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Rencontre avec Emmanuel Gérard, directeur Cité Internationale de la Tapisserie Aubusson

La Cité internationale de la tapisserie a été mise en place comme une réponse à l’inscription des savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2009.
Elle a ouvert ses portes au public le 10 juillet 2016, au sein du bâtiment de l’ancienne École Nationale d’Art Décoratif (ENAD) d’Aubusson, entièrement réhabilité à cet effet. Cette institution héberge un ensemble de fonctions dédiées au rayonnement de la tapisserie d’Aubusson et son développement : centre de documentation à dimension européenne regroupant près de 16 000 imprimés issus des fonds de l’ancien centre de documentation départemental de la tapisserie d’Aubusson et celui de la bibliothèque de l’ancienne ENAD, espace de formation professionnelle diplômante, plateforme de création contemporaine, résidence d’artistes, service éducatif et des publics, pépinière et ateliers de créateurs, atelier de lissiers pour des tissages de très grande envergure, ou encore l’Atelier de restauration de tapisseries du Mobilier national. Nous rencontrons son directeur Emmanuel Gérard, qui nous retrace l’extraordinaire aventure Tolkien et la carte blanche au plasticien cinéaste Clément Cogitore, les missions qu’il décline au quotidien et les défis qui attendent la Cité.  

1. A quand remonte votre première rencontre avec l’art tissé et la tapisserie d’Aubusson ?
J’ai été consultant en ingénierie culturelle dans une vie antérieure et suis intervenu dans la Creuse une première fois en lien avec une démarche de la DATAR atour de l’économie du patrimoine sur la peinture de Crozant et George Sand. Je suis de nouveau intervenu ensuite sur la mise en valeur des portes touristiques du département autour de la peinture de Crozant et la tapisserie d’Aubusson et par conséquent je connaissais avant d’arriver à ce poste, les potentialités pas encore complètement perçues du grand public, qu’offre ce département en matière de patrimoine. Cela est devenu une évidence lorsqu’un appel à candidature a été lancé autour de ce projet de réalisation d’une Cité de la tapisserie. Même si j’avais vu beaucoup d’éléments de patrimoine dans ma vie de consultant, j’ai réalisé qu’un patrimoine de la qualité d’Aubusson offrait une opportunité unique avec tout le rayonnement international possible.  

2. L’aventure Tolkien : genèse du projet
Cela a été au départ une réflexion conduite à partir d’une analyse du conservateur Bruno Ythier relative à la notoriété grand public des tentures de nos collections.
Nous avions eu au départ une hésitation entre l’œuvre de Saint Exupéry et celle de J. R.R Tolkien.
En 2012 j’ai pris contact avec Dominique Bourgois, éditrice du Seigneur des Anneaux en France qui a été séduite par cette idée inédite du tissage en tapisserie de l’œuvre graphique de J. R.R. Tolkien, qu’elle présente alors à la famille Tolkien. Je reçois ensuite un appel de Baillie Tolkien mesurant l’intérêt que représentait la transcription en tapisserie de l’œuvre de leur père et beau père ; une proposition inédite. Elle nous propose alors une rencontre avec son mari Christopher dans leur maison en Haute-Provence pour que nous sachions à quel roman on pouvait attribuer les illustrations, beaucoup de confusion régnant là-dessus. Nous avons sélectionné 28 dessins et aquarelles et aboutit fin 2016 à une convention avec le Tolkien Estate via leur avocate pour une série exclusive de 13 tapisseries et 1 tapis. Le comité de tissage a été mis en place au printemps 2017 par le conservateur Bruno Ythier et notre cartonnière Delphine Mangeret, pour en déterminer les défis techniques, à la suite d’un travail de recherche préalable sur la manière dont on aurait tissé les œuvres dans les années 1930. Le lancement du 1 er tissage a lieu en automne 2017 à la Cité et la 1 ère « tombée de métier » en présence de Baillie Tolkien le 6 avril 2018.
Cette opération vise à élargir notre public par ce croisement entre l’art monumental que représente la tapisserie, et les œuvres graphiques de format réduit de J.R.R. Tolkien, inscrites à notre imaginaire collectif. Nous avons déjà aujourd’hui une demande significative de prêt de ces tentures avec le défi de s’inscrire dans la durée.  

3. Clément Cogitore : enjeux et perspectives
Je l’ai rencontré par l’entremise de son galeriste de l’époque Jérémy Planchon (White Project). J’ai cru en lui très vite et nous l’avons sensibilisé en 2014 à un concours que nous lancions « la matrice tapisserie ». C’était malheureusement l’époque où il était très pris par le tournage de son film « Ni le ciel ni la terre ». Je suis revenu vers lui après la fin du tournage.
Ce projet a été rendu possible grâce au mécénat Fondation d’entreprise AG2R La Mondiale pour la vitalité artistique, qui a financé sa maquette réalisée à partir de captures d’écran d’images de la révolution égyptienne en 2011 sur la place Tahrir.
 « Ghost_Horseman_of_the_Apocalypse_in_Cairo_Egypt.jpg » est né de cet effet de flair purement optique qui se produit lorsque cette scène du  «printemps égyptien» de 2011 est filmée et qui laisse apparaître notamment sur le web et ses écrans, une créature virtuelle, avec une rumeur qui en fait le 4 ème cavalier de l’Apocalypse…. Le travail de Clément Cogitore consiste à lui redonner une existence matérielle autour de cette idée de correspondance entre le pixel et le point de tapisserie et en même temps de nous interroger sur notre perception dans une œuvre fascinante qui se joue de nos sens en passant d’un statut d’image projetée, à une peinture, puis à une tapisserie….
Clément est venu régulièrement travailler avec la cartonnière, le conservateur et un lissier pour faire des échantillons, compte tenu de l’originalité de ce projet. Cette réflexion qui s’est échelonnée, du fait des contraintes d’agenda de l’artiste (prix Marcel Duchamp, films, exposition au Bal, mise en scène à l’Opéra Bastille des Indes Galantes à la rentrée,…), a abouti au principe d’un tissage à gros grain qui a fait l’objet d’un marché public de tissage.
C’est l’atelier A2 d ’Aubusson qui a été retenu pour son tissage, dont le dévoilement a été réalisé à la fin du mois de juin en présence de l’artiste.
Nous sommes très heureux qu’il se soit intéressé à ce medium dont il a découvert toutes les possibilités et qu’il va certainement continuer à explorer.  

