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Marc-Olivier Wahler : « Le musée de demain doit contribuer de manière créative et critique à cet exercice de funambulisme entre un monde qui se virtualise et une réalité tangible»

Nous l’avions quitté avec Chaley Society -Museum of Everything #1.1 (préfiguration de Beaupassage par le promoteur Emerige) et avions presque oublié qu’il était suisse, tant ce parisien d’adoption qui fait partie de la genèse du Palais de Tokyo était une figure incontournable de notre scène contemporaine. A présent ce natif de Neuchâtel, se retrouve à 54 ans à la tête du Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH). Tout un symbole pour la nouvelle dynamique engagée autour de l’institution de part son expérience dans différentes entités muséales internationales. Après des études de philosophie et d’histoire de l’art aux universités de Neuchâtel et Lausanne, il a commencé sa carrière en 1992 comme conservateur au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne. Il rejoint le MAMCO, à Genève, en 1993 et participe à l’ouverture du musée. En 1995, il co-fonde le CAN (Centre d’art Neuchâtel) avant de s’envoler pour New-York, où il dirige le Swiss Institute de 2000 à 2006.

Entre 2006 à 2012, nommé à la tête du Palais de Tokyo (Paris), il initie et conduit la rénovation et la restructuration de l’institution, contribuant à lui conférer le statut prestigieux qu’elle a aujourd’hui. Enfin, il assume la direction du MSU BROAD MUSEUM, (Michigan State University, East Lansing, Etats-Unis) de 2016 à 2019.

Musée d’art et d’histoire de la Ville de Genève annonce qu’il va rouvrir ses portes le 21 mai suite à des mesures de visite très strictes qui vont favoriser un cadre privilégié de contact en tête-à-tête avec les œuvres.

Comment vous organisez-vous au niveau du Musée d’art et d’Histoire pour faire face à cette crise en termes de programmation, gestion, ressources humaines.. ?

Depuis six semaines, nous vivons en effet toutes et tous un étrange moment. Une grande partie des collaborateurs et collaboratrices du MAH assure la poursuite des missions du musée soit par le biais du télétravail soit par des rondes sur nos différents sites: elles/ils veillent à la sécurité des oeuvres et des bâtiments; garantissent la continuité des activités comptable et financière; assurent la présence de notre musée et sa collection sur la toile; poursuivent les activités de recherche et de programmation, etc. Des contacts téléphoniques réguliers ont lieu avec l’ensemble des membres du personnel, des vidéo-conférences sont organisées, une newsletter interne spéciale pour cette période de confinement est envoyée chaque semaine. Par ailleurs, comme le MAH est un musée municipal, certains de nos collaborateurs ont souhaité se montrer solidaires et sont réaffectés dans d’autres secteurs prioritaires en Ville de Genève. Il est évident que, pour la plupart d’entre nous, notre quotidien s’est resserré. Nous ne sortons plus ou très peu de chez nous. Notre espace professionnel s’infiltre dans notre espace privé et la semaine ne connaît plus sa scansion classique. Mais l’énergie, l’engagement et la créativité des collaborateurs et collaboratrices du MAH ne faiblissent pas.

Fred Boissonnas (1858-1946) Magdeleine G. dansant sous hypnose. Chevauchée des Walkyries, août 1903
Cyanotype 17 x 12,2 cm Inv. FBB P Magd 63000-1011 © Bibliothèque de Genève

Quels sont les enjeux de l’opération digitale participative que vous lancez MAHchezvous.ch et en quoi se distingue t-elle des nombreuses autres propositions muséales qui surgissent actuellement ?

#LeMAHchezvous est une exposition virtuelle qui permet au musée d’assurer une présence durant sa fermeture et qui se voulait différente de que nous avons déjà tous vu ailleurs, à savoir une vision à 360° des salles d’exposition. Le concept repose sur une réflexion que j’entends mener ces prochaines années au sein du MAH sur le rôle des objets. En proposant aux visiteurs d’intégrer des oeuvres du musée au sein de leur intérieur, je souhaite interroger la valeur usuelle de ces objets, une valeur qui a été éclipsée depuis plusieurs années au profit de considérations uniquement esthétiques. Cette problématique sera d’ailleurs abordée par l’exposition de la curatrice Lena Jakob Knebel qui aura lieu début 2021. Le MAH chez vous permet aussi une valorisation de la collection du musée en confrontant des oeuvres puisées dans les différents domaines que sont l’archéologie, les beaux-arts, les arts appliqués, la numismatique, l’horlogerie, etc. En effet, grâce à des liens visibles ou cachés sur les photographies, nous souhaitons susciter la curiosité, créer la surprise, etc.

Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entrainera des changements durables dans nos habitudes et comportements pour concevoir et montrer de l’art, le partager et le vivre ?

Je ne m’attends pas à une véritable révolution. Pour moi, cette crise majeure a accéléré des processus en gestation. L’art a toujours été un bon révélateur de tels processus. Les technologies de réalités virtuelles et de réalités augmentées vont continuer à se développer au point de reconsidérer l’idée même de mobilité et de changer de nombreuses habitudes (visite de foires, vente aux enchères, circulation des œuvres, etc.) L’idée que le software a gagné sur le hardware, déjà pertinente il y a une quinzaine d’années, va s’imposer comme une évidence. Réfléchir sur le musée de demain dans un tel contexte est passionnant et assez vertigineux, compte tenu de l’accélération soudaine de processus en lente maturation jusqu’ici. Le défi majeur à mon avis va être de conserver un équilibre entre notre monde qui se virtualise et une réalité tangible, sensible et kinesthésique. Et le musée de demain doit contribuer de manière créative et critique à cet exercice de funambulisme. Par ailleurs, réduire notre impact carbone fait partie des priorités dans la stratégie que j’ai établie à mon arrivée au MAH: j’entends proposer des expositions en lien avec notre collection plutôt que de favoriser des expositions bluckbuster qui exigent l’emprunt d’oeuvres partout dans le monde, impliquant des transports aériens notamment.

Mais le curateur suisse n’en a pas finit avec notre capitale ! Les parisiens retrouveront Marc-Olivier Wahler autour du futur Paris Art Lab, bâtiment en bord de Seine, réhabilité par David Chipperfield Architects (Morland Mixité Capitale « Réinventer Paris ») dans le cadre de l’appel à projet de 43 000 m² remporté par Emerige. Ce laboratoire artistique, couronné par l’artiste star Olafur Eliasson, Marc-Olivier Wahler l’imagine autour de saisons avec des expositions, performances, rencontres avec des philosophes, penseurs, architectes…

En savoir plus : les Musées d’art et d’histoire de Genève

Le MAH n’est pas fermé : il est chez vous !
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L’exposition Fred Boissonnas et la Méditerrannée qui devait ouvrir en avril au musée Rath est reportée en septembre.

Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH)
Rue Charles-Galland 2
Genève, Suisse

http://institutions.ville-geneve.ch/fr/mah/

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