman, William Forsythe, La Ribot, Les frères Lumière, Agnès Geoffray, Laurent Goldring, Jürgen Klauke, Micha Laury, Senga Nengudi, Tony Oursler, Gilles Paté et Stéphane Argillet, Markus Raetz, Oskar Schlemmer, Paul Mpagi Sepuya, Veit Stratmann, Erwin Wurm.

Frac Franche-Comté, Cité des arts
2 passage des arts
25000 Besançon


https://www.frac-franche-comte.fr

Quitter la version mobile