Man Ray, « Sans titre », vers 1935, collection Lucien Treillard (© Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2019) musée Cantini, Marseille
Comme s’en félicite Xavier Rey, directeur des musées de Marseille et commissaire général, c’est grâce au soutien de la RMN que la double exposition marseillaise Man Ray et la Mode pourra être montrée à Paris au musée du Luxembourg au printemps 2020. Tout d’abord « Man Ray, photographe de mode » au musée Cantini s’attache à montrer les liens permanents entre son travail de photographe professionnel et ses œuvres. Claude Miglietti conservatrice du musée Cantini et co-commissaire souligne ainsi : « S’intéresser aux photos de mode de Man Ray permet de comprendre son processus créatif et comment il n’a cessé de passer de l’un à l’autre ». Volet méconnu de sa création qu’il n’assumait pas totalement explique Alain Sayag, conservateur du cabinet de la photographie du Centre Pompidou, commissaire scientifique, ces tirages et négatifs pour la plupart dispersés, étaient souvent envoyés aux rédactions de l’époque qui les gardaient.
« Man Ray renouvelle la photographie de la mode jusqu’alors strictement documentaire. Il apporte un regard neuf fait d’inventivité technique et de liberté à la gloire de la femme et de ses vêtements » comme le résume Claude Miglietti dans un parcours où photographies dialoguent avec les revues de mode commanditaires de ces images, dont la fameuse série des Larmes emblème surréaliste, au départ publicité pour une marque de rimmel en 1935. Les premiers modèles de Man Ray sont des personnalités brillantes du milieu parisien qu’il sublime de ses artifices techniques (solarisation découverte avec Lee Miller, superposition, découpage..).
L’apogée de son style correspond aux années Harper’s Bazaar de 1934 à 1939 et sa collaboration avec Alexey Brodovitch et il n’est pas rare qu’il recycle ce travail de commande.
Ces années folles sont un défilé constant de bals et autres prétextes extravagants comme en témoigne Peggy Guggenheim, Nancy Cunard ou Marie-Laure de Noailles, muses au même titre que Kiki. Les couturiers qu’il fréquente comme Elsa Schiaparelli passent dès lors du statut de fournisseur à celui de personnalités en vue comme le souligne Catherine Örmen, conservatrice du patrimoine et commissaire scientifique de « La mode au temps de Man Ray » au Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode/Château Borély, exposition en contre point qui confronte photographies et modèles phares de ces grandes maisons de couture : Gabrielle Chanel, Paul Poiret, Augustabernard, Madeleine Vionnet, Nicole Groult..
Dans un parcours en 2 niveaux, le musée des Arts décoratifs de la Faïence et de la Mode évoque tout d’abord la garçonne des années 1920 puis les changements des années 1930 quand les robes se rallongent et les convenances reprennent le dessus pour plus de sophistication comme le décrit Marie-Josée Linou, conservatrice du musée. La beauté (cosmétiques, coiffure) entre alors dans l’emprise de la mode, sous l’influence du cinéma et d’une nouvelle esthétique.
C’est une silhouette, une gestuelle et une allure que va magnifier Man Ray, traquant la quintessence de la féminité, selon les propos de Catherine Örmen qui a répondu à nos questions.
- Méthodologie de travail et votre vision de la mode
J’ai étudié les collections de Marseille pour retenir ce qui pouvait être pertinent de garder, hormis de très belles pièces qui sont évidentes et d’autres plus modestes mais qu’il était intéressant de montrer car la mode ce n’est pas uniquement affaire de créateurs. Ce qui m’intéresse dans la mode est la vision la plus large possible, c’est-à-dire le processus de diffusion et notamment les catalogues commerciaux qui sont au plus près des tendances. Ils ont déjà un rôle prescripteur dans la mode dans les années 1930. Les grands magasins le Printemps et les Galeries Lafayette vont créer leurs propres lignes, leurs propres collections pour offrir des modèles qui sont dans l’esprit du temps. Un dispositif numérique (salon de la bienséance) permet la consultation des magazines de mode des années 1920 et 30 si appréciés des lectrices. A l’époque la mode restait très dictatoriale avec une codification très précise selon les lieux et les heures du jour, axes que nous avons choisi en termes de scénographie et de parcours.
