Jocelyn Wolff, selfie en mode confiné, avril 2020
Remarqué lors de la dernière FIAC pour la proposition de Katinka Bock au Jardin des Tuileries, artiste finaliste du Prix Marcel Duchamp, Jocelyn Wolff a fait le pari récent de Komunuma à Romainville pour accompagner son développement. Il nous livre une vision à la fois alarmiste, engagée et prospective des menaces qui planent sur l’écosystème de l’art à Paris, conscient des enjeux de nécessaire régulation du marché au sortir de la crise et maintenant le cap exigeant de ses convictions de départ.
1. Comment vous organisez-vous sur les 2 sites de la galerie, Belleville et Komunuma face à cette situation sans précédent ?
A Komunuma, Romainville, nous avons démonté l’exposition et préparé un certain nombre de colis d’œuvres que l’on doit envoyer à nos clients même si en ce moment les opérations de logistique sont compliquées. J’y suis allé hier et c’est assez étrange comme sensation de voir l’espace vide et immaculé, sans aucune pièce au mur. Nous attendons de pouvoir monter le 2ème chapitre de l’exposition de Miriam Cahn prévu à Belleville et pour la première fois nous avons monté l’exposition avec l’aide de l’artiste par FaceTime. Nous l’avons filmé et mis une promenade virtuelle sur internet ainsi qu’un petit clip sur l’exposition réalisé par un artiste, Arthur Debert, pour donner un point de vue plus humoristique. En terme de gestion du personnel, la plupart de mes collaborateurs sont
en chômage technique ou arrêt maladie pour garde d’enfants : la structure est partiellement gelée.
2. Cette crise favorise t-elle selon vous l’émergence d’un rôle nouveau de la galerie en matière de production de contenus avec une offre virtuelle exponentielle ?
On parle souvent de présence médiatique alors qu’il convient de distinguer digitalisation à plusieurs niveaux y compris l’organisation interne.
Si nous avions du retard sur la partie visible de notre digitalisation, nous sommes très en avance sur la gestion interne de nos bases de données, ce qui est moins visible et peut paraître contradictoire. Il faut savoir que certaines galeries sont très brillantes sur internet alors qu’en fait il y a un grand laisser aller sur la question des archives notamment. Malgré tout nous avons dès la veille du confinement lancé une chaîne YouTube avec l’idée d’y mettre des contenus très précieux selon moi, que nous avions gardé en attente. Cette chaîne fait déjà plus de 850 vues ce qui n’est pas négligeable sur des contenus très pointus dans cette courte période.
Je trouve qu’aujourd’hui nous sommes sollicités à outrance, ce qui aboutit à une saturation médiatique non seulement par les galeries mais par l’ensemble des acteurs ; cela me questionne. D’une part il était bien pour nous de combler un retard avec du contenu à valeur ajouté mais ne faut-il pas s’abstenir un peu, ralentir, se mettre
temporairement en veille ? J’aurais beaucoup appris de cette période autour du désir renouvelé de voir les œuvres, certaines fonctionnant bien en digital mais peu en ce qui concerne notre programmation. C’est aussi une question de compromis et je n’en n’ai jamais fait par rapport aux attentes du marché. Le jour où je me dirais qu’il faut tel type
d’œuvres ou d’artistes parce que c’est ce qui fonctionne online, et il n’y a qu’un pas, ce métier ne m’intéresse plus. Je suis très catégorique là-dessus. Je ne vais pas commencer à faire des compromis maintenant et je pense que c’est notre rigueur éditoriale et sincérité qui nous ont menés assez loin ; il nous faut continuer avec les mêmes convictions. Nous arrivons à une sorte d’obscénité de contenus, qui me place de nouveau dans un désir de formats écrits.
3. Comment réagissent vos artistes et quel soutien leur apportez-vous ?
C’est tout à fait variable. Les deux artistes argentins avec lesquels je travaille Diego Bianchi et Santiago de Paoli, ont je me rends compte, une expérience de la crise que nous les Européens n’avons pas, avec recul et bonne humeur. Pour d’autres comme Franz Erhard Walther ou Miriam Cahn certains voyages ou expositions sont reportés mais dans leur pratique il n’y a pas d’incidence réelle. Franz Erhard par exemple travaille la nuit à sa table face à un grand jardin. Les artistes dont le travail est lié à certaines invitations comme Katinka Bock ou Guillaume Leblon sont forcément plus en pause et étant de plus parents de jeunes enfants, ont des contraintes personnelles comme plusieurs de mes collaborateurs à la galerie (et moi-même).