4. Quels défis pour la Cité ?
Nous avons un projet de 2 ème tranche pour la Cité de la Tapisserie qui consiste en plusieurs volets :
D’une part,
-étendre la Nef des Tentures qui permet d’aller jusque dans les années 1970-80 mais pas au-delà ; ce qui nous limite puisque nous n’avons pas de mise en continuité dans ce parcours avec la création contemporaine ; hors, aujourd’hui avec notre création contemporaine et notre Fonds, il serait intéressant de montrer le XXI ème siècle, ainsi que les créations des manufactures.
-disposer de salles d’exposition temporaires sur notre site permettant un confort d’accès du public et une utilisation possible toute l’année.
-regrouper nos réserves qui sont à la fois au centre Jean Lurçat et aux archives départementales. D’autre part,
-renforcer notre volet professionnel par le biais d’une future teinturerie qui correspond à un besoin fort de transmission de savoir-faire, dans le prolongement de ce qui a été fait en matière de formation de lissier (qui a notamment abouti à la réouverture d’ateliers).
-proposer un dispositif et un espace immersif pour découvrir de façon plus étonnante et ludique le monde et l’univers de la tapisserie tout en restant connecté aux tentures et à l’univers qui est le nôtre.
Ce projet d’extension de la Cité va être prochainement acté et fait suite à un travail prospectif sur l’impact financier en termes de fonctionnement de ce projet vis-à-vis duquel notre présidente, Valérie Simonet, est très attentive. On peut imaginer raisonnablement, compte tenu du processus de validation en cours, le lancement d’un concours architectural pour la 2 ème tranche au début de l’année 2020.  

5. Quel(s) impact(s) territorial et local ?
Nous sommes face à un défi dans ce domaine à la fois économique, artistique, culturel et touristique autour de :
La question de la transmission du savoir-faire, d’autant plus sur un élément inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité ;
L’importance de la création contemporaine pour le futur de ce médium ;
La constitution en cours d’une collection de référence.
Nous souhaitons également renforcer cet écosystème de la tapisserie avec deux objectifs :
devenir un acteur encore plus important du développement touristique du territoire, avec 40 000 visiteurs aujourd‘hui et comme ambition 50 000, ce qui génère alors des impacts économiques plus importants avec l’implantation éventuelle d’un hôtel capable d’accueillir des groupes et travailler à différents projets économiques permettant autour de la Cité et des savoir-faire de la tapisserie, de développer un véritable pôle art textile/art tissé dans 3 directions notamment : – un atelier relais de porteurs de projet art textile / art tissé, porté par la Chambre de commerce et d’industrie de la Creuse et qui est à un stade avancé,
– un projet d’entretien et de nettoyage de grandes tapisseries et grands textiles appartenant à la fois à des collections publiques et des collections privées, qui a donné lieu à une mission d’étude de faisabilité confiée par Matignon à Hervé Lemoine, administrateur général du mobilier national,
– le développement d’activités autour de la teinture naturelle.
L’objectif est d’implanter une dynamique sur le territoire pour faire en sorte que ce patrimoine très identitaire permette un nouveau développement et l’implantation de porteurs de projet.     Actuellement à la Cité internationale de la tapisserie :
– L’Espace Tolkien et le tissage de « The Trolls », la plus grande tapisserie de la tenture Tolkien,
– Nouvel espace de présentation de la filière tapisserie,
– L’exposition internationale « Le Mur et l’Espace » autour des Biennales de Lausanne, (en partenariat avec la Fondation Tom’s Pauli de Lausanne), présentée au Centre culturel Jean
Lurçat – Jusqu’au 6 octobre,
– La tapisserie-événement de Clément Cogitore, visible jusqu’au 24 août au Centre Jean Lurçat,
– « La Maison Pinton » à l’Église du château à Felletin – Jusqu’au 28 octobre  

Infos pratiques :  

Horaires : Juillet/Août

10h-18h tous les jours sauf le mardi: 14h-18h uniquement. Visites guidées gratuites sans réservation à 11h et 15h

Septembre/Juin

9h30-12h et 14h-18h tous les jours. Fermé le mardi

Tarifs :

Plein tarif 8 €

Tarif réduit 5,50 €

Les visiteurs du CAC Meymac, du CIAP Vassivière et de l’espace Paul Rebeyrolle d’Eymoutiers bénéficient du tarif réduit sur présentation du ticket d’entrée du site partenaire.

Accès :

Cité internationale de la tapisserie
BP 89 – Rue des Arts
23200 AUBUSSON

Au départ de Paris-Austerlitz, ligne Paris-Brive. Arrêt La Souterraine. TER La Souterraine-Aubusson (autocar).

https://www.cite-tapisserie.fr/

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