2. Défi de la monstration
C’est toujours un défi de monter une exposition de mode, longue à mettre en œuvre car nécessitant un travail de mannequinage en amont, afin de préserver les formes des robes et de retrouver la trace du corps qui les ont porté. Certains modèles trop fragiles, ne peuvent pas être présentés à la verticale, comme nous le montrons avec cet ensemble d’été de Lanvin de 1925, une marinière sur une jupe plissée, qui a necessité 90 heures de travail de restauration.
Autre contrainte : la lumière qui ne dois pas dépasser 50 lux pour une meilleure conservation possible des textiles.
3. Le parcours
Dans une 1ère partie de l’exposition « Grand salon des années 1920 » nous présentons des pièces spectaculaires et toutes très novatrices avec les grands noms des couturiers Jean Patou, Chanel, Lucien Lelong, Lanvin, Paul Poiret, Worth, Callot Sœurs traduisant bien l’image de la garçonne des années 1920 qui se glisse dans une robe droite assez courte, voyante, sans entrave, pour pouvoir vivre à toute allure ! Au contraire des années 1930 traitées au 1er étage (Grand Salon des années 1930) où la mode est plus galbée, classique, très raffinée, comme chez Madeleine Vionnet qui avec le biais épouse le corps et imite les silhouettes inspirées de la Grèce classique. Pour aller vers le fantaisiste et le surréaliste avec Schiaprelli qui côtoie les membres du Surréalisme comme Man Ray, Cocteau, Dali… tout un milieu très créatif qui va apporter à la mode une fantaisie qu’elle ne connaissait pas.
4. Qu’est ce que Man Ray a changé à la mode ?
Sa vision onirique. Il a donné une dimension sensuelle, érotique au vêtement, étrange, voire dramatique, à travers des vues en contre plongée, une mise en page audacieuse, un cadrage serré et un style très graphique (Harper’s Bazar). Il a twisté les registres, et en cela il a été très novateur annonçant les retouches d’images des années 1980. Ce n’est plus la robe qui compte mais l’image de la mode. C’est l’idée que l’on se fait de la mode qui est recherchée. Man Ray a accompagné un phénomène également très important, l’affranchissement des couturiers de leur statut de fournisseurs. Avec Chanel, Patou et Schiaparelli, ces personnalités qui revendiquent une dimension artistique, vont devenir des figures mondaines à part entière. Ils sont à la tête d’entreprises qui sont de véritables industries (Chanel dirige 4000 personnes comme Vionnet) et ce succès leur donnent un rôle important, devenant des mécènes ou participant à des entreprises artistiques comme Chanel avec les ballets russes. Cette proximité entre la couture et le monde des arts est capitale. C’est ce que nous traduisons dans le diaporama du 1er étage (salon des mondanités) qui regroupe les personnalités habillées par Chanel et photographiées par Man Ray.
5. Les autochromes du musée Albert Kahn
Albert Kahn a envoyé dans le monde entier ses opérateurs pour témoigner de ce qui était en train de disparaitre. . Il a créé parallèlement à ces archives de la planète, un studio photographique dans son jardin de Boulogne pour y photographier le temps présent à travers ses invités ou les gens de passage. Cela donne un panel très large de ses amis, dont la photographie est documentée très précisément. L’objectif est surtout de montrer une diversité sociologique, générationnelle, sociale et géographique. L’aspect sériel et très rigoureux annonce les démarches conceptuelles de photographes de générations suivantes.
Catalogue aux éditions RMN-Grand Palais, 248 pages, 39€.
Infos pratiques :
Man Ray, photographe de mode
Musée Cantini, Marseille
La Mode au temps de Man Ray
Château Borély – Musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, Marseille
jusqu’au 8 mars 2020