Il émerge malgré tout un sentiment de solidarité général, les artistes réalisant que l’écosystème des galeries leur est vital, dans une période où le marché de l’art a temporairement disparu.
4. Quelles menaces pèsent sur l’écosystème des galeries et de l’art comme le souligne Marion Papillon qui prédit la fermeture d’un tiers des galeries ?
Sa projection est juste. La menace est très forte et à plusieurs niveaux. Le marché est gelé et pendant le temps du dégel à venir va s’établir un rapport de force entre les clients et les galeries. Celles qui peuvent attendre et ne pas vendre à perte les œuvres de leur inventaire vont tenir et peut-être retrouver une position plus forte au lendemain de la crise. De toute façon, et c’est déjà le cas, les galeries fragiles et très dépendantes des foires sans clientèle en propre, auront beaucoup de mal. A cela s’ajoute une relative fragilité suite aux épisodes des grèves et gilets jaunes, c’est pourquoi nous avions beaucoup travaillé pour que ce printemps nous porte. Aujourd’hui être présents
auprès d’une clientèle internationale nous permettra de se reconstruire, mais cet accès au marché international est très compliqué avec une trop petite structure.
Au-delà des galeries, c’est tout un écosystème qui est concerné. Je suis assez anxieux pour tous les indépendants, les artistes avec qui je travaille qui font du montage d’exposition, les photographes, toutes ces collaborations précieuses et sous une réelle menace de précarité. Face à cela, je ne trouve pas que le Ministère de la culture apporte des solutions très adaptées. Au moment de la reprise du marché, la concurrence va être
compliquée : je regarde la capacité de mes confrères galeristes américains de pouvoir s’arrêter et grâce à des coûts fixes qui s’ajustent, redémarrer très rapidement. Alors qu’en France il est impossible de diminuer les coûts de structure de manière aussi forte même en ayant recours au chômage partiel ; les loyers ne se négocient pas mais se reportent ce qui implique d’être doublement profitables au moment de la reprise, à un horizon que nous ne connaissons pas. L’Allemagne également, même si c’est un pays moins sensible jusqu’alors aux galeries et aux indépendants, a su de jour au lendemain montrer son soutien ; par exemple, la ville de Berlin a envoyé un chèque de 5000€ aux indépendants pour leur permettre de tenir. Les autorités françaises n’ont pas compris ce qui se joue autour de tout cet écosystème et les indépendants, préférant se concentrer sur de grands enjeux productifs comme la fermeture des aéroports… Je trouve que tout ce vivier des galeries à Paris est extrêmement précieux et pas moins que certains musées, car nous faisons vivre des artistes vivants. Je ne suis donc pas très optimiste et
surtout depuis que notre profession pâtit d’une image plutôt négative et polluée dans l’opinion, quelques oligarques ayant pris trop de pouvoir sur l’art contemporain. Alors que l’art contemporain c’est d’abord ce formidable agrégateur d’artistes, d’indépendants, de petites structures qui proposent des expositions gratuites et font la promotion de leurs artistes à l’international. Cette prise de conscience encouragerait sans doute plus les pouvoirs publics à nous soutenir.
5. Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entrainera des changements durables dans nos habitudes et comportements pour concevoir et montrer de l’art, le partager et le vivre ?
Je l’espère et la crise parce qu’elle est si elle est très douloureuse, va nécessairement servir d’électrochoc sur la vraie crise qui est en jeu, le changement climatique. Nous avons maintenant un aperçu presque microscopique de cette crise mondiale à l’échelle des changements à venir. Cela conduit à un certain nombre de changements dans
le milieu de l’art contemporain comme assainir les foires, rééquilibrer la relation ville-campagne pour repenser la place de l’art dans un contexte plus rural, offrir une expérience artistique en dehors des grands centres urbains et de ce mode de consommation lié au tourisme. Comment peut-on aujourd’hui atterrir, pour reprendre les mots de Bruno Latour, tout en gardant une liberté, une circulation des idées entre les cultures et les artistes, me semble le challenge auquel nous sommes directement confrontés. Une question qui ne va pas s’évaporer dès lors qu’une sortie de confinement sera possible. Passée cette période de confinement qui est ce moment de sidération
collectif, c’est la période de reprise graduelle qui sera réellement propice pour imaginer de nouveaux modèles durables.
Les vidéos de la galerie :
Notre Sud, Miriam Canh
Por qué me gusta Santi de Paoli
Visionner G comme Galeriste : FIAC 2019