FOMO VOX

Rencontre avec Laurence Mouillefarine, journaliste et co-auteur du livre Lacloche Joailliers, commissaire de l’exposition

Bracelet en diamants, onyx et rubis taillés en cabochons, 1925.
Le premier propriétaire de ce bijou l’acquit auprès de Lacloche Frères lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes à Paris en octobre 1925.
LA Collection Privée. © 2019 Christie’s Images Limited

Saviez-vous que le duc de Westminster s’adresse aux joailliers Lacloche Frères à l’occasion de son troisième mariage avec Loelia Ponsonby, dont la parure sera immortalisée par le célèbre Cecil Beaton ou que Rainier III prince de Monaco choisit Jacques Lacloche pour plusieurs bijoux destinés à la ravissante Grace Kelly ? Autant de personnalités flamboyantes qui concourent au mythe de cette maison pourtant mal connue du grand public. L’Ecole des Arts Joailliers située au cœur de la place Vendôme, répare ce malentendu à travers une exposition remarquable qui réunit une centaine d’œuvres et gouaches exceptionnelles grâce à la journaliste Laurence Mouillefarine qui s’est livrée à une véritable chasse aux trésors pour reconstituer l’histoire mouvementée de cette maison qui a brillé pendant sept décennies.

Passionnée par la création de l’entre-deux-guerres, Laurence Mouillefarine a été la co-commissaire de l’exposition « Bijoux Art déco et avant-garde » au musée des Arts décoratifs à Paris en 2009.

Elle est l’auteur, avec Véronique Ristelhueber, de Raymond Templier, le bijou moderne, la première monographie consacrée au joaillier (Éditions Norma, 2005). Raffolant des histoires de trésors trouvés dans les greniers, elle a écrit à quatre mains, avec Philippe Colin-Olivier, Vous êtes riches sans le savoir (Le Passage, 2012).

Elle a répondu à nos questions.

  1. Que symbolise aujourd’hui la maison Lacloche ?

Elle symbolise à la fois le savoir-faire des artisans joailliers, des lapidaires, des diamantaires, des boitiers.. et la quintessence de l’élégance. Même si Lacloche Frères ne sont pas les seuls de la Rue de la Paix et Place Vendôme à avoir proposé des bijoux magnifiques, à y regarder de près ils ont une exigence quant à la qualité de fabrication qui est exceptionnelle et une vraie délicatesse.

Pendants d’oreilles, en rubis, émeraudes, diamants, platine, vers 1925.
Collection privée. Photo Tony Falcone.

S’ils ont suivi les courants esthétiques de l’époque : l’Egyptomanie, l’engouement pour l’Extrême-Orient, l’art animalier en 1900, le modernisme et l’Art Déco, la fantaisie des années 1950.. en revanche on reconnait leur style à un goût et une poésie inégalés.


Loelia Ponsonby, duchesse de Westminster, photographiée par Cecil Beaton en 1931
© The Cecil Beaton Studio Archive at Sotheby’s

2. Quelle a été votre méthode de travail, les archives étant parcellaires et dispersées pour le catalogue et l’exposition ?

Il convient de distinguer deux périodes, tout d’abord Lacloche frères jusqu’en 1932 puis l’époque Jacques Lacloche entre 1930-1960. Pour cette dernière nous étions mieux lotis car son fils Francis avait récupéré quelques archives de son papa avant qu’elles ne soient jetées.

En revanche comme en 1931 ils ont déposé leur bilan tout était parti aux enchères et avait disparu par la suite. Nous avons fait comme tous les chercheurs nous avons commencé par étudier toutes les revues d’époque et dépouiller les articles un par un. J’ai lancé des appels dans le monde entier et ai eu un petit bonheur en lisant un catalogue d’une exposition au musée des Arts Décoratifs en 1976 à la gloire de l’Exposition de 1925 où 2 lignes citaient : « Lacloche Frères album de 21 gouaches représentant des pendulettes, Lacloche frères album de 63 bijoux et gouches ». J’ai alors concentré mes recherches sur ces albums, l’Exposition de 1925 étant mythique. Je découvre que Jacques Lacloche les avait venus à sa mort fin des années 1970 à Saint Moritz aux enchères, un marchand genevois les avait acquis pour éviter que ses confrères ne les partage, pour les revendre ensuite à un marchand new yorkais, lequel est mort entre temps.. finalement au bout de 2 ans et demi je les ai retrouvés chez un collectionneur à New York. Un succès qui non seulement montre tout ce qu’ils ont exposé en 1925 ce qui est fabuleux mais qui m’a permis de dater certains bijoux et d’affirmer qu’ils ont bien été exposés en 1925, comme ce bracelet qui orne la couverture du catalogue et l’affiche de l’exposition, ce qui est très émouvant. Une vraie chasse au trésor ! C’est comme dans une enquête avec des moments de désespoir de frustration, de doute et tout d’un coup de grand bonheur.

