Francis Bacon
In Memory of George Dyer, 1971
Huile et letraset sur toile, triptyque, 198 x 147.50 cm
Fondation Beyeler – Beyeler Museum, Bâle
© The Estate of Francis Bacon /All rights reserved / Adagp, Paris and DACS, London 2019
© The Estate of Francis Bacon. All rights reserved. DACS/Artimage 2019. Photo: Hugo Maertens
« Je fais des images et à travers ces images, je tente de piéger la réalité. »
On le voit sur une photo devant le Grand Palais le jour de l’inauguration de sa rétrospective de 1971 légèrement hagard ou absent. Son compagnon George Dyer s’est suicidé la veille dans leur chambre d’hôtel et s’ouvre alors une rupture et période stylistique radicalement nouvelle. C’est le point de départ qu’a choisi le commissaire de la captivante exposition du Centre Pompidou, Didier Ottinger qui a su trouver une veine autre que celle déjà largement exploitée sur ce grand génie de la peinture.
Il se penche en effet sur la place de la littérature dans la vie et l’œuvre du maitre orchestrant un parcours ponctué par des échappées sur 6 grands auteurs qui n’ont cessé de l’accompagner (élégantes capsules sonores).
D’Eschyle et ses figures de la culpabilité et de la vengeance (les Erinyes) présentes dans de nombreux triptyques dont trois « noirs » exposés, en hommage à son amant défunt, à Nietzsche et les figures contraires d’Apollon et de Dionysos, T.S Eliot et l’impossible rédemption du poème «the Waste Land» que Bacon connait par cœur, Conrad et la fascination pour le néant d’« au cœur des ténèbres », Bataille et les carcasses des abattoirs, ou Michel Leiris et la joute de l’arène d’une corrida. Des flashes de l’ordre de la fulgurance comme le décrit Didier Ottinger que lui procurent ces incursions dans sa bibliothèque riche de 1000 ouvrages, Proust en tête. Fragments de livres que l’on découvrira dans le chaos de l’atelier savamment entretenu par le maître des lieux parmi une marée d’images et d’outils expérimentaux divers recouverts d’une bonne dose de poussière. Qu’il introduira plus tard sur ses toiles.
La scène ouvre sur 3 Autoportraits aux visages distordus, brouillés, murés de l’intérieur. Un duel avec soi-même et la mort qui rode. Celle de son sulfureux amant, dépressif et instable, la tourmente de son souvenir mais aussi les crises d’asthme qui le perturbent et l’étouffent. Mais ce désarroi n’a rien de mortifère pour autant et les cris qui vont devenir omniprésents dans les figures puisés dans le film de Serguei Eisenstien « le Cuirassé Potemkine », offrent le miroir d’une humanité tiraillée, en proie à des cauchemars lancinants. L’admirable Crucifixion de 1944 « Three Studies for Figures at the Base of
a Crucifixion » de la Tate d’une intense dramaturgie ouvre à l’abime du réel, cette vérité qu’il traque sans relâche, osant la figuration à une période où les autres artistes s’y refusent. « Il s’agit pour moi, explique- t-il, quand j’affronte la peinture, de dresser un piège au moyen duquel je veux saisir un fait à un point le plus vivant ».
On peut alors citer Vélasquez, Van Gogh et Picasso, les lutteurs de Muybridge, l’ivresse de la couleur, la place du hasard…, il n’est plus bientôt question que d’une chose : le corps. Ce défi à chaque fois rejoué dans un espace mental de l’ordre de l’enfermement et d’une trivialité déconcertante. Cette tâche qui ouvre la voie et la chair qui surgit, offerte et inutile. Ni mort, ni vif, humain trop humain. Repoussant et exaltant. Tragique.
Infos pratiques :
BACON en toutes lettres
Jusqu’au 20 janvier 2020
Galerie 2 – Centre Pompidou, Paris
Nocturne le jeudi (23h)
Large programmation associée.