Bracelet en or, émail, rubis gravés,
Fabriqué en 1938 par l’Atelier Verger pour Jacques Lacloche.
Collection privée. Photo Benjamin Chelly.

3. L’heure de gloire de la Maison correspond-elle bien à l’Exposition de 1925 ?

Oui tout à fait, à l’entre-deux guerres, les Années Folles. A ce moment là ils sont présents rue de la Paix à Paris, l’artère la plus prestigieuse, le rendez-vous des élégantes et à Londres sur Bond Street comme il se doit. Ils ont aussi une succursale à Cannes, à Deauville, la maison Lacloche Frères suivant la haute société dans ses lieux de villégiature. A l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes de 1925 qui va avoir un retentissement mondial, ils font partie des quelques joailliers triés sur le volet, une trentaine seulement sur une corporation qui en comptait alors 400. Leur stand au centre de la salle qui voisine avec Cartier et Van Cleef & Arpels remporte un Grand Prix pour les parures inspirées des Fables de la Fontaine. Les chroniqueurs et amateurs remarquent également les luxueux nécessaires de beauté, l’une des spécificités de la Maison d’une grande audace et ingéniosité.

4. Quelle création résume t-elle à vos yeux le savoir-faire des joalliers Lacloche ?

Assurément ce bracelet entièrement formé d’un canevas de platine sur lequel sont brodés des roses en diamant à l’imitation de la dentelle et du petit point. Une prouesse technique d’une grande grâce.

Bracelet manchette en or blanc, or jaune, cabochons de corail
Signé J. Lacloche Cannes, 1937.
LA Collection Privée. © Photo Luc Pâris

5. Comment Jacques Lacloche a-t-il été un précurseur ?

Il a une vraie audace quand en 1937 il propose un bracelet moderniste étonnant en forme de manchette emblématique des années 1930, orné de cabochons amovibles en corail que l’on peut selon ses humeurs changer pour du topaze, du jade, des turquoises.

Il est ouvert à la modernité au point d’être le premier joaillier à lancer un parfum en 1954, même si Cartier avait déposé en 1938 la marque Cartier parfums suspendu à cause du conflit de 1939.

Il commence à s’ouvrir à l’art contemporain exposant dans sa boutique à Cannes des bijoux d’artistes et consacrant le premier étage à des expositions de peinture dans les années 1960. Jusqu’au jour où il ferme sa joaillerie pour se lancer dans le design et fonder une galerie rue de Grenelle. Il est plus connu pour ses éditions de design comme l’escalier de Roger Tallon ce qui est la deuxième raison pour laquelle on a oublié la Maison Lacloche.

Fondée en 2012 avec le soutien de Van Cleef & Arpels, l’Ecole des Arts Joailliers a pour mission de diffuser la sculpture joaillière auprès du public le plus large. C’est une école d’initiation ouverte à tous, sans prérequis. Elle s’adresse au néophyte comme à l’amateur éclairé, au collectionneur de bijoux comme au simple curieux. Depuis sa création, l’Ecole a déjà accueilli plus de 30 000 élèves provenant d’une quarantaine de pays.

Infos pratiques :

LACLOCHES joailliers, 1892-1967

Exposition

jusqu’au 20 décembre

Livre

Lacloche Joailliers co-édition Norma et l’Ecole des Arts Joailliers de Laurence Mouillefarine et Véronique Ristelhueber

(en vente sur place au prix de 60€)

L’Ecole des Arts Joailliers,

avec le soutien de Van Cleef & Arpels

32 rue Danielle Casanova, 75001 Paris

Accès libre

https://www.lecolevancleefarpels.com/

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